Hervé Hasquin
« Chinoiseries » à gogo (carte blanche)
L’académicien Hervé Hasquin évoque la nouvelle méthode chinoise de véhiculer une désinformation à son service. Via des troisième ou quatrième couteaux, pour le « fun ». Mais forte de ses capitaux, elle se suffit à elle-même. Attention, vigilance.
Oui. La Chine a toujours fait rêver. La Grande Muraille. La Cité interdite. Des paysages fabuleux. Une civilisation tellement ancienne. Elle a fait fantasmer l’Europe depuis le retour de Marco Polo au XIVème siècle. Le XXème siècle s’est terminé en apothéose.
Les septuagénaires ont encore en mémoire les grandes mystifications de la seconde moitié du siècle. Un héros hors du commun. Mao Zedong (1893-1976). Déjà sanctifié par un jeune journaliste américain à la fin des années trente. Il a découvert « un prophète dans une grotte ». L’expression fera florès dans l’hagiographie. Un nouveau « saint communiste » émerge. Sa pensée lumineuse éclaire d’un jour nouveau l’idée communiste. De quoi réjouir et rasséréner croyants et aficionados. On peut garder bonne conscience malgré les déceptions engendrées par Moscou, le seul Vatican du communisme jusqu’au début des années 1960. La « révolution culturelle » (1966-1976) est mythifiée! Les échecs économiques, les camps, le totalitarisme dans toute sa splendeur sont niés.
Quand l’un ou l’autre esprit éclairé, au premier rang desquels figure le Belge Simon Leys, « déshabille » Mao, les injures pleuvent. Une extraordinaire panoplie d’intellectuels de gauche – que de Français! – sonnent la charge. Pékin sait les prendre dans le sens du poil. Sartre et de Beauvoir, notamment, sont les prototypes des fidèles aveuglés. Sans oublier le sinistre Alain Badiou. Que proclame-t-il en 1975? « Les dialecticiens maoïstes sont aujourd’hui en France les scaphandriers du processus primaire, immergés dans les profondeurs pratiques du prolétariat, sous les sédiments secondaires entassés par le révisionnisme ». Ouf! Un demi-siècle plus tard, l’idée communiste reste cultivée par la vieille garde. Badiou. Etienne Balibar. Jacques Rancière. L’Italien Toni Negri. Le Slovène Slavoj Zizek. Dans de multiples forums, ils vénèrent avec des nuances, mais sans guère de reculs, l’idée communiste.
Devenue une énorme puissance industrielle et économique, la Chine a moins besoin de saltimbanques pour assurer son influence et conforter ses réseaux dans le monde. Elle se suffit à elle-même. Forte du pouvoir de ses capitaux, elle n’a plus guère besoin de ces « idiots utiles » américains ou européens – l’expression était de Lénine – pour actionner les trompettes de son idéologie. Dans le monde académique, le « soft power » est désormais son arme de prédilection. Un instrument magique. Les Instituts Confucius implantés dans le monde à partir de 2004. En principe, on a toutes les raisons de se réjouir de la dispensiation de cours de culture et de langue chinoises. En 2016, on dénombre 510 Instituts dans 140 pays. Partenaires la plupart du temps d’Universités. Mais comme l’a rappelé un haut responsable du Comité central du PCC – déclaration longtemps ignorée -, ces instituts sont appelés à « assurer une part importante du dispositif de propagande de la Chine à l’étranger ».
Quelle liberté académique? En fait, pas question d’aborder les sujets qui fâchent: Tibet, Taïwan, Dalaï-lama, Hong Kong, les religions ou la franc-maçonnerie, par exemple. Le dernier mot appartient à Pékin. Voilà les nouveaux outils d’influence. On est dupe ou pas! En Belgique, en 2016, ni la VUB ni l’ULB n’ont pu résister aux sirènes chinoises. Pourtant quelques grandes universités dans le monde – Chicago, Toronto, Stockholm ou Lyon, par exemple – avaient sonné l’alerte et rompu toute collaboration avec ce type d’institut. En 2019, les universités bruxelloises feront de même. Le motif invoqué. Trop peu de retombées et d’activités académiques. Par ailleurs, l’espionnage était avéré à la VUB… Les technologies faisaient partie de la collaboration. Je suppose que cette aventure a rendu prudents les promoteurs du China-Belgium Technology Center de l’UCL à Louvain-la-Neuve … de même que ceux qui ouvrent la grande porte à Ali Baba à l’aéroport de Liège.
Parmi les thuriféraires de la Chine d’aujourd’hui, on ne trouve en majorité que des 3èmes et 4èmes « couteaux ». Sans être pour autant toujours sûr que ceux qui se répondent sur le Net aient une existence physique attestée. Cela fait partie des méthodes de désinformation chinoise. La Russie de Poutine a servi d’exemple.
Pour le fun, j’évoquerai un ouvrage paru voici quelques semaines, en tout cas dans sa version française aux éditions Delga.La Chine sans oeillère, dirigé par un certain Maxime Vivas, proche des mouvances complotistes, et Jean-Pierre Page, ancien syndicaliste CGT. Ils sont censés avoir cornaqué une vingtaine de spécialistes venus de tous les continents, y compris bien sûr des Chinois. Prudence. Le livre se défend de faire l’apologie du régime … Mais quelques thématiques en disent long. Chercher les origines du Covid en dehors de la Chine. Hong Kong, un complot américain. La maltraitance des Ouïghours? Une invention. Le redressement économique de la Chine est bien antérieur à l’épisode révisionniste de Deng Xiaoping. Etc, etc …
A propos. Quand nos indigénistes et contempteurs du capitalisme occidental prendront-ils la peine de décrypter les faits et gestes de la première puissance coloniale … la Chine?
Hervé Hasquin
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