© Lies Willaert

Charles Michel: « Le débat est plus dur, plus radical, mais aussi plus simpliste »

Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Charles Michel (MR) est peut-être vraiment un Premier ministre miracle, surtout maintenant qu’il souhaite poursuivre avec une coalition minoritaire. Nos confrères de Knack reviennent avec lui sur une année mouvementée. « Le débat est devenu plus dur, plus radical, mais aussi plus simpliste. »

Lorsque nos confrères le rencontrent dans sa résidence officielle du Lambermont, à Bruxelles, le malaise de Charles Michel est visible. Son gouvernement était encore majoritaire à la Chambre, mais il était en crise à cause du Pacte mondial des Nations Unies sur la migration. Après la rencontre, la crise allait s’aggraver jusqu’à l’explosion de la bombe samedi dernier. Après quatre années, souvent mouvementées, le gouvernement du plus jeune Premier ministre de l’histoire de la Belgique a échoué pour se muer en une coalition minoritaire MR, CD&V et Open VLD.

« Le Pacte a parcouru un long chemin », déclare Michel. « Il a nécessité plus de deux ans de travail. La Belgique a également participé activement à ce processus. Notre position a été établie par tous les partis concernés les 19 février, 4 juin et 12 septembre 2018, et le texte a été approuvé. Le 27 septembre, j’ai promis le soutien de notre pays à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. Le 31 octobre, le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken m’a parlé pour la première fois du Pacte, après qu’il ait été approuvé. Vous connaissez le résultat. Le Pacte est important parce qu’il donne la possibilité de coopérer avec d’autres pays. Il fournit également des leviers pour mener une politique stricte, mais humaine, comme nous l’avons fait ces dernières années. La N-VA a également admis qu’elle était intervenue trop tard. »

Jeudi dernier, vous sembliez encore croire en une solution. Aviez-vous un compromis en tête ?

Michel : Comme Premier ministre, il est de mon devoir de trouver un équilibre entre les différents partis au pouvoir. Je constate que de nombreux pays ont ajouté une soi-disant explication de vote à leur approbation du pacte. Mais la N-VA ne voulait pas de cette solution.

Était-ce une raison pour la N-VA de faire sauter le gouvernement?

J’ai remercié les ministres et secrétaires d’État de la N-VA pour leur travail et je n’ai pas l’intention de commenter la position du parti. Il faut poser la question à la N-VA.

Votre nouvelle coalition orange-bleu est-elle assez stable pour durer jusqu’en mai ?

Ce gouvernement est un gouvernement de redémarrage. Il se concentre sur l’essentiel : les réformes socio-économiques que nous voulons mener à bien. Nous devons maintenant privilégier un dialogue fort avec le Parlement. A l’heure où le Brexit menace nos emplois, il est important d’assurer de la stabilité.

Y a-t-il une chance que le MR forme à nouveau une coalition avec la N-VA après les élections de mai, ou est-ce exclu ?

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je voudrais d’abord donner aux électeurs l’occasion d’exprimer leur point de vue.

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Cet entretien se voulait avant tout un bilan critique de l’année écoulée. Lorsque nos confrères de Knack ont rencontré le Premier ministre début décembre, il était déjà clair que 2018 se terminerait en crise. Non seulement il était harcelé au sein de son gouvernement, mais il y avait aussi une atmosphère de rébellion dans les rues. Au cours de l’entrevue, des hommes et des femmes en gilet jaune – Charles Michel parle toujours de gilets jaunes – ont tenté d’encercler sa résidence officielle. Il a réagi calmement et diplomatiquement.

Charles Michel : Cette protestation spontanée est certainement significative. Elle prouve la méfiance de nombreuses personnes à l’égard des institutions démocratiques. Et je ne parle pas seulement des partis politiques et du parlement : les syndicats peuvent aussi se sentir concernés. Beaucoup de gens n’ont pas la vie facile, leur pouvoir d’achat est parfois inférieur à leurs coûts quotidiens. Augmenter le pouvoir d’achat : voilà justement un objectif important de mon gouvernement. Nous avons déjà fait beaucoup pour cela, mais il est clair que ce n’est pas suffisant.

Votre gouvernement a toujours été confronté à l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs, tandis que les critiques ont dit dès le début : « L’augmentation des factures détruit ce pouvoir d’achat. » Ont-ils eu raison ?

Comme nous avons réduit la pression fiscale et parafiscale, les gens gardent davantage: pour les revenus faibles et moyens, il s’agit d’un salaire supplémentaire par an. À l’avenir, nous tiendrons encore mieux compte des effets sur le pouvoir d’achat. Avec le tax shift, nous avons augmenté les droits d’accise sur le diesel au même niveau que l’essence, c’est exact. Nous voulions instaurer une forme de fiscalité environnementale – c’était au fond une question de bon sens. Les élections locales du 14 octobre ont prouvé que de nombreux électeurs jugent importantes les mesures de lutte contre le réchauffement climatique. Mais nous devons aussi nous assurer que tout le monde arrive à boucler ses fins de mois.

En relevant ces accises, vous vous êtes surtout occupé de la fin du monde.

C’est une caricature. Ces augmentations sont loin d’être du même ordre d’ampleur que les réductions d’impôt que nous avons mises en place. Nous encourageons également d’autres formes de mobilité. Il y a le budget de la mobilité et, grâce au pacte d’investissement – une de mes obsessions -, nous allons, entre autres, doubler le nombre de voies ferroviaires vers Bruxelles. Ainsi, nous proposons des alternatives à la voiture.

Avant que les gilets jaunes ne descendent dans la rue, la politique socio-économique de votre gouvernement faisait déjà l’objet de critiques. En Flandre, on ne trouve plus d’expert qui soit enthousiaste à ce sujet. Quelles en sont les causes?

Ce que prétendent ces soi-disant experts n’est pas vrai. J’ai assez de conversations avec des gens qui sont les deux pieds dans la réalité. Les chefs d’entreprise et les entrepreneurs sont très positifs sur ce que nous faisons – ils devraient simplement se faire entendre un peu plus dans les médias (rires). Tous les chiffres de la Commission européenne, du Fonds monétaire international, du Bureau de planification et de la Banque Nationale vont également dans le même sens. Il y a quatre ans, qui aurait osé croire que ce gouvernement créerait 218 000 emplois ? Il y a quatre ans, qui aurait osé penser que l’on réduirait le fardeau fiscal de 1,2 % du produit national brut (PNB) ?

Il y a quatre ans, qui aurait osé penser que même ce « gouvernement de relance socio-économique » serait critiqué par la Commission européenne pour ne pas avoir équilibré son budget assez rapidement ?

Quand j’ai commencé, le déficit était de 2,2%. En 2019, il sera encore de 0,6 %. Ce n’est pas un budget en équilibre, non, mais nous avons comblé près des trois quarts du déficit. Nous avons également réussi à ramener la dette publique à environ 100 % du PIB, ce que même moi je n’aurais pas osé prévoir. En outre, les attentats terroristes et la crise migratoire ont fait de 2016 une année plus difficile que prévu d’un point de vue budgétaire. Par rapport aux autres gouvernements des 25 dernières années, nous avons donc beaucoup assaini.

Nous avons également déjà mis en oeuvre des réformes structurelles sur le marché du travail et nous devons aller encore plus loin. La différence avec des pays tels que les Pays-Bas et l’Allemagne, c’est qu’ils ont commencé à se réformer il y a dix ou même quinze ans, nous il y a à peine quatre ans. Aujourd’hui, nous avons une pénurie sur le marché du travail, les entreprises ne trouvent pas assez de personnel : c’est une grande différence par rapport à il y a trois ou quatre ans, et c’est en partie grâce à notre succès, mais cela reste un défi. Au printemps, j’ai décidé d’en faire une priorité absolue. Quelques semaines plus tard, il y a eu une convention collective qui prévoyait vingt-huit mesures.

Si les experts économiques sont sceptiques à l’égard de votre gouvernement, c’est surtout parce que la Belgique ne s’en tire toujours pas bien par rapport aux autres pays européens.

Michel: Sur quels points?

Créations de jobs, croissance économique…

Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas facile – je le comprends bien – mais il faut essayer de faire preuve d’un minimum d’objectivité. En termes de croissance, notre performance est légèrement inférieure à celle des autres pays européens, c’est la seule chose qui soit juste. Mais il faut aussi regarder par où nous commençons : la croissance est toujours un pourcentage de la prospérité qui existe déjà. Nous avons une base plus élevée parce que nous avons perdu moins que beaucoup d’autres pays pendant la crise économique. En Afrique, certains pays connaissent actuellement une croissance de 6 à 7 % par an. Ils feraient donc beaucoup mieux que nous ? J’en doute fort.

C’est donc grâce au bon travail de votre prédécesseur Elio Di Rupo (PS) que vos taux de croissance sont décevants ?

Pour moi, tout cela n’est qu’un encouragement à vouloir faire encore mieux. C’est pourquoi, par exemple, le Brexit est fondamental pour nous. Depuis le jour du vote en Angleterre, nous suivons ce processus de près. Aucun accord voté sur les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ne portera préjudice à l’économie belge : c’est ce dont nous nous occupons.

Nous devons également nous attaquer à un paradoxe majeur qui existe dans toute l’Europe : alors que nous avons besoin de plus d’emplois, nous taxons le plus ceux qui travaillent ou créent le plus d’emplois. Cette fiscalité reste nationale, alors que de plus en plus d’entreprises s’organisent à l’international. Nous devons faire un premier pas au niveau européen avec une taxe sur les GAFA (acronyme de Google, Apple, Facebook et Amazon, NLDR), des entreprises Internet qui créent beaucoup de valeur ajoutée en Europe sans payer de taxes. C’est vraiment dingue. Qui paie leurs factures ? La classe moyenne. C’est une autre raison pour laquelle les gilets jaunes protestent aujourd’hui.

De moins en moins de vos collègues européens partagent un programme aussi ambitieux pour l’Europe. Cette année, le Premier ministre italien, Giuseppe Conte, a été ajouté. Quelle est l’atmosphère au Conseil européen entre-temps ?

Les élections européennes de 2019 seront importantes pour le cap de l’UE. Et en tout cas je sais ce que je veux. Je n’accepte plus que les pays considèrent l’UE comme un distributeur de billets, mais ne répondent pas à l’appel lorsqu’on leur demande d’être solidaires. Si les citoyens de certains pays européens ne veulent plus coopérer, c’est leur droit. Mais cela ne doit pas nous arrêter. Les pays qui veulent aller de l’avant doivent pouvoir le faire. J’ai été le premier à défendre cette méthode au niveau européen. J’ai d’abord reçu le soutien du Benelux, et maintenant je me retrouve aussi à écouter Madame Merkel et Monsieur Macron. Mais je ne suis pas un rêveur, je suis pragmatique. Je vois trois domaines importants où l’UE doit renforcer sa coopération : outre la zone euro et la croissance économique, que nous devons renforcer et stimuler respectivement, ce sont les dossiers de défense, de sécurité et migratoires.

Au printemps, l’Europe a conclu un accord sur la crise migratoire, depuis on n’en parle plus. La situation ne s’est pas améliorée.

Une nouvelle fois, vous êtes mal informés. Nous sommes dans une bien meilleure position que nous ne l’étions lors de la crise de 2015 en termes de nombre de migrants et de réfugiés potentiels qui tentent de venir en Europe. Un certain nombre de pays européens ont également conclu des accords à ce sujet avec des pays de l’autre côté de la Méditerranée. Il existe également des intentions politiques visant à mieux protéger nos frontières. Il est vrai, cependant, que le dossier est bloqué par des pays qui ne veulent pas connaître la solidarité. Détail piquant : Viktor Orban et Matteo Salvini (respectivement Premier ministre hongrois et ministre italien de l’Intérieur, ndlr) aiment prendre des selfies ensemble, alors qu’en fait ils sont diamétralement opposés. Salvini veut que l’Italie obtienne plus d’aide de l’Europe en tant que pays d’arrivée. C’est précisément à cela qu’Orban ne veut pas coopérer.

En mai, le président de la N-VA, Bart De Wever, a fait sensation : après la mort de la petite Mawda par balle, il a souligné la responsabilité de ses parents, qui avaient fui l’Irak et voulaient aller en Angleterre. Qu’est-ce que vous en pensiez?

Ces déclarations étaient inappropriées. Une mère et un père qui perdent un enfant est une tragédie terrible. Elle m’a frappé, en tant qu’être humain et en tant que père. Dans un tel moment, les idées politiques, les miennes ou les vôtres, ne sont pas pertinentes.

Début décembre, 65.000 personnes à Bruxelles ont manifesté pour une politique climatique plus ambitieuse. Les avez-vous entendues?

À l’avenir, nous voulons prendre d’autres mesures, mais nous n’avons peut-être pas suffisamment expliqué ce que nous avons déjà fait dans ce domaine. Pour ne citer que quelques réalisations : j’ai personnellement veillé à ce qu’il y ait enfin un accord entre le gouvernement fédéral et les régions sur qui est responsable de quels efforts – check. Il y a aussi le pacte de l’énergie, qui définit une stratégie claire pour notre politique énergétique, et le pacte d’investissement, qui définit comment nous pouvons transformer la transition énergétique en une opportunité – check. Vous vous souviendrez peut-être aussi que nous avons mis en place un tax shelter favorable aux entreprises innovantes. Grâce à ce cadre fiscal adapté, Audi et Volvo ont choisi de produire leurs voitures électriques respectivement à Forest et Gand – check. Si vous le souhaitez, je peux continuer encore pendant deux heures.

Entre-temps, la décision finale concernant la sortie du nucléaire n’a toujours pas été prise. Le pacte pour l’énergie stipule qu’on évaluera l’approvisionnement et l’accessibilité financière de notre énergie sur base d’un suivi régulier. Ceux qui veulent investir dans des alternatives n’ont aucune garantie.

Ce n’est peut-être pas populaire aujourd’hui, mais j’aimerais bien nuancer. La sortie du nucléaire n’est pas la seule ambition que nous voulons atteindre. La difficulté est que nous devons atteindre trois autres objectifs en même temps. Le premier, bien sûr, est la sécurité de l’approvisionnement. La deuxième concerne les accords internationaux sur le climat. Et troisièmement, nous devons tenir compte des prix. Si nous devions uniquement garantir la sécurité de l’approvisionnement, ce ne serait pas si difficile. C’est beaucoup plus compliqué si vous voulez en même temps contrôler les prix, atteindre les objectifs climatiques et réaliser la sortie du nucléaire.

À l’automne, la Belgique a découvert le mouvement d’extrême droite Schild & Vrienden à travers un reportage sur la VRT. Certains membres de ce club sont ou étaient très proches de la N-VA, votre ancien partenaire de coalition.

Vous avez probablement vu aussi que la N-VA a réagi immédiatement et clairement. Bien sûr que ce rapport m’a choqué. Mais pour être honnête : je n’ai pas été surpris non plus. Nous savons que le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme existent et sont en hausse. Le reportage montre ce qui était déjà clair pour moi : tous les jours, il faut les valeurs fondamentales de la démocratie. Ils ne sont pas évidents, ils ne sont pas éternels et acquis pour toujours. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons être vigilants. Vous voyez que l’extrémisme gagne du terrain partout, même au coeur de la démocratie. Regardez les débats parlementaires du jeudi après-midi. Il faudrait les comparer à ce qu’il se passait il y a dix ans : le ton et le niveau ont vraiment changé.

De quelle manière?

Le débat est devenu plus dur, plus radical, mais aussi plus simpliste. Les sessions parlementaires sont souvent un festival de caricatures, et ces caricatures ne proviennent pas uniquement des partis extrémistes. Les partis démocratiques traditionnels sont également en train de changer. Sous la pression des extrémistes, ils adoptent leur style de communication. Cela ne me facilite pas la tâche. Je suis quelqu’un qui invoque toujours les faits. Quiconque dans cette position qui doit rivaliser contre de simples slogans a du mal.

Avez-vous un exemple ?

Ma conclusion est générale, elle ne vise pas à vous donner un titre sensationnel pour votre article. Mais vous vous souvenez peut-être que l’ancien Premier ministre Di Rupo a déclaré que depuis la Seconde Guerre mondiale il n’y a pas eu de gouvernement aussi socialement dévastateur que le mien. C’est clairement de la démagogie utilisée également par les extrémistes. La situation actuelle est tout de même impossible à comparer à la Seconde Guerre mondiale ?

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