© Denis Vasilov/Image Globe pour Le Vif/L'Express

Charles-Ferdinand Nothomb : « Le CDH a besoin d’un renouveau intellectuel »

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

On le croyait fâché à mort avec Joëlle Milquet, on le découvre fidèle à jamais au CDH. « Je ne serais pas fier de moi si je votais pour un autre parti », confie l’ex-président du PSC.

Démocrate-chrétien, il est né. Démocrate-chrétien, il mourra. Il est de ces apôtres de la modération, un coup à gauche, un coup à droite, partagés entre sens de l’Etat et art du louvoiement. A 77 ans, l’ancien vice-Premier ministre et président du Parti social-chrétien partage son temps entre Habay-la-Neuve, son fief gaumais, et Louvain-la-Neuve, où il a repris des études de philo. « Vétéran en politique, débutant en philosophie », selon son expression, il peaufine un mémoire consacré à l’immense philosophe allemand Jürgen Habermas. Rencontre, sur le campus de l’UCL, avec un vieux jeune homme sûr de son fait.

Le Vif/L’Express : Outre l’absence de partis nationaux, le système belge comporte une autre bizarrerie : notre fédéralisme repose sur deux grands ensembles seulement, l’un flamand, l’autre francophone. Du coup, le pays vit un bras de fer permanent.

Charles-Ferdinand Nothomb : On a failli l’éviter ! Au début des années 1960, le ministre socialiste flamand Antoon Spinoy avait imaginé une Belgique à cinq régions : Bruxelles, Liège, Charleroi, Gand et Anvers. Cela avait du sens, car on créait un équilibre, avec cinq ensembles de taille moyenne. A peu près au même moment, le gouvernement Lefèvre-Spaak avait conçu un plan d’autonomie dans lequel les neuf provinces recevaient la plupart des matières. Mais, aux élections de 1965, pour des raisons économiques et sociales, parce que le gouvernement Lefèvre était réputé travailliste, les bourgeois se sont détournés des sociaux-chrétiens. Cela a entraîné un triomphe pour les libéraux d’Omer Vanaudenhove, un grand unitariste, qui avait fait campagne en utilisant le drapeau belge et le slogan « mon parti, c’est mon pays ». Conséquence : les sociaux-chrétiens et les socialistes ont reconduit leur alliance, mais ils ont perdu la majorité des deux tiers, et n’ont pas pu réaliser leur plan. Quand je pense à ça, je râle : on a été à un doigt d’obtenir une bonne décentralisation provinciale, qui n’aurait pas menacé l’équilibre de la Belgique. J’en tire aussi la principale leçon de mon parcours : en politique, la cause ne produit jamais l’effet attendu. La victoire des libéraux en 1965 obéissait à des raisons sociales et économiques. Elle n’a rien changé – ou presque – sur le terrain socio-économique, mais elle a tout changé sur le plan communautaire.

La défense de l’école libre doit-elle rester au coeur du projet CDH ?Par le passé, on a parfois eu l’impression que c’était le seul socle idéologique de votre parti.

La défense de l’enseignement libre catholique illustre un attachement à la référence chrétienne, mais aussi un attachement à la liberté d’initiative. L’action publique, pour les démocrates-chrétiens, n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, ou de la région. Nous sommes pour la décentralisation. C’est vrai pour l’aide aux handicapés comme pour la propreté des rues : nous ne voulons pas que l’administration s’occupe de tout, d’autant qu’en Wallonie, cette administration pèse d’un poids terrible sur le plan budgétaire. En 1960, le réseau libre représentait 80 % de l’enseignement secondaire en Flandre, moins de 40 % en Wallonie. Cela a joué un rôle considérable dans l’évolution institutionnelle de la Belgique.

Pourquoi ?

En 1988, quand on communautarise l’enseignement, on le sort du budget national. Mais dans les faits, c’est l’Etat fédéral qui continue de payer. A ce moment-là, on a décidé d’une clé de répartition budgétaire entre les deux Communautés : un enfant francophone doit recevoir autant qu’un enfant néerlandophone. Sur le plan des principes, c’est défendable. Mais les négociateurs francophones qui ont accepté ça, Philippe Moureaux et Gérard Deprez en tête, doivent s’en mordre les doigts, même s’ils ne l’avoueront jamais. Quelle a été la conséquence ? L’asphyxie de la Communauté française, car un enfant wallon coûte beaucoup plus cher qu’un enfant flamand, étant donné que l’école officielle coûte elle-même beaucoup plus cher. Elle a été conçue au temps de la prospérité wallonne, principalement dans le Hainaut et à Liège, où, pour de bons motifs, on a développé l’enseignement professionnel, avec beaucoup d’argent. Cela signifie qu’en 1988, les Flamands héritent d’un pactole qui leur arrive au nom de leurs enfants, subventionnés à la moyenne nationale, alors qu’ils coûtent moins cher que les enfants wallons. Donc les Flamands ont plein d’argent. D’où leur volonté de régionaliser les chemins de fer. Comme ils ont du fric, ils veulent moderniser l’infrastructure, sans attendre le fédéral. C’est l’argent de l’enseignement, ce matelas financier dont dispose la Flandre depuis 1988, qui alimente une bonne part des revendications nationalistes.

Depuis la fin de votre ultime mandat comme président du PSC (1996-1998), vous êtes resté à distance de votre ancien parti. Malgré votre désaccord avec la ligne imprimée par Joëlle Milquet, vous avez toujours voté CDH ?

Oui. Sans l’ombre d’une hésitation. Comme disait Jacques Delors, il y a des unités de vie : on finit comme on commence. Je ne serais pas fier de moi si je votais pour un autre parti.

Aux 2014, le CDH jouera à nouveau sa survie…

De 1968, quand j’entre au Parlement, à 2018, quand je considérerai ma pension, c’est un déclin terrible. Cela me tourmente, parce que je suis un homme de démocratie parlementaire, de représentation proportionnelle et de direction de l’Etat par les centristes. Tout le contraire de ce qu’on voit en France, mais tout ce que ça a été en Belgique tant que les sociaux-chrétiens se tenaient. Quand je suis devenu président du PSC en 1972, les sociaux-chrétiens avaient perdu toutes les élections depuis seize ans. Par le changement d’idées et de têtes, on a gagné pendant huit ans. Mais ensuite, Vanden Boeynants a reperdu tout, en tirant le parti à droite, une stratégie idiote. Plus récemment, Milquet a essayé le renouveau du nom et de l’image. Cela n’a pas marché. Donc aujourd’hui, le CDH a besoin d’un renouveau intellectuel.

En votre for intérieur, vous vous sentez plus proche du PS ou du MR ?

Je reste un centriste. Naturellement, je me sens plus proche de l’aile belgicaine du PS que des wallingants radicaux. Donc plus proche d’Elio Di Rupo que de Jean-Claude Marcourt. Mais cela n’a rien d’original. Désormais, la bourgeoisie chrétienne adore Di Rupo. Cela m’a frappé cet été. Dans les réceptions, les dîners, tout le monde disait du bien de lui. J’ai pensé : mon Dieu, que le monde a changé ! A présent, c’est à propos des Arabes qu’on se dispute. Là, la division se manifeste, et je me retrouve dans la minorité, car je suis très favorable à l’ouverture, alors que la plupart de ceux que je fréquente sont assez fermés par rapport à l’immigration.

Sur ce sujet, vous pourriez être d’accord avec Joëlle Milquet.

Nous avons 100 000 petits Mohamed. Il faut qu’ils soient de bons Belges dans dix-huit ans. Et pour y arriver, il faut entretenir un courant général de sympathie vis-à-vis de la civilisation arabo-islamique. Le monde européen, chrétien, capitaliste et le monde islamique, arabe, oriental doivent faire une paix mentale, pour ne laisser ni les bourgeois inquiets ni les barbus fanatiques bloquer les deux civilisations. Et là, je pense que les démocrates-chrétiens ont un rôle à jouer. Nous sommes bien placés pour expliquer de l’autre côté qu’on peut être parfaitement laïcs et parfaitement respectueux de la religion. Aujourd’hui, en Egypte ou en Tunisie, soit vous êtes Frère musulman ou Ennhada, soit vous êtes laïc libéral. Ben non, on peut être les deux ! Je pense que l’émergence de partis démocrates-musulmans, ce serait la meilleure manière de pacifier l’Egypte et la Tunisie. Tout comme la Belgique, pour son équilibre, a besoin d’un parti centriste qui soit fort.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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