Charleroi : comment Paul Magnette a nettoyé le PS
Avec cinq nouveaux (et bientôt six) sur les huit échevins socialistes, Paul Magnette a renouvelé comme jamais les cadres de son parti. Sans ménagement, parfois avec brutalité, mais en recasant les éconduits là où il le pouvait. Voici comment le bourgmestre de Charleroi a enfin mis une nouvelle génération au pouvoir.
On lui connaît peu d’amis en politique, et encore moins à Charleroi, ne seraient son fidélissime secrétaire de cabinet Laurent Zecchini et le bouwmeester Georgios Maillis . C’est au fond assez logique. Pas besoin d’être Machiavel pour savoir que ce qui serait un handicap dans la vie sociale est une liberté dans la vie politique. C’est ainsi que Paul Magnette, depuis 2007, fait de la politique sans sentiment. Au sein d’un Parti socialiste carolorégien qu’il domine comme personne ne l’avait dominé, sans doute aussi parce que jamais ses effectifs n’avaient été si maigres, Paul Magnette ne connaît de proximité que d’intérêt. Celle-là varie aussi sûrement que celui-ci évolue. Mais si ses intérêts à moyen terme ont pu solidement changer, sa ligne de long terme, dessinée depuis l’été 2007 et son entrée en politique, elle, n’a pas dévié. Elle porte un nom, le renouvellement, et tient un rythme, lent, qui dépend des évolutions électorales plutôt que de la brusquerie d’un souverain. Même si, lorsque le contexte le permet, le souverain ne se prive pas de brusquer. On va y venir.
– Moi, Paul, j’aimerais encore garder les finances. – Et pourquoi ça ? – Euh, mais Paul…
Ce renouvellement, parce qu’il aura pris plus de dix ans, aura emprunté des chemins suprenants. La réconciliation avec Jean-Claude Van Cauwenberghe, l’an dernier, en aura été le plus absurde tournant. Ce renouvellement aura montré un politologue-bourgmestre tel qu’il est, patient, calculateur, amoral, après tout. Son alliance avec Eric Massin et Paul Ficheroulle, scellée dès 2007 – à Massin le fédéral, à Magnette, tout frais ministre, la Région wallonne, à Ficheroulle la Ville – devait tenir toute une vie politique. Elle n’aura pas résisté au rapport de force local, favorable à Eric Massin, qui le fit bourgmestre en 2012, qui poussa Paul Ficheroulle à une retraite anticipée, et qui, par ricochet, força définitivement, autour des communales de 2012, Magnette à devenir mayeur de Charleroi. Entre-temps et depuis lors, son aspiration au rajeunissement l’aura surtout forcé à cajoler les anciens, parce que l’universitaire est facilement déçu, surtout par ces jeunes si décevants dans le rapport de force.
Et donc Paul Magnette a passé onze ans à renouveler lentement, laissant sur le côté davantage de jeunes que d’anciens, de faibles que de forts, et donc plus encore de ses premiers soutiens que de ses plus virulents opposants. Deux députés wallons à l’avenir incertain peuvent en attester : Anthony Dufrane ne s’est pas présenté aux communales et ne se présentera pas aux régionales, et Serdar Kilic, avec à peine 975 voix dans sa besace communale (contre 1 888 en 2012) devra se faire réélire à Namur en mai prochain depuis la cinquième place sur la liste socialiste. C’est tout sauf assuré. Le premier était dans le cabinet de Paul Magnette à la Région wallonne dès l’été 2007. Le second avait même été son élève à l’ULB. Et avec Latifa Gahouchi, qui sera deuxième sur la liste régionale et que Paul Magnette connaît depuis l’enfance, ces trois parlementaires avaient été impitoyablement écartés des affaires communales. » Hors de question que les députés wallons démissionnent à six mois de la fin de la législature « , avait proclamé le bourgmestre avant même la composition de la liste municipale, éteignant ainsi trois ambitions scabinales pourtant affirmées. Avant ça, il avait obtenu d’Eric Massin qu’il s’oriente vers la Province de Hainaut, où l’attendait une députation provinciale bien confortable, aussi confortable que peu visible.
Une géométrie très variable
Les élections communales d’octobre 2018 allaient lui permettre de continuer à dégager de l’espace, et pas qu’un peu. Définitivement, même, puisque ce qui restait du passé y est passé ou va y passer. Dans deux ans, il y aura en effet six novices sur les huit échevins socialistes carolorégiens : Babette Jandrain, Laurence Leclercq, Karim Chaïbaï, Mahmut Dogru, Thomas Parmentier et, le temps qu’elle termine ses études, Alicia Monard. Ils seront encadrés par la seule créature de Paul Magnette qui eût tenu la distance, et de quelle manière : Julie Patte. 21e score socialiste aux élections de 2012, parachutée échevine en 2014 après un ballet de suppléances namuro-carolorégiennes (elle siégea le temps d’un très court été comme députée wallonne), elle a cassé la baraque en octobre dernier, avec ses 3 775 voix. Elle aura remarquablement profité des départements auxquels on la plaça, respectivement les fêtes puis l’enseignement. Deux compétences où, à condition de bien y faire, on peut se construire une notoriété. Et elle y fit bien, Julie Patte. Deuxième socialiste la plus populaire, elle a remporté la course à cet accessit contre Philippe Van Cauwenberghe, et est désormais susceptible de succéder à Paul Magnette lorsque celui-ci, et la rumeur dit qu’on n’en est pas trop loin, se lassera de la place Charles II et de son hôtel de ville classé mais désuet.
Quant aux autres, aux Beghin et Daspremont, aux Casaert et aux Imane, rien n’était fait avant le 14 octobre, mais tout était presque déjà joué. Les voix de préférence allaient peser, mais on n’allait vraiment les compter que lorsque ça arrangeait Paul Magnette : pour faire passer Thomas Parmentier devant Serge Beghin, par exemple, mais pas pour faire passer Laurence Leclercq devant Latifa Gahouchi. Il fallut deux étapes pour accommoder cette géométrie variable, deux étapes qui ont augmenté le nombre de mandats à distribuer, réduit le nombre de laissés-pour-compte, et donc atténué les récriminations. D’abord, le choix de monter en tripartite avec deux adversaires faibles, auxquels ne fut cédé qu’un mandat scabinal, C+ (quatre sièges au conseil communal) et Ecolo (trois sièges). Ensuite, l’interdiction pour les échevins de cumuler leur siège avec un autre dans une intercommunale ou un organisme public. Avec huit postes d’échevins et une petite poignée de présidences et de vice-présidences, le bourgmestre allait alors pouvoir puiser aussi loin qu’il le désirait dans son vivier communal.
Il le fit au cours de cette semaine de novembre dernier où Paul Magnette, composant son collège, accomplit enfin le large renouveau annoncé il y a deux lustres. Il téléphona aux plus importants les mercredi et jeudi, il reçut ceux qu’il fallait consoler le vendredi matin, dans les locaux de la fédération, rue de la Science. Et le vendredi après-midi tombait par communiqué de presse la composition du collège du renouveau. Il n’est sans doute pas terminé, ce renouvellement, parce qu’il y a déjà, nous dit-on, des décevants dans les nouveaux venus.
Voyons un peu ce qui s’y dit alors, comment ce fut expliqué, ce que cela cachait.
Et quelles ont été les victimes de la purge.
Hicham Imane
» Une ascension trop rapide « , lui avait dit Paul Magnette, en 2016, alors qu’il le délestait d’un siège de député wallon qui offrait trop de visibilité à cet incontrôlable blagueur. Président de la Sambrienne, Hicham Imane avait fait scandale en faisant creuser une tranchée autour d’un terrain où s’installaient fréquemment des gens du voyage. Candidat député, il avait fait scandale en lançant son site Internet » Ne votez pas pour un Arabe « . Député wallon, il avait fait scandale en se filmant gloussant, déguisé en coq pour les fêtes de Wallonie. Il ne pouvait pas rester. Il est parti. On lui a même demandé de quitter le conseil communal pour siéger au CPAS. Il le fera. Il veut être sur la liste européenne du PS en mai prochain. Pas pour se faire élire, mais pour faire campagne, ça il sait faire, et pour se faire aimer de ses camarades, ça il sait moins faire. Cette ascension-ci sera plus longue. Peut-être trop.
Anne-Marie Boeckaert
Elle était devenue échevine sur le fil d’un énième remaniement, en 2016, et Paul Magnette l’y avait placée parce qu’il n’avait plus le choix. Depuis, l’avocate, ancienne conseillère PSC, et le professeur, s’étaient même plusieurs fois disputés en séance publique du conseil communal. » Anne-Marie, c’est bon ainsi « , l’avait-on même entendu dire une fois. Et en effet, ce fut bon ainsi : avec ses 668 petites voix, la Docharde rentre loin dans le rang des conseillers communaux.
– Serge, tu es sûr d’encore vouloir faire de la politique ? – Euh, Paul, mais… – Non, mais je demande.
Maxime Felon
Il était le Dochard qui voulait sortir du rang. Maxime Felon, 32 ans, ancien président national des Jeunes socialistes, a mené une campagne de malade. Il a, d’abord, battu Anne-Marie Boeckaert au poll de la section docharde. Il a, ensuite, noué une alliance avec le très populaire député provincial sortant, Yves Lardinois. Il a, enfin, été de presque toutes ces journées de porte-à-porte qui ont vu les candidats socialistes frapper à chacune des 100 000 huches carolorégiennes. Ça n’a pas suffi : 1 391 voix, c’est moins que Karim Chaïbaï. Il voulait tout de même une place au collège. On la lui a refusée. Il voulait que sa maman siège au conseil de l’Action sociale. On le lui a refusé. Il a menacé de quitter le parti, de siéger comme indépendant et de donner l’interview du siècle à La Nouvelle Gazette. Il est devenu président de La Sambrienne, la société locale de logements sociaux, et est entré au cabinet d’Eric Massin à la Province de Hainaut. On ne lira donc jamais cette interview.
Léon Casaert
Il était le huitième socialiste carolorégien le plus populaire en 2012 (2 157 voix), il n’avait pas été désigné échevin, et ça l’avait beaucoup meurtri. Il est le huitième socialiste carolorégien le plus populaire en 2018 (1 505 voix), il n’a pas été désigné échevin, et ça l’a beaucoup moins meurtri. Léon Casaert, 63 ans, a pourtant passé six années à embêter les socialistes du cru, et surtout Paul Magnette, à qui il reproche, depuis 2007, de l’avoir laissé tomber lorsqu’il dut quitter le mayorat de Charleroi au profit de Jean-Jacques Viseur (CDH), chaque fois qu’il le pouvait. Mais il le pouvait peu, il a fini par le remarquer. Alors il a fait alliance, dans sa section de Gosselies, avec Julie Patte, il a fait sa campagne tranquille, et il a quand même reçu quelque chose alors qu’il disait ne plus rien espérer : dans deux ans, le temps que son statut d’ancien ouvrier de la Sonaca le lui autorise fiscalement, il présidera l’intercommunale Tibi, l’ancienne intercommunale de collecte et de destruction des immondices (ICDI).
Philippe Van Cauwenberghe
» – Franchement, je ne te vois pas ailleurs qu’au CPAS.
– Euh, mais Paul… »
Il gagne quatre cents voix en six ans (de 2 812 en 2012 à 3 236 en 2018), il préside désormais le plus grand CPAS de Wallonie, il a des airs d’incontournable, et pourtant il accuse le coup, ce jeudi-là, Philippe Van Cauwenberghe. La première inclination de ce socialiste, en effet, ne le porte pas vers ces matières sociales. Il aime le sport et le commerce, le fils Van Cau. Mais s’il a gagné des voix, il a perdu un rang, le soir du 14 octobre, dépassé par Julie Patte dans la course à la deuxième place. Et le candidat d’ouverture Karim Chaïbaï, vedette du football en salle, a amassé suffisamment de suffrages pour se rendre incontournable. Où le mettre ailleurs qu’à l’échevinat des sports ? C’est impossible. Philippe Van Cauwenberghe en souffre, mais il le comprend. Il s’accroche, dans la négociation, à garder une compétence d’échevin qui lui garantisse une popularité. Il obtient l’échevinat du troisième âge. Ce ne sont pas les sports, ce n’est pas le commerce, mais ce sont quelques fêtes à organiser et quelques milliers de mains à serrer. Au CPAS, le fils Van Cau s’appliquera à solder de vieux comptes avec son prédécesseur, Eric Massin, en même temps que son héritage. Tiens donc, en 2012, Paul Magnette avait préféré faire de Massin un président du CPAS plutôt qu’un premier échevin, pour un peu l’éloigner. Il refait le coup avec Philippe Van Cauwenberghe en 2018.
Françoise Daspremont
» – Moi, Paul, j’aimerais encore garder les finances.
– Et pourquoi ça ?
– Euh, mais Paul… »
Elle ne garderait pas les finances. Elle aurait le protocole, les associations patriotiques et le bien-être animal, parmi d’autres compétences décisives, Françoise Daspremont. Et seulement pour deux ans. Pourtant, elle avait rendu service, à 68 ans, en prenant la deuxième place sur la liste PS, et elle ne s’y était pas trop déshonorée, engrangeant le quatrième score socialiste avec 2 392 suffrages. Son exfiltration, annoncée ce jeudi-là, avait une raison : avant ça, le bourgmestre avait décidé de céder un échevinat à la jeune Alicia Monard, 21 ans, mais pas un trop gros et pas tout de suite. La Marcinelloise, dont le papa, éternel soutien de la famille Van Cau, est un vieux soutier de l’Union socialiste communale, n’a pas encore terminé ses études, et devra sortir de l’université avant d’entrer au collège. Douzième socialiste la plus populaire, elle devait se voir promettre un mandat d’échevine pour une autre raison que ses qualités intrinsèques : Paul Magnette voulait faire de Laurence Leclercq, 24e score, une échevine, et il fallait pour ça donner des gages, et ainsi dut-il offrir cette charge à-valoir à Alicia Monard. Encore pleine de la fraîche candeur de son jeune âge, celle-ci ne semble pas devoir attraper la grosse tête. En témoigne cette conversation de début décembre avec celle dont elle prendra la succession. » – Si, si, Françoise, tu es là pour deux ans, pas pour trois, a dit Alicia Monard à Françoise Daspremont.
– Mais Alicia, on a un seul chef, et c’est Paul, pas toi, lui a répondu Françoise Daspremont.
– Non, c’est deux ans, et Paul l’a dit. Mais je vais être gentille : normalement, puisque tu as prêté serment le 3 décembre 2018, tu as jusqu’au 3 décembre 2020. Mais comme je sais que ton anniversaire est le 29 décembre, je te laisserai trois semaines de plus « , a conclu la jeune et gentille future échevine du protocole, des anciens combattants et du bien-être animal.
Serge Beghin
» – Serge, tu es sûr d’encore vouloir faire de la politique ?
– Euh, Paul, mais…
– Non, mais je demande. »
Il est surpris, Serge Beghin, ce jeudi-là, quand Paul Magnette lui pose cette drôle de question. Parce que Serge Beghin, il n’a jamais fait que ça ou à peu près, de la politique locale. Il avait même déjà été échevin à l’époque des affaires, brièvement parce qu’il avait signé, comme tout le monde, les PV du collège dit » de régularisation des casseroles de Claude Despiegeleer « , et qu’il s’en était trouvé inculpé quelques mois plus tard. A part ça, le Moncellois, échevin sortant du troisième âge, vrai gentil, ne s’est jamais disputé avec personne, sauf peut-être un jour de cagnotte, en fin de soirée, au Supra, sur la place Albert de Monceau-sur-Sambre, où il a tant ses habitudes qu’on lui disait souvent, pour rigoler, qu’il aurait dû y installer son bureau. Pas méchant, donc. Pas rebelle, et pas bourreau de travail non plus. » Il faut voir ce que c’est, Beghin qui préside une réunion. C’est trois actions en deux verbes : il ouvre la séance, et puis il la ferme « , résume un socialiste affûté. Il se croyait peinard, l’échevin sortant, avec ses 2 269 voix de préférence du 14 octobre. C’était certes un peu moins qu’en 2012 (2 586), mais le cinquième socialiste carolorégien le plus populaire se voyait bien prolonger au collège. Alors, oui, cette question du bourgmestre avait de quoi le surprendre. Sa surprise avait une explication : avant ça, Paul Magnette avait parlé à Thomas Parmentier, de la SA Parmentier, entrepreneurs politiques provinciaux de père en fils. Le jeune Ransartois, très actif comme son ancien échevin de père, Marc (et comme sa maman) dans les secteurs des maisons de jeunes et des institutions provinciales hennuyères, avait réussi sa première élection (1 449 voix, dixième score socialiste). Ces dernières années, Marc Parmentier avait beaucoup aidé Paul Magnette dans ses combats d’appareil, et ce sont des choses, bien sûr, qui se paient. Alors Paul Magnette s’était d’abord dit qu’il garderait Serge Beghin trois ans, et puis qu’il le ferait remplacer par Thomas Parmentier. Mais Thomas Parmentier a insisté. On allait envoyer Serge Beghin présider la puissante intercommunale Igretec, c’était entendu. Mais il fallait trouver autre chose, en plus. Alors Thomas Parmentier a proposé d’engager Serge Beghin au cabinet de Marc Parmentier qui, à la Province du Hainaut, venait de se fignoler un poste d’inspecteur général en charge des grands projets carolos. Aujourd’hui, Serge Beghin reste un pilier du Supra, est conseiller communal, président de l’intercommunale Igretec, et attaché à 4/5e temps au cabinet du papa de celui qui lui a soufflé son siège d’échevin. A-t-il vraiment jamais fait de la politique, au fond ? On demande.
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