Hommage à Charlie Chaplin et aux "Temps Modernes" © REUTERS

C’est le moment de… (re)voir Les Temps Modernes

François De Smet président de DéFI 

Lorsqu’il réalise Les Temps modernes en 1936, Charlie Chaplin sort son dernier film muet – et le seul, pour l’anecdote, où l’on entendra la voix d’un Charlot, chantant sa Nonsense Song. Chaplin y traite de la condition ouvrière à la chaîne, du chômage, des mouvements sociaux. Son personnage Charlot, auquel le public était fortement attaché, doit survivre dans un monde du travail marqué par les suites de la Grande Dépression.

Charlot fait de son mieux à la chaîne, puis dans le restaurant qui l’emploie, avant que la fin du film ne l’envoie sur les routes d’une vie de bohème en charmante compagnie.

En des temps sociaux troublés où se succèdent grèves et mouvements sociaux, (re)voir Les Temps modernes permet de se rappeler que le rapport au travail est un questionnement inhérent à la modernité ; la manière dont l’être humain se conçoit comme travailleur est le reflet évolutif de la manière dont il se conçoit comme force de travail, mais aussi comme être de désirs. La révolution industrielle avait engendré, comme rançon du progrès, le drame de la condition ouvrière, qui a réclamé et obtenu des droits sociaux importants. Ces espaces de vie arrachés au travail ont redessiné notre rapport au temps et à l’existence. Congés payés, retraite, allocation de chômage offrent un filet de sécurité tandis que la réduction du temps de travail permet aux hommes de se construire des vies intérieures échappant aux seuls besoins de subsistance.

La relation au travail est en perpétuelle réinvention. L’émergence d’une société de services caractérisée par la prépondérance du secteur tertiaire fait naître des métiers de bureau, d’écrits, de paroles et de chiffres, liées à des capacités de réflexion, de négociation, de parole, d’anticipation, bref de matière grise. S’en souvient-on assez ? En français le mot « travail » vient du mot latin tripalium, qui désignait un instrument de torture. Culturellement, tout cela avait bien mal commencé, il est vrai : d’après la Genèse, l’homme est astreint au labeur depuis qu’Adam et Eve ont croqué le fruit de la connaissance – le travail comme punition, en somme. L’une des victoires de la modernité est d’avoir transformé ce rapport doloriste : en diminuant la pénibilité du travail, en démocratisant son accès, et en multipliant les emplois qui épanouissent au moins autant qu’ils aliènent.

Car tel est bien le problème : nous ne sommes pas tous à égalité dans notre relation au travail. Pour les uns, il reste un asservissement désagréable, une corvée de chaque instant, une boule au ventre du dimanche soir, une pénibilité dont il convient de se libérer au plus tôt – à 17 heures ou à 65 ans, pour enfin commencer à vivre. Pour d’autres, le travail est un épanouissement, une partie de la vie et non une condition de celle-ci, un lieu de construction où l’on renforce son estime de soi en ajoutant une plus-value au monde qui nous entoure. La réflexion sur le travail devra demain intégrer cette injustice : la retraite, les avancées sociales, le chômage ne sont pas des réalités semblables selon qu’on se réalise ou que l’on s’aliène par son emploi. Dans un univers où certains économistes nos prédisent la fin prochaine du travail industriel, où l’économie collaborative taille des croupières dans les niches les plus diverses, où les fruits de la robotisation sont loin d’engendrer des dividendes pour tous, il est naturel qu’émergent des modèles alternatifs permettant de diminuer la dépendance au travail subi, telle l’allocation universelle. Car convenons qu’il se sera de plus en plus ardu de convaincre demain les travailleurs de ne prendre leur retraite qu’à 65, 67 ou 70 ans si ce monde du travail reste pour tant de gens, de manière indissociable, le chemin obligatoire pour échapper à la misèreetune corvée désagréable – il faudra lâcher du lest sur l’un, l’autre, ou les deux.

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