Laurent de Sutter
C’est le moment de…(re)lire « repenser l’impôt »
Pour la plupart des citoyens des pays dits « développés », il est un mot qui, entre tous, symbolise la faillite des Etats à se présenter comme autre chose que l’organisation plus ou moins systématique du brigandage à grande échelle : le mot « impôt ».
Plus que jamais, les raisons sur lesquelles reposent les mécanismes de taxation semblent avoir perdu toute capacité à mobiliser d’autres individus que les zélés fonctionnaires en charge de leur perception – ou que les ministres avides de combler les trous de leur budget. De fait, face à l’incurie de plus en plus prononcée des pouvoirs publics, dont la seule tâche semble être désormais de rendre chaque jour la vie de davantage d’individus impossible, l’idée d’une dîme servant à financer la vie publique a perdu tout ce qui lui restait de sex-appeal. Ne subsiste d’elle que quelques vagues injonctions morales, auxquelles ceux qui sont encore en position de payer ne se plient que parce que le bâton du redressement fiscal risquerait, sinon, de s’abattre sur eux – c’est-à-dire de les abattre tout court.
Quant à ceux qui disposent des moyens de jongler avec les règles d’imposition afin de mieux s’y soustraire, cela fait longtemps que lesdites injonctions ne les touchent plus, au grand scandale d’une portion toujours plus vaste de la population. Il est vrai qu’au contraire de ce qu’on croit souvent, l’impôt n’a jamais eu pour objet l’instauration d’une solidarité, quelle qu’elle soit, à l’intérieur d’une société donnée ; son seul but a toujours été de permettre au pouvoir de vivre sa vie de dépensier. De l’institution romaine du fisc à l’instauration de l’impôt moderne, en passant par les diverses dîmes et taxes du Moyen Age et des Temps modernes, la logique de l’imposition a toujours été la logique du plus fort – et non celle de tous. Il se fait, toutefois, que l’évolution politique des démocraties occidentales a modalisé ce mécanisme d’extorsion de quelques réserves donnant à croire que ce qui est bon pour l’Etat est bon pour tous – et que donc ce qui est payé à l’un bénéficie aux autres.
Aujourd’hui que la faillite pure et simple guette la plupart des gouvernements, ces réserves n’ont plus lieu d’être ; seule compte l’urgence – pourvu que celle-ci ne mette pas en danger les relations privilégiées que les autorités entretiennent avec les propriétaires et les industriels. Les conséquences en sont tragiques : toujours plus d’impôt pour ceux qui n’ont déjà plus rien à donner ; toujours moins d’impôt pour ceux qui ne cessent d’accumuler du capital et des biens – sans que l’horizon de la faillite des Etats ne s’en éloigne pour autant. Pourtant, ainsi que l’avait suggéré Peter Sloterdijk dans Repenser l’impôt, il y aurait peut-être moyen d’imaginer une autre façon de penser l’impôt, qui ne soit plus basée sur l’extorsion mais sur le sponsor, à la manière qui est encore aujourd’hui celle des mécènes américains – une manière où importe le choix de ce à quoi servira ce que l’on donne. Une culture du don pour en finir avec celle de la radinerie – on peut rêver.
Repenser l’impôt. Pour une éthique du don démocratique, par Peter Sloterdijk, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, éd. Libella-Maren Sell, 2012, 320 p.
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