C’est le moment de (re)lire… Le Horla

François De Smet président de DéFI 

Dans le Horla, nouvelle fantastique rédigée en deux formats différents, en 1886 et 1887, Guy de Maupassant nous plonge dans les angoisses d’un narrateur seul face à un monstre invisible, impalpable, et qui s’insinue peu à peu dans le quotidien d’une maison de campagne à l’ambiance lourde comme une pendule de salon.

Tout l’intérêt de la nouvelle réside dans le doute qui s’instille rapidement chez le lecteur : sommes-nous en présence d’un récit fantastique dépeignant, à la Poe ou à la Lovecraft, l’irruption de l’irréel dans le réel ? Ou s’agit-il du journal intime d’un homme en train de perdre la raison ? Cette dernière hypothèse a d’autant pris corps que Maupassant était lui-même sujet à de graves troubles de personnalité.

C'est le moment de (re)lire... Le Horla
© Wikicommons

Le Horla, « hors-là », est le nom que le narrateur donne à son étrange visiteur, qui rôde autour de lui, déplace ses objets, boit son eau – c’est-à-dire sa vie – et dont il ne peut se prouver la matérialité que par déduction, bruits et jeux de miroirs. Mais le Horla, ce pourrait être tout simplement le double du narrateur, son Mr Hyde, son côté obscur auquel il ne peut faire face, et qui finit par l’enfermer dans la folie criminelle – le narrateur finit en effet par incendier sa maison, domestiques compris, pour tenter d’en finir avec son terrifiant parasite.

Réel ou imaginaire, le Horla n’existe au fond que par la peur qu’il inspire. Ce monstre qui empêche son hôte de vivre par sa seule existence pourrait se réduire entièrement à la peur elle-même, aux agitations mentales qu’elle produit – car que reste-t-il de la peur, finalement, si on lui ôte toutes ses caractéristiques physiques, les mains qui tremblent, la boule au ventre? Voilà qui est intéressant à méditer dans une période marquée par la psychose, où l’on ne compte plus les fausses alertes à la bombe, et qui engendre ses propres troubles secondaires – par exemple le blocage d’un quartier par une ceinture d’explosifs faite de biscuits et de sel. Car la peur a non seulement le pouvoir de paralyser l’esprit, mais elle a également pour effet d’anéantir la confiance en soi, sur le plan individuel comme sur le plan collectif. Ainsi, comme on le sait, le but des terroristes n’est pas de tuer, mais de terroriser les vivants par l’onde de choc médiatique que leurs actes provoquent.

Semer les germes de l’angoisse dans une société permet de miner les bases de la normalité sur lesquelles elle repose : une société dans laquelle des attentats peuvent se produire à tout moment est une société qui ne peut plus assumer l’illusion du contrôle. Les hommes se sont construits des villes, des sociétés, des Etats pour se prémunir des prédateurs et d’entretenir la prévisibilité des événements. La terreur fait voler en éclat le décor de nécessité dont nous avons tant besoin pour jouer nos rôles, et y substitue un brouillard de contingence aussi angoissant que l’est, au fond, l’arbitraire de l’existence.

La peur insufflée par le terrorisme, c’est le Horla moderne. Invisible, impossible à confronter, et pourtant omniprésente : dans nos pensées, nos trajets en métro, nos regards vers un sac suspect. Elle s’insinue comme un salmigondis poisseux. Mais surtout, tel le Horla, son existence ne se réduit jamais à son aléatoire matérialité physique : elle n’existe que dans la mesure où nous acceptons de la craindre, et donc de changer ce que nous sommes. Cette peur ne se décide à exister que parce que nous la nourrissons de nos propres renoncements.

Le Horla, Guy de Maupassant, Poche, 128 p.

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