Thierry Fiorilli
C’est beau comme quand le feu est au stade du crépitement (chronique)
Ça correspond à l’état d’équilibre, à l’état parfait. Exactement quelque part entre l’extinction et la possibilité de l’embrasement.
Il y a des instants de grâce. On est là, à conduire, entre des funérailles où on a vu défiler une vie en une trentaine de photos projetées sur un écran et un match de foot où on doit déposer deux grands ados un peu dégoûtés parce que l’entraîneur ne les fait pas souvent jouer. On se dit que c’est étrange quand même. Et à la radio, sur La Première, il y a une fille qui parle, on ne sait pas qui c’est, on a pris l’émission en cours, qui s’appelle – et ça tombe on ne peut plus à pic – Dans quel monde on vit. Elle a une voix un peu froide, mais elle dit de jolies choses. Pas sur les tourments du monde. Sur ce qu’on est, ce qu’on voudrait, ce qu’on vit. Des choses qui font de certains moments des instants de grâce.
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Elle débarque dans l’habitacle avec le son qu’elle préfère, comme lui a demandé le journaliste. C’est, actuellement, le son du crépitement du feu. Parce que, dit-elle, de sa voix un peu froide mais on se demande si elle ne fait pas exprès, comme si elle devait se contenir, ou qu’elle est un peu sur ses gardes, en tout cas que ce n’est ni le lieu ni l’heure de lâcher tous ces fauves qui tournent en elle, de libérer toutes ces tempêtes qui peuvent se lever sans forcément avoir grondé longtemps avant, « le crépitement, ça correspond à l‘état d’équilibre, à l’état parfait. C’est l’état que je cherche. Toujours être exactement quelque part entre l’extinction et la possibilité de l’embrasement. Moi, j’ai souvent été ou dans l’un ou dans l’autre. Le crépitement, c’est doucement éclairé, c’est chaud, pas envahissant, c’est discret. Le crépitement, c’est un état du feu qui est très très court. Il faut l’enregistrer pour l’entendre longtemps. Et quand on éprouve ce bel équilibre-là, c’est absolument délicieux. Mais c’est bref. Quand on l’atteint, en général, on n’arrive pas à le maintenir. Or, c’est tout l’enjeu. »
On entend alors qu’elle s’appelle Maria Pourchet, qu’elle est là parce que son nouveau roman vient de sortir, il s’appelle Feu, justement, il est en lice pour le Renaudot, et c’est l’histoire d’une passion amoureuse. Cette passion qu’elle connaît, parce qu’elle en a vécu au moins une. Cette passion qui, scande-t-elle, « est la liberté, le dernier des luxes pour les femmes, alors que le XIXe siècle nous a fait croire le contraire, que c’était la destruction, la chute ». En vérité, on n’a jamais rien lu d’elle, on ne connaissait même pas son nom, désolé on n’est que ce qu’on est. Mais ce qu’elle dit sur le crépitement, et la passion, forcément liés, est désormais ineffaçable. On est plutôt flambée, éruption, quand les flammes ressemblent à des tigres qui bondissent, mais cet état précis, « entre l’extinction et l’embrasement » (elle le redit, après, mais dans le sens inverse, « entre l’embrasement et l’extinction », puisque la vie n’est qu’un incessant yo-yo), cet état qu’on n’identifiait pas, ou pas comme ça, elle le révèle et l’éclaire. Et le transforme en instant de grâce.
Comme sur cette route. Entre des funérailles et des gamins à déposer au foot.
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