Thierry Fiorilli
C’est beau comme les odeurs de la vie, par Thierry Fiorilli (chronique)
Elle dit que l’olfaction est à elle seule un monde possible et accessible, sans fin.
Il y a des signes, parfois. On nous dit un matin que « ce serait bien, une application, pour reconnaître les parfums, comme ça existe pour les arbres, les chansons, les vins, dommage qu’on peut pas numériser les odeurs ». Le lendemain, on voit la photo d’une glycine, au Japon, elle a 200 ans il paraît, elle est magnifique, l’horizon bleu violacé, une fée qui lance des pétales, et elle exhale jusqu’ici. Le jour d’après, il fait plus froid dedans que dehors, on enfile le pull qui traînait sur la rampe depuis un moment, et il pue toujours le feu qu’on avait allumé sur la cour, parce qu’on dépassait de la bulle et que c’était prévu grand soleil mais en fait non. Et puis, on tombe sur une interview de Mathilde Laurent dans un trimestriel français (1). Elle crée les parfums chez Cartier, avant c’était chez Guerlain.
Elle dit que l’olfaction est u0026#xE0; elle seule un monde possible et accessible, sans fin.
Un très joli entretien. La parfumeuse y ouvre des routes qu’on n’avait jamais remarquées, même si on passe tout le temps devant. C’est que, regrette-t-elle, « l’odorat est considéré comme un sens mineur », or si on le perd, « on perd goût à la vie, tout simplement. On devrait d’ailleurs parler de l’ odeur de la vie. Ce qui fait que la fraise est la fraise, le pain est le pain, c’est le nez qui nous le dit. » On apprend que « l’être humain peut repérer à peu près dix mille odeurs », mais pour certains scientifiques « ce serait plus proche d’un milliard », qu’il n’y a pas de palettes de parfums comme il y en a pour les couleurs et c’est normal: « Si on voulait les classer, il faudrait le faire au minimum en trois dimensions, si ce n’est en quatre. »
Mathilde Laurent, elle, considère qu’elle « travaille en 9D: les cinq sens, les trois dimensions spatiales et le temps. Car un parfum évolue entre l’instant t, t + 1 heure et même t + 1 jour ». Elle dit que « personne ne sent de manière identique », que « l’olfaction joue un tel rôle dans la santé mentale et physique que la Covid s’assure de son pouvoir dévastateur », qu’il faut « sentir les fleurs, les bois, le béton, l’acier, un ordinateur, un savon, des cheveux, l’eau, le sable, les plastiques » parce que tout a une odeur, que « c’est une impressionnante source de joie et de décloisonnement de la pensée« , que l’odorat est à lui seul un « monde possible et accessible, sans fin ».
Alors, mille parfums ont surgi. Ceux qui servent de signal, de repoussoir. Et ceux qui rendent heureux: des cerises, un drap frais, le bras d’un bébé, le jardin après la pluie, les pinèdes autour de la piste d’atterrissage, l’ail dans l’huile très chaude, l’atelier du chocolatier, le café dans sa boîte en métal, les vestiaires de foot quand on était gamin, des baumes qu’on a juste pour les ouvrir, toutes ces heures d’ éternité où le coeur bat très fort, juste d’euphorie, d’espoir et de fièvre. On a respiré très fort, pour embarquer très loin, très longtemps. Et la vie sentait soudain moins terne. Moins creux.
(1)L’Eléphant, la revue de culture générale, n°34, avril 2021.
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