Thierry Fiorilli
C’est beau comme le poète zingueur, par Thierry Fiorilli (chronique)
Votre corniche est plus simple, elle a pas de bibelots.
Le type, il a sonné alors qu’on n’avait pas besoin de ça en plus. C’était un jour où tout devait filer droit mais ding dong « bonjour, j’ai un colis », toc toc « dis, y a plus de lumière à la cave », les WhatsApp qui préviennent qu’il faut checker ses mails, la visioconférence, les sms qui demandent si on a vu les messages sur Insta, la réponse par téléphone à la question posée sur Slack, ding dong « bonjour, j’ai un recommandé », le chien qui jappe à la fenêtre parce que quelqu’un toise le trou creusé dans le trottoir par les gars du gaz. Le type, il a sonné alors qu’on avait des envies de massacre avant de faire l’ermite très très loin pour toujours.
Re-ding dong, donc. « Bonjour, j’ai une société tous travaux peinture, corniches notamment, et quand je vois les vôtres, j’ai fini un chantier plus loin, je me dis que ça leur ferait pas de mal. » Cinq secondes, on a des images terribles, comme des flashs: le type éclaté dans le trou du gaz, la corde qu’on doit acheter puisqu’on va se pendre plutôt que s’exiler, le chien écrasé par une voiture parce qu’à traverser comme un dingue chaque fois qu’on ouvre à qui sonne c’est écrit. Mais on s’est contrôlé. D’ailleurs, c’est plus des corniches, c’est des lampions en lambeaux. Une heure plus tard, le type avait fait le tour de la maison, dehors et dedans (sauf la cave: pas de lampe de poche), avec, à la clé, un devis oral à l’estimation montagnarde russe (1 400 euros depuis la rue, 5 000 après le gros plan par la lucarne du grenier, 3 500 après la guitare sèche qui traînait sur laquelle il a gratté un air catalan, 4 000 avant de remonter dans la camionnette où son collègue s’était assoupi).
Votre corniche est plus simple, elle a pas de bibelots.
Surtout, il avait l’art de ne pas employer les bons mots. « Pour l’ échelle, pas de problème, je mets des icônes tout autour » ; « Votre corniche est plus simple, elle a pas de bibelots » ; « La guitare, c’est le travail, le travail, le travail, y a pas de mirage » ; « Les feuilles, faut les laisser sous les arbres, ça fait du houmous » et plein d’autres vrais petits bijoux. Une escapade imprévue vers un monde féerique. A des années-lumière des glossaires actuels, avec leurs têtes de prison, de pièces à conviction, d’éprouvettes et de chevaux de frise. Ce type qui scrute les façades avant de frapper aux portes, avec son masque et une carte où il y a un poème qui dit que si vous avez notamment « un toit au-dessus de votre tête, vous êtes plus riche que vous ne le croyez », c’est le Nicolas Boileau-Despréaux des peintres-zingueurs. Qui énonce clairement ce qu’il conçoit, avec les mots qui arrivent aisément pour le dire. Pas justes mais bien plus jolis. Comme quand le gamin disait, quand on n’était pas coiffé, qu’on avait « les cheveux barbouillés ». Et de façon bien plus heureuse que lorsqu’on avait voulu s’exclamer « Oh le gros bâillement » face à sa mère épuisée, mais qu’avait jailli un « Oh la grosse qui bâille » (ça avait fait toute une histoire, qui revient régulièrement sur la table).
Pour les corniches, on verra. Sinon, finalement, c’était un jour où on avait bien besoin de ça.
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