Thierry Fiorilli
C’est beau comme le miracle de Tani, par Thierry Fiorilli (chronique)
Ne croyez donc pas ceux qui diront que c’est trop beau pour qu’on y croie.
Il y a des histoires, ce serait un film, on n’y croirait pas. Beaucoup trop beau pour être vrai. Le petit moins que rien qui devient comme par magie grand plus que tout, ça va hein. Marre de tous ces trucs cucul! Sorry, rétorque Tanitoluwa Adewumi, mais des fois, c’est plus beau en vrai que dans les films. Et le gamin ne raconte pas des carabistouilles. Il a 10 ans, est arrivé à Memphis, aux Etats-Unis, quand il en avait 6, fuyant avec ses parents très chrétiens le Nigeria et les attaques terroristes des islamistes de Boko Haram, et le voilà quatre années plus tard maître national américain d’échecs. Moins d’1% des joueurs affiliés à la fédération US détiennent ce titre, dit-on.
Ne croyez donc pas ceux qui diront que c’est trop beau pour qu’on y croie.
Memphis, c’était parce qu’un oncle y habite, mais la famille a vite fait la route en bus jusque New York, parce que c’est là qu’une nouvelle vie est possible. Elle y loge à l’hôtel Clarion, transformé en refuge pour sans-abri avec repas distribués gratuitement. Avec Austin, son frère, six ans plus âgé, Tani, comme on l’appelle, va à l’école. Où, comme dans la série télé Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit), il découvre les échecs, mais pas grâce au concierge, grâce à une enseignante qui prône ce jeu comme apprentissage idéal de la réflexion, la stratégie, le sens critique.
Après, ça s’enchaîne comme dans les films qui en font trop. Un prof lui donne un échiquier, il joue tout le temps, même dans les parcs, un club d’échecs pour jeunes talents le prend, sans rien à payer parce qu’il est vraiment doué (mais il joue super agressif, semble-t-il, un peu kamikaze, il sacrifie ses pièces à la chaîne, on pense qu’il est fou, qu’il est mort, et puis paf prends ça et game over et victoire pour lui), il se plante à son premier tournoi mais remporte ensuite le championnat new-yorkais pour enfants (il a alors 8 ans), le New York Times fait un article (en mars 2019), les télés suivent, les dons arrivent, de quoi permettre de déménager tous les quatre dans un appartement, Bill Clinton offre un ordinateur pour que le petit puisse s’entraîner, un livre sort en avril 2020 – Je m’appelle Tani et je crois aux miracles -, puis un autre, pour les petits – La nouvelle maison de Tani: un réfugié trouve espoir et gentillesse en Amérique –, papa devient agent immobilier, maman aide-soignante à domicile, ils lancent une fondation pour initier les enfants aux échecs parce qu’ « y réussir, c’est pouvoir réussir dans la vie », et le titre de maître national décroché au début de ce mois de mai. Entrelacés, une authentique histoire de prodige et un véritable conte de fées.
A la clé, un solide échec et mat dans les dents de plein de monde: le nouveau prince des échecs est noir noir noir. Et migrant, en plus. Tellement inespéré, tellement magique que ça ne pouvait pas louper: un film est annoncé. Ne croyez donc pas ceux qui diront qu’il est trop beau pour qu’on y croie.
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