Thierry Fiorilli
C’est beau comme la route de Bashir Abdi (chronique)
Sa force mentale, il est allé la chercher dans les camps de réfugiés.
Le 28 octobre, le Mérite sportif belge a trouvé sa place dans l’histoire du pays. Pour la première fois depuis 1933, il a été décerné à un ancien réfugié. Bashir Abdi, 32 ans, marathonien, médaille de bronze aux derniers Jeux olympiques et auteur du record d’Europe de la distance (2 h 03′ 35 ») le 24 octobre à Rotterdam. Avant lui, deux sportives aux racines d’ailleurs avaient reçu le trophée: Elodie Ouédraogo, en 2007, avec ses trois acolytes du relais 4 x 100 m, et Nafissatou Thiam, en 2016. La première est d’origine burkinabée, la seconde sénégalaise mais toutes deux sont nées sur le sol belge. Bashir Abdi incarne donc un tournant, historique. Qui dépasse largement le domaine du sport.
Sa vie est un roman. Il naît à Mogadiscio, le 10 février 1989, deux ans avant la chute de Siad Barre, qui régnait en dictateur sur la Somalie depuis deux décennies. Il grandit dans un pays qui sombre dans le chaos, la guerre civile, la famine. Au point qu’y est menée la première intervention militaro-humanitaire internationale. Sans succès. La Somalie est toujours une poudrière, les déplacés s’y comptent par millions et la sécheresse ajoute du drame à la tragédie. Bashir a deux frères et une soeur. Sa mère voyage beaucoup en Inde, comme femme d’affaires (dans le textile). Jusqu’à la guerre civile, qui l’empêche de rentrer. Elle aboutit en Espagne, où elle fait des ménages. Puis à Gand. Elle y obtient que mari et enfants, coincés à Mogadiscio, puissent la rejoindre en Belgique. Ils transitent par un camp de réfugiés, à Djibouti, six mois, d’où la Croix-Rouge les tire, en 2002. Direction Gand. Bashir a 13 ans, découvre la neige, suit le parcours d’intégration et l’école en néerlandais, tente sa chance au foot, y fait un flop, est naturalisé belge, perd sa maman décédée d’un cancer en 2011 – son ultime recommandation, selon Le Soir du 9 août dernier: « Essaie de rendre quelque chose à ce pays après tout ce qu’il a fait pour nous » – et se lance dans la course à pied. Il a 17 ans et la belle histoire sportive démarre.
Celle qui fait que désormais on parle partout dans le monde « du Belge Bashir Abdi » et en Belgique « du Gantois ». Celle qui montre, dans la dernière ligne droite des 42,195 km olympiques, l’été dernier, son pote Abdi Nageeye – qui a pour prénom le nom de famille de Bashir, qui est lui aussi né à Mogadiscio, en mars 1989, qui est désormais Néerlandais et qui a raflé la médaille d’argent aux Jeux – l’encourager seize fois de la main et de la voix: « Reste avec moi, on va entrer dans l’histoire. » Celle qui le pousse à fonder une association pour aider les jeunes défavorisés à faire du sport. Celle qui fait dire au magnifique Eby Brouzakis, journaliste à la RTBF, que « si Bashir Abdi n’avait pas eu un tel parcours de vie, je ne suis pas sûr qu’il aurait été un aussi bon coureur. J’ai la conviction qu’outre ses aptitudes physiques, 1 m 78 pour 56 kilos, sa force mentale, il est allé la chercher dans les camps de réfugiés. Bashir Abdi, c’est un Belge de coeur, un Belge tout court, qui par son parcours a valorisé le sport belge. Et je trouve ça beau. »
Ça l’est.
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