Thierry Fiorilli
C’est beau comme la lucarne d’Evry (chronique)
La preuve que la grandeur n’est pas qu’une question de taille.
C’est une bête petite fenêtre carrée, avec un châssis en PVC blanc. Elle mesure quarante-cinq centimètres de côté. Elle est fichée à un peu plus de deux mètres du sol, à mi-chemin entre la porte d’entrée du HLM et un renfoncement du mur en crépi, qui était jaune quand on a construit cet immeuble du 24 rue Jules Vallès, à Evry, dans les années 1970. Durant la journée, elle est ouverte: derrière, c’est le local à poubelles de l’immeuble, faut que ça aère. Un jour de décembre 2019, les gars du coin, qui est plutôt la zone, s’emmerdaient, comme souvent ; ils tapaient le ballon et essayaient de toucher un panneau sens interdit. L’un d’eux a alors vu dans cette bête petite fenêtre, ouverte donc, une cible. Les gars ont essayé, à tour de rôle, depuis le trottoir d’en face, d’y faire entrer le ballon. Bam, bam, bam, bam. Raté, raté, raté, raté. Mais beau raffut. Au point de faire sortir Djibril. « C’est quoi ce bordel!? » On lui explique, il prend le ballon, trottoir d’en face, tir, but. Direct dans la lucarne, mon frère!
Ça devient un défi. Tout le monde tente, on le filme et on le tape sur les réseaux sociaux. Paf, viral! Les médias en parlent, la bête petite fenêtre est baptisée « la lucarne d’Evry », elle fait le tour du monde. Les touristes arrivent et tentent de mettre ce foutu ballon dans ce foutu carré. Et puis, des politiques. Des artistes. Des sportifs. Et une page Wikipédia, sobrement intitulée « Lucarne d’Evry ». Et Adidas qui débarque, pour un spot pub avec Messi: il ne tentera pas le coup de la lucarne mais on la verra, et il tiendra un ballon siglé Evry. Bref, aujourd’hui, le 24 rue Jules Vallès « est bien plus qu’un immeuble d’habitation, comme écrit Houssem Loussaïef, journaliste sportif au magazine After Foot. Il n’y a pas de retombées financières mais le phénomène met du sourire sur les visages et redore l’image de la ville, pour le plus grand bonheur des créateurs du jeu, des habitants et des édiles. »
On impose dès lors des règles: « Les tirs ont généralement lieu entre 17 et 19 heures, raconte Malason, le frère de Djibril, qui est un peu le chef de la lucarne. On évite au maximum les nuisances. De toute façon, je n’ai pas la clé de l’immeuble, seulement celle de la fenêtre. » Le mois dernier, Nenê, un ancien du PSG et de Monaco, qui joue toujours au Brésil, est venu tenter le coup. Bingo! Mais après huit ou neuf essais. Il a fait comme si c’était en Coupe du monde: bras au ciel, course vers les immeubles autour. Les jeunes du coin ont sauté, chanté, dansé. On dit que Neymar pourrait venir. Mais eux voudraient surtout Zidane.
En l’attendant, un gamin de 9 ans l’a mise au fond, du premier coup, le 17 janvier – plus de 500 000 vues en quelques jours sur les réseaux sociaux. Des enfants demandent à leurs parents d’aller voir la lucarne d’Evry plutôt que la tour Eiffel. Et une réplique du mur, en bois, avec la bête petite fenêtre au milieu, vient d’entamer un tour de la France. Les meilleurs tireurs du pays se retrouveront à Evry l’été prochain. Pour un tournoi.
La preuve, comme dit Houssem Loussaïef, que la grandeur n’est pas qu’une question de taille.
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