Jules Gheude
Ces vains combats d’arrière-garde belgicains (carte blanche)
En 1968, le Rassemblement Wallon a vu le jour en réaction aux partis » traditionnels unitaires » qui s’opposaient à toute réforme de l’Etat dans un sens fédéral. On se souvient encore de l’affiche représentant Omer Vanaudenhove, le président du PLP-PVV, avec le slogan » Mon parti, c’est mon pays « , orné du ruban tricolore.
Il fallut l’intervention inattendue du député libéral de Liège, Gérard Delruelle, au « Groupe des 28 », le 2 octobre 1969, pour que les choses évoluent de manière significative : La Wallonie doit recevoir quelque chose sur le plan économique en échange de l’autonomie culturelle que réclame la Flandre. Donnez aux régions des milliards pour régler leurs priorités ! Et Pierre Descamps, le nouveau président national du PLP-PVV de déclarer aussitôt et contre toute attente : Je partage entièrement le point de vue de M. Delruelle. Il vient d’exprimer ici la position de toute la délégation.
Le combat opiniâtre de François Perin le président du Rassemblement Wallon, venait de porter ses fruits. Le lendemain, « La Libre Belgique » titrait : « Monsieur Perin conduit le bal et le PLP entre dans la danse ».
Un an plus tard, le Premier ministre CVP Gaston Eyskens actait la fin de « la Belgique de papa » : L’Etat unitaire (…) est dépassé par les faits. Les communautés et les régions doivent prendre leur place dans des structures rénovées de l’Etat, mieux adaptées aux situations spécifiques du pays. Et le talentueux caricaturiste de l’hebdomadaire « Pourquoi Pas ? », Pino Zac, de proposer une couverture où l’on voit la fusée gouvernementale Eyskens propulsée en dégageant une boule de feu à l’effigie de Pierre Descamps : « Révision de la Constitution – Le PLP à la rescousse ».
L’affaire de l’Université de Louvain – le fameux « Walen buiten » – en 1968, avait entraîné la scission immédiate du PSC-CVP en deux ailes linguistiques. Les libéraux et les socialistes suivirent le mouvement, respectivement en 1972 et en 1978.
Cette évolution, après la fixation de la frontière linguistique en 1962, marquait irrémédiablement le caractère dual du pays.
La mise sur pied effective du fédéralisme nécessita de nombreuses et longues palabres : mise sur pied de la régionalisation préparatoire en 1974, régionalisation de la Flandre et de la Wallonie en 1980, régionalisation de Bruxelles en 1988… Ce n’est qu’en 1993 que la Belgique devint officiellement, selon les termes de la Constitution, un Etat fédéral qui se compose des communautés et des régions.
Ce long cheminement trouve son explication dans la réticence profonde de la Flandre à reconnaître Bruxelles comme une Région à part entière.
Le Premier ministre Jean-Luc Dehaene s’était arrangé, avec l’aide de ses « Toshiba boys » qui disposaient du matériel informatique le plus performant, pour pondre une loi de financement qui devait, à court terme, étrangler la Communauté française. Les francophones furent ainsi contraints, en 2001, de concéder de nouvelles avancées institutionnelles en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes.
Et pour que la Flandre s’érige définitivement en Nation territorialement et linguistiquement homogène, il fut procédé, après une crise politique de 541 jours en 2010-2011, à la scission de l’arrondissement de Bruxelles->Hal-Vilvorde.
Les francophones avaient conçu le fédéralisme comme une finalité. Mais l’adoption, par le Parlement flamand en 1999, des cinq résolutions d’inspiration confédéraliste – l’idée avait été lancée, dès le début des années 90, par le ministre-président flamand CVP Luc Van den Brande – apporta la preuve que la Flandre visait encore plus loin. De Nation, elle entendait s’émanciper en Etat. On vit d’ailleurs Kris Peeters, ministre-président flamand CD&V, se profiler de plus en plus comme le chef d’un Etat souverain. Ainsi, accompagnant une mission du prince Philippe au Vietnam, en mars 2012, il n’hésita pas à s’éclipser pour se rendre au Myanmar afin d’y rencontrer la dissidente Aung Suu Kyi. Quant au président de la N-VA, Bart De Wever, il fut reçu avec tous les honneurs par le Premier ministre britannique David Cameron, le 18 mars 2011 : « Cameron déploie le tapis rouge pour la N-VA », titra « La Libre Belgique ».
Au vu de ce qui précède, il est clair que Georges-Louis Bouchez, le nouveau président du MR, rame à contre-courant de l’Histoire. Il ne s’inscrit nullement dans la tradition incarnée par feu Jean Gol, dont le Centre d’Etudes du parti porte pourtant le nom.
Jean Gol avait combattu de toutes ses forces le très belgicain Omer Vanaudenhove. Il savait que le rouleau compresseur du nationalisme flamand ne s’arrêterait pas et ne laisserait aucune chance à la Belgique. Son souci était de préparer l’avenir « post-belge » des Wallons et des Bruxellois. En témoigne ce petit mot manuscrit qu’il adressa à François Perin en réaction à l’article que celui-ci avait fait paraître dans le « Pourquoi Pas ? » du 9 mars 1983, sous le titre « Et si les Flamands proclamaient leur indépendance ? » :
Je suis d’accord à 100% avec votre article du « Pourquoi Pas ? ». Mais le délai est sans doute un peu plus long ; je ne suis pas fonctionnellement en position d’exprimer publiquement mon accord (Ndlr : il était alors vice-Premier ministre et ministre de la Justice). J’agis cependant chaque jour pour préparer cette échéance et une réponse francophone de survie digne, raisonnable et dans l’ordre.
Jean Gol décéda brusquement le 18 septembre 1995. Pour avoir eu de très nombreuses conversations avec lui, je peux témoigner ici qu’il ne voyait d’avenir wallon pérenne qu’au sein de la République française.
Force est de constater que l’échéance dont il parlait en 1983 est sur le point d’arriver. Le temps n’est donc plus aux vains combats d’arrière-garde belgicains, mais à la lucidité vitale. Il est des héritages précieux qu’il ne faut pas brader !
Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie pour la France » , Editions Mols, 2019.
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