Ces jeunes qui décident de devenir bergers en Wallonie (reportage)
Venus de tous horizons, Amandine, Barthélémy, Pierre, Marc et bien d’autres ont décidé de devenir bergers. Avec eux, le secteur ovin wallon se réinvente.
Entre les jardins et sous les arbres du village d’Angre, dans le Hainaut, des sentiers serpentent à peu près dans toutes les directions, de l’église au cimetière, du terrain de balle pelote aux champs. Un réseau de chemins de terre bien pratique pour tout qui travaille au sein même du patelin. Comme Amandine, qui y élève des brebis avec son compagnon Barthélémy. Ce lundi matin, après avoir trié la laine fraîchement tondue sur le pas de sa porte, elle traverse le pont du ruisseau de la Grande Honnelle pour s’en aller nourrir ses brebis, quatre «Laitiers belges» et quatre «Lacaune». «J’ai longtemps eu une vision très genrée de l’élevage, confie-elle en chemin. Je me disais que c’était un métier physiquement impossible pour une femme.»
Aujourd’hui, près de 40% des éleveurs ovins ont moins de 45 ans.
En 2016, séduits par le soleil, des prix attractifs et l’envie de vivre une aventure professionnelle à deux, Amandine et Bart ont pourtant racheté des parts d’une ferme du Lot, dans le sud-ouest de la France. «Lui connaissait le milieu, pas moi, sourit la bio- ingénieure de formation. J’ai été directement et intégralement plongée dans l’élevage… et j’ai compris que c’était réalisable. Par la suite, on a continué à se former, on a fait de la traite, de la transformation de fromage, des marchés.» Et des enfants. Deux. A l’hiver 2022, après six ans sur place, le couple a ramené sa descendance et son expérience en Belgique par souci logistique et par envie d’être paysan chez soi.
Consommation réfléchie
Selon le Collège des producteurs, on comptait 587 éleveurs professionnels – c’est-à-dire possédant plus de trente bêtes de plus de 6 mois – et 55 966 brebis en Wallonie en 2022, soit une augmentation de près de 25 éleveurs et de 2 469 bêtes par an depuis 2015. Alors que l’agriculture classique craint le vieillissement de sa population, près de 40% des éleveurs ovins ont actuellement moins de 45 ans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: le mouton plaît. Principalement pour la production de viande, mais également en activité laitière. Un engouement qui s’explique par la facilité à se lancer rapidement à petite échelle, l’accessibilité aux femmes et aux néoruraux et la possibilité d’exercer en tant qu’indépendant complémentaire, voire à titre de hobby. «Les petits ruminants véhiculent une image plus verte, plus sympa, qui renvoie à des contes pour enfants, ajoute François Claine, docteur en sciences vétérinaires. Et puis, il y a cette envie de reconnexion à la nature et au vivant, ce souhait de s’inscrire dans une démarche de circuit court, d’être acteur de la consommation réfléchie.»
Arrivée sur une crête d’Angre, Amandine traverse un jardin et, derrière des groseilliers, accoste ses huit drôles de dames, couchées à l’ombre d’un frêne. Des graines au sol pour les adultes et dans un seau pour l’agnelle la plus jeune, qui n’a pas encore de nom. «Vu qu’on compte les traire, il faut qu’on les habitue à nous, qu’elles nous fassent confiance, glisse-t-elle tandis que Bart revient de sa matinée au service de remplacement agricole. Pour le moment, Amandine est au chômage. Le couple devrait vendre ses premiers fromages de brebis en avril 2024. «On veut contribuer à ramener les gens vers une consommation plus locale, que ce soit pour l’alimentation ou dans la vie quotidienne, plaide le couple. Cela passera par une familiarisation à la différence entre le fromage de chèvre, qui a un goût typé, et celui de brebis, beaucoup plus doux et gras.»
Changement de statut pour les nouveaux bergers
Amandine et Bart se sont rencontrés durant leurs études en agronomie à Gembloux, mais beaucoup de nouveaux bergers ont des parcours bien différents, venus du monde de la banque, de la chimie, de l’Horeca ou du secteur de l’événementiel, débarqués sans réelle connaissance préalable. Comme Pierre, 20 ans, originaire de Sclayn, en province de Namur. Plus jeune, quand d’autres réclamaient une guitare à leurs parents, lui a voulu des moutons. «Pour faire quelque chose des prairies derrière la maison», soutient-il. Un examen de maths réussi plus tard, il lance son cheptel avec quatre bêtes. Puis se met en tête d’en faire son métier. Ce sera à Géronsart, près de Couvin, dans une ferme familiale. A 80 kilomètres de chez lui, là où il ne connaît personne, simplement animé par la passion. «Je reviens de trois mois en Irlande où j’ai appris le métier dans deux élevages de taille différente. Je suis accompagné par la FJA (Fédération des jeunes agriculteurs) et je n’ai plus qu’à fournir un dossier d’installation pour demander des aides européennes.» Pierre commencera avec 10 hectares en janvier 2024 avant de s’agrandir progressivement. Il a déjà commandé cinquante agnelles à son mentor, Marc Remy, chez qui il est actuellement en stage.
On veut contribuer à ramener les gens vers une consommation plus locale.
Ce jeudi midi, après avoir tondu quelques brebis dans un patelin voisin, l’élève et le maître rentrent à l’étable à Sart-Saint-Laurent. C’est à l’ombre de son chalet finlandais, son chien Tia à ses pieds et la fresque d’une agnelle dans son dos que reçoit celui que l’Association wallonne de l’élevage a nommé «éleveur wallon de l’année» en 2018. Ces dernières années, tandis que son cheptel passait de cent à 350 brebis et qu’il obtenait la certification bio pour ses bêtes viandeuses, Marc Remy a eu le temps de voir l’univers ovin changer de statut. «Quand j’ai repris l’exploitation de mon père il y a environ trente ans, ce n’était pas très bien vu: j’étais un peu un extraterrestre qui s’occupait de la “vache du pauvre”. En même temps, il n’y avait que dix éleveurs professionnels en Wallonie donc c’était facile de vendre.»
Aujourd’hui, Marc voit d’un bon œil l’arrivée de novices «pour remettre en question de vieilles pratiques et apporter une vision neuve». Il est persuadé que la période Covid et la guerre en Ukraine ont forcé les gens à comprendre «que l’on n’était pas assez autosuffisant. Aujourd’hui, 85% de la viande ovine consommée en Wallonie est importée, notamment d’Australie et de Nouvelle-Zélande.» Cela laisse la porte ouverte aux nouveaux bergers, pour autant qu’ils puissent, comme Marc, s’appuyer sur des initiatives telles que Paysans artisans, une coopérative portée sur la commercialisation de produits alimentaires artisanaux et locaux.
Question de pâtures
«L’avantage de commencer en ovin, c’est de pouvoir un peu “chipoter”, reprend Marc. L’élevage est beaucoup plus technique que celui des bovins, mais il demande aussi moins d’investissements: on peut, par exemple, se lancer avec deux brebis et les faire paître dans un jardin.» Ou huit brebis et plusieurs prairies, comme le font Amandine et Barthélémy à Angre. Après avoir annoncé le début de leur aventure sur les réseaux sociaux, les Hennuyers ont reçu de nombreuses propositions de voisins prêts à mettre une pâture à leur disposition. «On refuse les jardins domestiques: les brebis arracheraient tout, rigole le couple, qui organise des transhumances presque toutes les deux semaines entre les différentes parcelles. «On rêve de plus grandes prairies, mais on sait que c’est difficile dans un contexte où il y a de moins en moins de surfaces agricoles et des fermes de plus en plus grandes.» Pour les aider, les Angrois peuvent compter sur l’asbl Creo, qui accompagne les projets avec une vision écologique et durable par le biais des formations, un accompagnement individuel ou des conseils dans la recherche de subsides. Ils ont aussi remis leur candidature au Collège des producteurs qui soutient (par des services) des projets d’installation ou de développement de troupeaux ovins. Il y a encore du boulot, mais Amandine et Barthélémy se veulent confiants. «On savait que ça ne serait pas facile, mais on a décidé de faire comme si ce n’était pas grave.»
Le cas de la laine
En parallèle à la production viandeuse et fromagère, le secteur ovin wallon tente aussi de valoriser sa laine, aujourd’hui principalement exportée vers la Chine – pour quelques centimes le kilo – puis réimportée sous forme de produits finis. Ancienne étudiante en mode indignée par la pollution et le manque d’éthique du secteur du textile, Pauline Dornat a décidé, avec son projet Blackwool, de créer des tapis, des coussins et des plaids. «Je travaille avec la laine des moutons de David D’Hont, un berger qui exploite des écopâturages autour de Bruxelles, précise celle qui a appris seule à transformer la laine. Pour le moment, on ressent beaucoup d’intérêt, mais qui aboutit encore à peu d’achats.» Alors Pauline organise des ateliers pour expliquer au public les étapes de transformation et justifier pourquoi une pelote coûte vingt euros et pas cinq. «Certains reviennent quelques mois plus tard avec un projet de commande.»
A la suite de la disparition du négociant verviétois DBCwool, les possibilités de collecte de laine en Wallonie sont réduites, ce qui laisse beaucoup d’éleveurs sur la paille… en attendant d’autres initiatives de transformation telles que Blackwool? L’association Atelier laines d’Europe, dont le but est de développer la production et la transformation de la matière à travers des accompagnements, des rencontres et de la sensibilisation, vient d’ouvrir une antenne en Belgique.
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