Ces communes flamandes qui ont résisté à la vague N-VA
Aux communales de 2012, le parti nationaliste a étendu son pouvoir au Nord du pays. Toute la Flandre n’a cependant pas suivi ce mouvement. Dans les communes de Herne et de Lierde, il n’a même pas atteint les 10 % des votes.
Sur la place, il ne reste plus rien du marché annuel. Seul un ouvrier communal, mordillant son cigarillo, s’acharne à attraper des gobelets que le vent s’amuse à emporter. La veille, la petite commune de Herne accueillait 30 000 personnes lors de cet événement incontournable organisé dans cette bourgade de 6 500 habitants du Pajottenland. Cette année, et contrairement aux autres éditions, il n’y eut pas de stand de la N-VA. Il faut dire que le parti nationaliste n’a jamais réussi à s’imposer dans cette commune où le CD&V règne en maître depuis 1976.
Pourtant, il y avait une carte à jouer, celle de la tache d’huile francophone, vieille rengaine du nationalisme flamand. La commune à facilités est à quelques kilomètres de la Wallonie et d’Enghien, et les francophones sont nombreux à s’y installer. Dans son programme, la N-VA voulait défendre avec force le caractère flamand de la commune, en s’opposant au laxisme linguistique des autorités locales. » Nous demandons aux citoyens qu’ils apprennent notre langue « , déclarait en 2012, le président de la section locale de la N-VA, Wim Lauwaert.
Sans succès, apparemment. Avec 7,2 %, le parti y a fait son plus bas score en Flandre lors des dernières communales, alors que dans les communes aux alentours, la N-VA réalisait des résultats entre 20 et 30 %. Depuis, malgré une tentative de recomposition des troupes en 2013, la sauce n’a pas pris. Sur son site, la N-VA indique même qu’il n’y a pas de section à Herne, faute de militants.
Un parti sans structure
A Herne, les choses semblent immuables. Après avoir succédé à son père, Kris Poelaert est devenu bourgmestre, l’un des plus jeunes du pays et l’un des mieux élus de Flandre avec plus de 50 % des suffrages. Poste qu’il occupe depuis 2001 avec une majorité démocrate-chrétienne. Ici, pas de manières : tout le monde l’appelle Kris et sait qu’il peut l’appeler à tout moment. L’homme joue d’ailleurs sans problème cette carte de la proximité. Mais il se veut surtout pragmatique, tant face à ses opposants que devant les problèmes communautaires. » Comment voulez-vous que la N-VA perce ici quand 20 % des habitants sont francophones ! « , rappelle-t-il. » Même si nous sommes près de la frontière linguistique, il n’y a pas de problème communautaire à Herne « , admet le bourgmestre. » Auparavant, il est vrai qu’on parlait plus volontiers français à la maison communale. Cela a changé il y a une dizaine d’années. Désormais, si un citoyen a des difficultés en néerlandais, on l’invite dans un bureau à l’écart pour régler son problème. On est très pragmatique, tout en veillant à respecter la loi « , explique l’homme fort de la commune, pour qui l’insuccès du parti nationaliste est dû à son manque d’ancrage. » En 2012, les candidats de la N-VA étaient tous des nouveaux venus. Cinq ans plus tard, le parti n’a toujours pas de structure. Je me demande même qui se retrouvera sur sa liste en 2018… » Si les débats au niveau fédéral l’intéressent peu, le bourgmestre ne le cache pas : il était pour la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvoorde. » Mais je n’étais pas le plus extrémiste à ce sujet. La scission n’a pour ainsi dire rien changé « , avoue-t-il. » Nous avons aussi toujours entretenu de bons rapports avec Enghien, loin des excès que l’on a pu voir ailleurs de part et d’autre de la frontière linguistique. »
Aux prochaines élections communales, Anvers fera l’objet de toutes les attentions
Dans les rues, quelques rares fanions aux couleurs de la Belgique apparaissent ici et là, comme sur la devanture du commerce de Luc, marchand de vélos. » Un client sur deux est francophone. Preuve s’il en est qu’il n’y a pas de problème communautaire à Herne. On n’est pas à Dilbeek et tout le monde reste le bienvenu, même s’il faudrait que les Wallons parlent mieux le flamand. C’est l’éternel problème… » Certains citoyens constatent néanmoins ce divorce entre francophones et néerlandophones dans la commune. C’est le cas de Solange, une Brugeoise vivant à Herne depuis quarante-trois ans et mariée à un francophone. » On nous appelle encore les Brusseleirs, tout simplement parce qu’on n’est pas nés à Herne. L’ancrage local est très fort ici et le bourgmestre l’a bien compris « , relève-t-elle » Entendre le français, cela chiffonne quoi qu’on dise. Certains sont un petit peu racistes à l’égard des francophones, préférant ne pas leur adresser la parole ou simplement les ignorer. Cela s’est accentué ces dernières années « , déplore-t-elle, étonnée que la N-VA ait fait un si bas score dans la commune.
Le choix de l’inconnu
A 25 kilomètres de là, entre Ninove et Alost, la commune de Lierde, en Flandre orientale. Tout aussi verte, tout aussi rurale qu’Herne. Ici aussi, le CD&V est aux commandes et tient à le rester pour longtemps encore dans ce village de 6 500 habitants. Ici aussi, la N-VA peine à percer. En 2012, elle a fait 9,3 % et obtenu un siège au conseil communal, perdu un an plus tard, à la suite de la défection de la tête de liste du parti. Contrairement à Herne, il existe une section de la N-VA qui tente vaille que vaille d’exister. Pourtant, aux alentours, le parti fait bien mieux : entre 25 et 15 % selon les communes. Pour le bourgmestre Jurgen Soetens, il ne faut pas s’étonner de la faiblesse du parti nationaliste dans sa commune. » Il leur manque simplement une histoire, une personnalité afin d’incarner Lierde, souligne-t-il. En 2012, la N-VA représentait le choix de l’inconnu. Le parti n’avait pas de liste complète. Hormis leur tête de liste, leurs candidats n’étaient pas de « vrais » Lierdois. Certains parlaient à peine le néerlandais, ce qui en a étonné plus d’un, surtout quand on connaît les positions de la N-VA à ce sujet. Cela n’a pas pris avec la population, très attachée à cet ancrage local. Je crois que ce sera le cas encore en 2018… »
Un avertissement qui n’effraie pourtant pas le président de la section locale de la N-VA, Wim Janssens : » Notre section a été fondée au printemps 2012, peu de temps avant les élections locales. Partant de zéro, nous avons eu près de 10 % des voix, un résultat plus que décent avec des candidats qui n’étaient pas encore connus des citoyens. En ce qui concerne le nombre de membres, nous sommes dans la moyenne du parti. Leur présence ne cesse de croître, d’ailleurs. Les résultats obtenus par la N-VA et ses représentants tant au niveau régional qu’au niveau national attirent beaucoup de personnes. » En 2018, le parti souhaite faire évidemment mieux et est prêt à prendre ses responsabilités si les résultats le lui permettent. Mais ce n’est pas sur l’aspect communautaire que la N-VA compte peser à Lierde, mais plutôt sur la protection de l’aspect rural de la commune. L’un des enjeux de la prochaine campagne électorale concernera aussi l’éventuelle fusion de Lierde avec Grammont. Une proposition portée uniquement par le parti de Bart De Wever.
Mais dans les rues, dès qu’on évoque la N-VA, on reste pour le moins dubitatif. » On ne les voit pas beaucoup « , reconnaît Clairette, boulangère bientôt à la retraite. » Au gré des scrutins, Lierde a toujours été soit libérale, soit catholique… C’est encore très ancré dans les mentalités. Mais nationaliste, jamais ! Peu de gens osent se revendiquer de la N-VA, considérée par certains citoyens, comme moi, comme un parti raciste. »
Un comportement de déviance
Un témoignage qui corrobore d’ailleurs la sociologie du vote nationaliste en Flandre. » Lierde ou Herne appartiennent à ces régions où la N-VA a le plus de mal à percer. Il s’agit de l’espace à proximité de la frontière linguistique avec la présence parmi la population, même si cela représente 6 à 8 %, de francophones qui auront peu de chances de voter pour un parti comme la N-VA « , confirme le politologue, Pascal Delwit (ULB). » A une ou deux exceptions près, les communes au nord de la Flandre – et celles autour d’Anvers – votent bien plus pour le parti de Bart De Wever que les communes du sud, et en particulier celles à proximité de la Wallonie où la N-VA réalise des scores faibles. » Un phénomène d’autant plus marqué que ces communes sont petites et qu’il y existe, comme à Herne ou à Lierde, une tradition de forte implantation de partis tels que le CD&V. » L’arrivée d’une nouvelle offre politique comme la N-VA peut être considérée dans une commune rurale comme un comportement de déviance. Surtout quand il s’agit d’un choix politique séparatiste « , poursuit Pascal Delwit.
Néanmoins, les élections communales de 2012 ont constitué, pour la formation de Bart De Wever, une véritable rampe de lancement pour conquérir d’autres niveaux de pouvoir. » La N-VA a d’ailleurs joué par la suite cette carte communale, en mettant sur ces listes nombre de bourgmestres, d’échevins ou de conseillers communaux. De ce point de vue-là, le cumul des mandats y est vécu de la même manière que dans les autres partis « , rappelle, de son côté, Jean Faniel du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques).
Aux prochaines élections communales, Anvers fera certes l’objet de toutes les attentions. Mais un enjeu majeur concernera les autres grandes villes flamandes : Louvain, Bruges, Gand ou Ostende, soit autant de bastions socialistes. » Une des volontés de Bart De Wever a été de mettre les socialistes dehors. Il l’a fait dans sa ville, à la Région et au fédéral… Il y a peu de doute qu’il ne le fasse pas en 2018, là où son parti aura accédé au pouvoir « , prévient déjà Jean Faniel.
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