Céline Tellier et Antoine Lebrun, les Nicolas Hulot wallons
Céline Tellier et Antoine Lebrun militaient au sein d’Inter-Environnement et du WWF : les voilà ministre et directeur de cabinet au sein de l’arc-en-ciel d’Elio Di Rupo. Ils expliquent au Vif/L’Express ce grand saut vers la politique. Avec la ferme volonté d’éviter les écueils qui ont rapidement poussé leur homologue français à la démission.
Dans le casting du gouvernement wallon, c’est la surprise. Céline Tellier était secrétaire générale d’Inter-Environnement Wallonie : à 35 ans, la voilà ministre en charge de l’Environnement, la Nature, la Forêt, la Ruralité et le Bien-Etre animal. Elle était le » premier choix » de Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo, qui l’avait trouvée » impressionnante » lors des consultations du début de l’été en vue de constituer une coalition coquelicot, minoritaire PS-Ecolo avec des représentants de la société civile. Pour l’épauler dans sa mission, la ministre a choisi un autre dirigeant d’ONG : Antoine Lebrun, ancien patron du WWF Belgique, devient, à 46 ans, son directeur de cabinet. Tous deux vont s’attaquer à la » crise cachée » de la biodiversité et à d’ambitieux objectifs climatiques. Ils racontent au Vif/L’Express les coulisses de leur grand saut vers la politique et leurs motivations à s’engager pour l’avenir de la Région et de la planète. Avec deux volontés : éviter l’échec vécu entre autres par Nicolas Hulot en France et réussir la mobilisation de toutes les forces vives pour concrétiser les espoirs placés en eux.
Le choix de la politique : « Une opportunité »
Le coup de téléphone de Jean-Marc Nollet est tombé mercredi 11 septembre. Inattendu. Avec cette proposition de rejoindre le gouvernement arc-en-ciel (PS-MR-Ecolo) présidé par le socialiste Elio Di Rupo. Il y a moins d’un an, Céline Tellier terminait à peine son doctorat en sciences politiques et sociales à l’ULB. Le 1er avril 2019, elle était désignée secrétaire générale d’Inter-Environnement Wallonie, l’association au sein de laquelle elle était chargée de missions sur les questions de mobilité. Avant les élections, elle a participé aux débats-solutions organisés par Le Vif/L’Express avec eChange, plateforme d’échanges politiques créée, notamment, par l’Ecolo Jean-Michel Javaux. Sa progression est fulgurante. Mais elle n’était pas programmée. » Avec Jean-Marc Nollet, nous ne nous connaissions pas personnellement. J’ai participé aux consultations en vue de former la majorité coquelicot et le contact avait été positif, mais je ne m’attendais pas à une telle proposition. J’ai dû mener une réflexion ultrarapide. »
Nous avions envie de travailler ensemble et il nous a semblé que ça faisait sens pour réaliser nos objectifs.
Immédiatement après l’appel téléphonique, elle prend langue avec Antoine Lebrun, CEO du WWF Belgique, très engagé avec son organisation dans la lutte pour la préservation de la biodiversité. Elle lui propose une forme de ticket : il serait son directeur de cabinet. » Nous nous sommes avant tout demandé si nous aurions plus d’impact à l’intérieur d’un gouvernement qu’à l’extérieur, prolonge Céline Tellier. Et nous nous sommes dit qu’il y avait une opportunité avec cette déclaration de politique régionale (DPR) très volontariste, qui porte une réflexion forte dans une option de transition écologique. » » Nous avions envie de travailler ensemble et il nous a semblé que ça faisait sens pour réaliser nos objectifs, acquiesce Antoine Lebrun. Nous voulons partir de mesures très concrètes. Sans être dupes : nous savons que ce ne sera pas facile. Et nous avons forcément évoqué entre nous l’expérience vécue par Nicolas Hulot en France. »
Propulsé comme un messie au sein du gouvernement par le président Emmanuel Macron, le fer de lance du combat environnemental a démissionné le 28 août 2018, à la surprise générale, en pleine émission radio. » Je ne peux plus me mentir « , avait-il lancé, en dénonçant les nombreux freins mis à son action. » Dans le cas de Nicolas Hulot, il y avait une énorme pression médiatique et citoyenne, en raison de sa notoriété, souligne la ministre wallonne. C’est forcément moins le cas pour nous, qui sommes moins connus, même si je sens des attentes très fortes et que je reçois un soutien très marqué depuis ma nomination. L’autre différence, c’est que nous sommes soutenus par un parti dont le groupe parlementaire a été fortement renforcé depuis la précédente législature. » » Depuis la démission de Nicolas Hulot, l’assise du mouvement s’est en outre élargie grâce, notamment, au mouvement des Jeunes pour le climat, prolonge Antoine Lebrun. En plus d’un accord de gouvernement progressiste, il y a une lame de fond de plus en plus forte dans la population. »
Encore faut-il qu’elle reste aussi pugnace qu’avant les élections…
L’appel aux citoyens : « Nous avons besoin de soutien »
Céline Tellier et Antoine Lebrun n’ont pas pris leur carte de parti chez Ecolo. Ils s’engagent, avant tout, pour faire avancer leurs convictions environnementales et utiliser les leviers du pouvoir en faveur de la transition. Sans plan de carrière. » Forcément, à partir du moment où la société civile a intégré le gouvernement, elle n’est par définition plus la société civile, reconnaît la ministre. Nous aurons d’autant plus besoin que la population continue à se mobiliser pour nous soutenir de l’extérieur. Nous sommes conscients que la DPR n’est pas un chèque en blanc, il nous faut désormais travailler pour traduire cette ambition sur le plan politique. » Comment y arriver ? » Nous ne sommes là que depuis quelques jours, tempère Antoine Lebrun. Mais il y a une volonté claire de fixer un cap et de créer une dynamique. Dans nos organisations respectives, notre mission était de travailler concrètement, sans songer à se faire réélire. » C’est bien de cela dont il s’agira, ici aussi : ne pas songer au prochain scrutin.
La volonté consiste aussi à faire de la politique autrement, dans la lignée de la logique coquelicot lancée cet été, de façon certes un peu opportuniste, par les écologistes pour tenter d’éviter un retour des libéraux au sein de la majorité. » Nous comptons bien continuer à donner une place centrale à la participation de la société civile « , insiste Céline Tellier. Il n’est pas question de s’inspirer du modèle français d’une assemblée citoyenne tirée au sort, telle qu’Emmanuel Macron va l’initier en octobre, mais bien de regarder vers les Pays-Bas. Chez nos autres voisins, des tables de discussion réunissent régulièrement tous les acteurs susceptibles d’être impliqués afin de mobiliser toutes les énergies. » Nous devons prendre en considération les contraintes qui, de toute manière, vont s’imposer à nous pour générer des opportunités « , plaident en choeur les deux jeunes promus.
Emportés dans un tsunami de sollicitations depuis leur nomination, ils savent qu’ils n’ont pas droit à l’erreur et que les prochaines semaines seront déterminantes pour le reste de la législature. » Notre première priorité consistera à constituer une équipe forte, souligne le directeur de cabinet. Nous sommes conscients de notre manque d’expérience politique et de connaissance des procédures très spécifiques de ce milieu. La deuxième chose consiste à négocier les articles budgétaires et à finaliser les compétences. » » Le fait de nouer de bonnes relations avec l’administration sera essentiel, poursuit la ministre. Alors, nous pourrons définir les quatre ou cinq priorités sur lesquelles nous concentrer dans un premier temps. Nous savons que nous ne pourrons pas tout faire tout de suite. »
L’ambition concrète : « Léguer une planète vivante »
» Notre moteur, c’est le contenu des politiques et l’impact que nous pouvons avoir » : tel est le leitmotiv de ces deux représentants de la société civile embarqués dans une expérience gouvernementale. Céline Tellier et Antoine Lebrun mèneront au moins deux combats de front. Le premier concerne la » crise oubliée de la biodiversité « . » Un tiers des espèces animales et végétales sont menacées d’extinction en Wallonie et 9 % ont déjà disparu « , rappelle la ministre. » C’est un domaine par excellence où l’on peut produire des effets positifs au départ des contraintes « , insiste son directeur de cabinet. La déclaration de politique régionale contient déjà un certain nombre de mesures très concrètes en ce qui concerne les zones protégées ou – c’est déjà devenu un symbole… -la construction de 4 000 kilomètres de haies. » Certains ont raillé cette mesure dans les médias, sourit la ministre. Mais outre le fait qu’elle est positive pour la biodiversité, celle-ci permettra aux agriculteurs de faire face aux sécheresses ou de lutter contre l’écoulement des boues, autant d’effets inéluctables du réchauffement climatique. »
Le deuxième combat concerne, forcément, la lutte contre le réchauffement climatique, dont le grand architecte sera l’autre ministre Ecolo, Philippe Henry, en charge des Infrastructures, du Climat, de l’Energie et de la Mobilité. C’est une urgence absolue à l’heure où de nouveaux rapports scientifiques ont mis en garde ces derniers jours contre une hausse des températures de 7 degrés à l’horizon 2100. » L’objectif fixé par la DPR est très ambitieux puisqu’il vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030, conformément aux Accords de Paris, souligne Céline Tellier. Pour y arriver, nous devons mener des actions fortes en matière d’isolation des bâtiments ou de développement des alternatives au trafic routier – l’accord prévoit d’investir 20 euros par an par habitant dans le vélo ! »
Ces deux Hulot wallons insistent sur la volonté de combiner les trois engagements majeurs de l’arc-en-ciel : redresser l’économie wallonne, lutter contre les inégalités et mener à bien ce combat environnemental. » Les trois priorités peuvent se nourrir les unes les autres, argumentent-ils. Lorsque l’on prévoit un grand plan d’isolation des bâtiments, on réduit la facture énergétique et on crée de l’emploi. Nous devons en tout état de cause préparer le territoire wallon à un choc inévitable et transformer cette crise en opportunité. Une chose est sûre : se mettre des oeillères, ce ne sera pas notre façon de fonctionner ! » Les partenaires PS et MR sont prévenus.
Sur Twitter, Antoine Lebrun a exprimé toute la fierté qu’il avait à rejoindre ce combat-là. Avec ces simples mots : » Nous voulons contribuer à léguer une planète vivante à nos enfants ! » Gageons que ces nouveaux venus ne s’embourberont pas dans le marais des jeux politiciens.
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