Carte blanche
Ceci n’est plus une université – appel pour l’enseignement vivant (carte blanche)
Cet « Appel pour l’enseignement vivant » est signé par une soixantaine d’enseignant-e-s, de chercheuses et de chercheurs, et d’encadrant-e-s de l’Université de Liège, qui cherche à faire entendre l’expérience de la « vie universitaire » en confinement.
Voici maintenant un an que la pandémie détruit la vie universitaire. Le mythe de la « continuité pédagogique » ne trompe désormais plus personne. Il n’est plus tant question de discuter de la fiabilité technique des plateformes ni de l’ergonomie des outils numériques, mais de poser un constat simple et clair: l’enseignement à distance, c’est le contraire de ce que devrait être une université.
Maintenir la fiction d’une « université-à-distance », c’est placer les étudiant·e·s, les encadrant·e·s et les enseignant·e·s dans la position impossible de devoir chaque jour faire semblant que leur rapport aux savoirs et aux apprentissages n’a subi qu’un subtil changement de format, alors qu’il est dans les faits brutalement atrophié. Chacun·e sait désormais les dégâts considérables que le contexte pandémique produit sur la santé physique et mentale, mais aussi sur les projets de vie qui nous animent, à quelque échelle que ce soit.
Nous, chercheur·euse·s et enseignant·e·s universitaires, entendons depuis des mois les souffrances de celles et ceux à qui nous donnons des cours et faisons passer des examens. Les initiatives de soutien psychologique et matériel, les appels à la bienveillance, de même que les voeux pieux de quelques perspectives moins sombres, ne font plus le poids : des étudiant·e·s en fin de Master ont perdu le sens même de leur parcours à l’université, des étudiant·e·s débutant·e·s savent à peine où se trouvent les bibliothèques et les bureaux de leurs enseignant·e·s, toutes et tous ont les yeux et les cerveaux abîmés à s’enfiler des journées de visioconférences face à des enseignant·e·s elles-mêmes épuisé·e·s de parler dans le vide de leurs bureaux. Ces étudiant·e·s sont précédé·e·s par cette masse silencieuse de celles et ceux qui ont lâché prise et n’existent désormais plus qu’en tant que statistiques. Non, ceci n’est plus une université.
Ce constat nous place face à la question: quelle université est possible? La seule qui vaille à nos yeux réclame que soit remplie cette condition minimale : que tous·tes les étudiant·e·s, tous·tes les encadrant·e·s et tous·tes les enseignant·e·s fréquentent les mêmes lieux et les mêmes temps du monde réel. Un cours à l’université implique des corps et du collectif : une matière qui circule par des paroles, des textes, des symboles, à travers des corps qui sont là. L’enseignant·e, même lors d’un cours « magistral », expose son savoir et sa parole à un regard qui s’absente, un sourcil qui se fronce, une main qui note ou pianote frénétiquement sur un clavier, des corps endormis ou attentifs, bref : le savoir est ouvert à son remaniement, sa réélaboration vivante, sa transformation au contact du collectif étudiant dans lequel il est destiné à circuler.
C’est pourquoi il n’y a pas plus de raison à distinguer les quelques « laboratoires » réclamant du « présentiel », de tous les « cours ex-cathedra » soumis au « distanciel », qu’il y en aurait à distinguer la nage en brasse de la nage en crawl : imagine-t-on autoriser la brasse en bassin, mais imposer le crawl hors de l’eau? Pour rendre à nouveau l’enseignement possible, il faut dès lors rendre à nouveau les lieux massivement fréquentables, et rouvrir du temps d’étude pour chacun·e. Si les autorités gouvernementales s’accordent à reconnaitre que l’enseignement supérieur est une « activité essentielle » qui ne peut souffrir d’interruption, qu’elles mettent alors tout en oeuvre pour rendre cette activité effective – même en contexte pandémique. Les salles de cours doivent être multipliées, et aménagées pour permettre une aération optimale, et même parfois pour être simplement fréquentables dans des conditions de confort minimales ; des postes doivent être ouverts pour diminuer la taille de certains groupes et pour améliorer l’encadrement des étudiant·e·s ; enfin du temps doit être donné à une réflexion de fond pour repenser la forme des cours et des cursus – par celles et ceux qui les font. Car c’est bien cela qu’est une université : non pas une machinerie de tubes qui versent des contenus, mais un ensemble de pratiques où la transmission des savoirs est inséparable à la fois d’une forme de vie partagée et d’une reconstruction permanente des cadres mêmes par lesquels les savoirs se vivent et se transmettent.
Nous ne sommes pas épidémiologistes, médecins ou virologues. Nous sommes enseignant·e·s chercheur·euse·s à l’université, et nous faisons le constat que la continuité pédagogique n’a pas lieu. Louer « le courage » et « la ténacité » de la communauté universitaire, se dire « bien conscient·e·s » des difficultés du distanciel ne peuvent plus suffire comme réponse à cet appel : nous demandons d’ouvrir les universités, pour les cours et pour les examens. Et si l’on décide que ce n’est pas possible, que l’on arrête de se mentir et que l’on cherche d’autres modalités de transmission et d’évaluation du savoir que celle qui, sous la forme de la visioconférence (ou de tout autre ersatz de l’interaction pédagogique vivante), s’est imposée pour maintenir coûte que coûte la fiction d’une université qui n’existe plus pour un nombre grandissant d’étudiant·e·s, de chercheur·euse·s et d’enseignant·e·s.
L’université, dit-on, est le lieu de l’excellence, de l’innovation et de la créativité. Il est temps qu’elle le montre pour sauver l’une de ses missions principales: l’enseignement vivant.
Aydogdu Roman
Balthazard Matthieu
Barnabé Fanny
Beets François
Belloï Livio
Bouhon Frédéric
Bourgeois Marc
Cardol Pierre
Caeymaex Florence
Claeskens Magali
Collette Caroline
Compère Aurore
Cormann Grégory
Corswarem Émilie
Delbrassine Daniel
Delbrassine Noëlle
Deliège Jean-François
Demoulin Laurent
Despret Vinciane
Dondero Maria Giulia
Dubouclez Olivier
Durand Pascal
Englebert Jérôme
Fagnart Laure
Gathon Henry-Jean
Gavray Marc-Antoine
Gerkens Jean-François
Glorie Caroline
Goderniaux Alexandre
Godfirnon Maxime
Goin Émilie
Goufo Zemmo Leslie
Habrand Tanguy
Hagelstein Maud
Hamels Laurence
Hamers Jeremy
Hansen Damien
Helali Imen
Herla Anne
Homburg David
Honba Honba Cédric
Huppe Justine
Janvier Antoine
Jousten Lison
Lansmans Alexandre
Leclercq Bruno
Levaux Christophe
Mayeur Ingrid
Mazzucchelli Gabriel
Mercier Clémence
Noweta Alexandre
Pagnoulle Christine
Paulis Chris
Pieron Julien
Pluymers Fanny
Provenzano François
Ramakers Brice
Sauvage Géraldine
Steinmetz Rudy
Swennen Philippe
Thirion Nicolas
Van den Bossche Benoît
Viérin Marie
Wildemeersch Jonathan
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