Carlos Crespo
« Ceci n’est pas une fable ou comment la N-VA ridiculise l’oeuvre d’Ésope »
Il y a 2000 ans, Phèdre, auteur et fabuliste latin, disait » Le mérite de la fable est double : elle suscite le rire et donne une leçon de prudence « . À la lumière de certains faits récents, il conviendrait sans doute de relativiser cette assertion.
L’auteur de la fable du scorpion et la grenouille, sur laquelle nous allons nous attarder, est inconnu. On retrouve néanmoins une version de celle-ci dans l’oeuvre d’Ésope, précurseur grec de Phèdre. L’histoire se déroule de la manière suivante : Une grenouille s’apprête à traverser un cours d’eau. Sur la rive,elle rencontre un scorpion, celui-ci lui propose d’effectuer la traversée sur son dos. La grenouille est hésitante et fait part au scorpion de ses craintes qu’il finisse par la piquer. Le scorpion la rassure en lui faisant remarquer que s’il vient à la piquer durant la traversée, ils mourront tous les deux puisqu’il ne sait pas nager. La grenouille accepte et emmène le scorpion sur le dos. A mi-chemin, l’aiguillon venimeux pique le dos de la grenouille stupéfaite. En guise de justification et avant qu’ils ne sombrent tous les deux, le scorpion explique que telle est sa nature profonde.
Imaginez maintenant une suite audacieuse à cette fable. Par miracle le scorpion et la grenouille survivent à cet épisode funeste et se retrouvent plusieurs mois plus tard sur la même rive. Ils ne sont cette fois plus seuls. Un public se retrouve sur le bord du cours d’eau. Voyant la grenouille sur le point d’entamer à nouveau la traversée, le scorpion lui demande encore de pouvoir être du voyage. La grenouille est dubitative mais la grande majorité du public l’encourage d’accéder à la demande du scorpion. La composition du groupe de ceux qui veulent voir le scorpion sur le dos de la grenouille est hétéroclite. On y retrouve des gens dotés d’une faible mémoire ou non informés de la funeste expérience de la grenouille, des fans du scorpion et même des sadiques qui souhaitent voir le scorpion faire usage de son aiguillon. Ceci n’est pas une fable. Vu le caractère tristement répétitif de la séquence, on est peu tenté de rire et peu enclin à apprendre une leçon de prudence. Cette histoire n’aurait pu sortir de l’imagination pourtant fertile des Ésope, Phèdre et autres La Fontaine. Si quelqu’un la leur avait raconté, ils l’auraient vraisemblablement trouvé ridicule ! Pourtant, il s’agit de la réalité à laquelle nous assistons depuis quelques jours. Avec la N-VA dans le rôle du scorpion et les autres partis poussés à former une coalition gouvernementale avec elle.
Il semblerait presque que l’injonction royale à relancer le dialogue entre les partis politiques se soit transformé en une pression médiatique pour crédibiliser la N-VA comme partenaire incontournable de la prochaine majorité fédérale. Certains éditorialistes ou faiseurs d’opinion se focalisent davantage sur l’approche spécifique des autres formations politiques par rapport à la N-VA que sur le bilan, le programme ou la nature de ce parti. Il faudrait tout de même leur rappeler qu’il est, au mieux, l’allié objectif de l’extrême droite du Vlaams Belang, au pire, son supplétif enthousiaste. Évidemment, c’est plus complexe que de jouer sur les préjugés du public quant à la capacité des politiciens à s’entendre même pour « l’intérêt » du pays. Ont-ils oublié la législature précédente qui a vu différents responsables de ce parti banaliser la parole raciste et s’en prendre verbalement aux berbères, aux migrants ou aux musulmans ? Est-ce dans l’intérêt du pays d’attaquer de manière récurrent certains de ses habitants ? Vivons-nous une amnésie collective qui empêche que l’on se rappelle des discours sécuritaires qui recherchaient davantage l’adhésion que la sécurité des citoyens. Les discours musclés de De Wever et Jambon ont été fort peu suivi de mesures concrètes. Le premier a laissé Anvers se transformer en une sorte de Medellin-sur-Deurne, le second n’a jamais suivi la recommandation de la Sureté de l’État de doubler ses effectifs. Est-ce cela l’intérêt du pays ? Est-ce bien aussi dans l’intérêt du pays de donner des responsabilités à un parti qui ne manquera pas de faire tomber le gouvernement dès qu’un pacte des migrations, ou n’importe quelle autre marotte de l’extrême-droite, sera à l’agenda politique. Qu’est-ce qui pourrait sérieusement nous faire croire que la nature du scorpion a changé en quelques mois?
Mesdames et messieurs les pru0026#xE9;sidents de partis, ru0026#xE9;agissez! Il est encore temps d’u0026#xE9;viter la piqu0026#xFB;re du scorpion!
L’objectif des partis démocratiques qui veulent faire fonctionner les institutions de ce pays et en assurer le développement et la stabilité doit être d’empêcher la N-VA de nuire. La Belgique risque de ne pas survivre à une nouvelle législature qui verrait ses fondements et ses principes sapés par cette formation politique dont le but final n’est autre que d’obtenir dès que possible une majorité avec le Vlaams Belang pour proclamer l’indépendance de la Flandre. Vu leurs résultats électoraux respectifs, ils n’en sont plus très loin et ils discutent déjà comme des futurs partenaires. Peut-être que cinq ans avec la N-VA occupant l’espace médiatique depuis ses strapontins ministériels et avec le Vlaams Belang renforcé et plus vociférant que jamais depuis les travées de l’opposition pourraient suffire.
Mesdames et messieurs les présidents de partis, réagissez ! Il est encore temps d’éviter la piqûre du scorpion !
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