« Ce que vous faites tous les jours et qui donne du sens à votre vie, vous ne pouvez plus l’exercer »
Pour celles et ceux qui ont été obligés de s’arrêter de travailler, cette année a été compliquée. Coiffeurs, restaurateurs, travailleurs de l’événementiel, comment font-ils aujourd’hui pour survivre ?
Impossible de le nier, 2020 aura été une année particulière. Mais comment continuer à vivre lorsqu’on se retrouve forcé d’arrêter son activité ? Différents corps de métiers, crise sanitaire et décisions gouvernementales obligent, ont dû fermer leurs portes. Comment ont-ils vécu cette année difficile, comment vont-ils aujourd’hui ? Le Vif/L’Express a recueilli leurs témoignages.
Laura Wallet : gérante d’un salon de coiffure et centre esthétique
Fortement touchée par cette crise sanitaire en n’ayant pu travailler qu’environ 6 mois sur l’année, Laura Wallet se trouve dans une situation difficile. « Je ne sais pas comment on va pouvoir continuer comme ça. J’ai mis en place un click and collect sur mon site internet où les gens peuvent me commander des produits, mais c’est tout ce que je peux faire. Je ne peux pas coiffer à distance. En esthétique c’est pareil, je ne peux pas épiler ou maquiller les gens à distance », raconte-t-elle.
Aujourd’hui, c’est compliqué tant financièrement qu’émotionnellement. « Financièrement c’est ultra compliqué. Des solutions ont été proposées par l’État au premier confinement, mais pour ma part j’avais des fonds. Donc j’ai fait avec, sans vouloir bénéficier des aides proposées » raconte la jeune montoise. Elle ajoute que « ce sont des aides un peu toxiques. Évidemment j’ai eu la prime générale et le droit passerelle. Sauf que ce droit passerelle sera taxé. Le problème c’est qu’on ne travaille pas, on touche 1200 euros dont on se sert pour payer nos factures en attentes et on te dit que cela va être taxé. Du coup en réalité on reçoit la moitié de 1200 euros ».
Au niveau des crédits, la situation n’est pas simple non plus. « Au premier confinement, l’État a proposé la possibilité de les geler et de les reporter. Mais, évidemment, pas sans frais. Moi, je n’ai pas pris cette option, je me suis dit ça va aller, on va reprendre, tant pis, on va chercher dans les réserves. Finalement, patatras, on est de nouveau dans l’interdiction de travailler ».
Sauf qu’aujourd’hui, elle arrive au bout de ses économies et elle aurait bien besoin d’une aide supplémentaire. Seulement, c’est impossible car selon elle, « quand je téléphone à ma banque, la seule solution qu’on me propose c’est de faire un crédit pour payer mes crédits. À l’heure actuelle, on en est là. Visiblement, les nouvelles ne sont pas extraordinaires et nous ne sommes pas sûrs de reprendre prochainement ».
Ce n’est pas que financièrement que la situation soit compliquée. Mentalement, la jeune montoise a pris un coup sur la tête. « C’est frustrant parce que tu vois tous les autres en train de travailler, dit-elle, tu sors de chez toi frustrée parce que tu ne peux pas travailler et que tu as des factures à payer, mais tu vois du monde partout ». Psychologiquement, c’est difficile. « Se dire que tu avais un boulot qui fonctionnait bien, que tu avais construit ta clientèle, et que du jour au lendemain tout est détruit par un virus et des décisions gouvernementales c’est vraiment compliqué pour le moral« .
En fait, elle aimerait « plus de clarté et de rapidité de la part de l’État. Et surtout des solutions plus logiques. « Soit on nous ferme et on nous donne des primes en rapport avec le chiffre d’affaires et les charges qu’on a, poursuit-elle. Soit ils trouvent des solutions pour qu’on puisse rester ouvert avec des conditions spécifiques« .
Malheureusement Laura n’est pas très optimiste pour la suite. Si la situation n’évolue pas rapidement, « ça engendrera une fermeture du commerce. Quand ça fait plus d’un an que tu n’as pas d’argent, c’est compliqué. En plus quand tu rouvres, ce n’est pas en travaillant un mois que tu vas pouvoir payer tes factures, refaire un stock de produits et payer les taxes et salaires des employés. À un moment il y a un manque de trésorerie et ce n’est plus possible de continuer ».
Selon la gérante du salon de coiffure, « les gens ne se rendent pas compte. Beaucoup continuent à travailler, à consommer et à faire du shopping. Il n’y a que les gens concernés qui comprennent ce qui nous arrive ».
Alain Dewulf, gérant du restaurant « Zinc » à Temploux
Pour Alain Dewulf la crise est arrivée de manière très abrupte. « Personne ne s’y attendait. La première fois comme la deuxième fois, on a eu à peine 24h pour limiter les dégâts », raconte-t-il.
Tout comme Laura Wallet, Alain Dewulf a fait le pari au premier confinement de s’en sortir grâce à ses économies. Il avait cette chance de n’être en retard d’aucun paiement, « mais là j’ai fait partir toutes mes économies « , déclare le chef. Qui ajoute : « et quand j’en parle avec mes confrères, nous sommes beaucoup dans le même cas ».
Le restaurateur est aussi critique vis-à-vis des aides accordées. « On encense les aides qui sont supposées nous aider à garder la tête hors de l’eau, mais dans la réalité ce n’est pas le cas du tout. Ces aides sont bien trop peu importantes et seront taxées plus tard. Ça fait déjà mal maintenant, mais dans l’exercice fiscal de 2020 ça fera encore plus mal. Mon comptable m’a d’ailleurs dit de faire attention, mais je ne parviens pas à mettre de l’argent de côté ».
Malgré tout, à l’inverse de Laura, Alain Dewulf a quand même la chance de pouvoir continuer à partiellement exercer son métier. Il s’est lancé dans le service traiteur. Cependant, « on ne gagne rien en faisant du traiteur, ça permet juste de rester en vie mentalement, d’exister et de se lever pour une raison. Pour le même prix, on s’enferme dans l’alcool et l’inactivité, ça peut aller assez vite », déclare-t-il.
Mentalement la situation est difficile. « Il faut rester solide parce qu’on n’a aucun avenir devant nous, aucune ligne d’horizon. On ne sait pas jusque quand on va rester fermé. C’est ça qui est difficile à vivre. L’incertitude est très pesante car les mises en demeure, les rappels, les coups de téléphone et les factures à payer s’empilent d’une façon dangereuse à tel point que je ne sais pas comment on s’en remet. »
Cela dit, le chef tente de rester positif et de garder espoir : « je suis toujours dans ma cuisine, j’ai même fait quelques travaux, je ne veux pas arrêter ».
Alexandre Velleuer, administrateur délégué de VO Communication
Travailler dans le milieu événementiel n’est pas chose aisée en temps de confinement. « Ça a été un moment assez difficile à vivre. On se retrouve dans une situation inédite. On vous dit que le métier que vous exercez, ce que vous faites tous les jours et qui donne du sens à votre vie, vous ne pouvez plus l’exercer« , raconte Alexandre Velleuer.
Tout son secteur était à l’arrêt lors du premier confinement. Les reports et annulations ont croulé et l’administrateur délégué ainsi que son équipe ont été obligés de se réinventer. Il a effectivement eu plus de chance que Laura Wallet et Allain Dewulf. « Nous avions la possibilité de nous réinventer, de repartir sur des bases solides. » En réalité, « dès que la crise est arrivée, nous avons identifié des points clés sur lesquels on devait très rapidement se développer. Évidemment, la question de la sécurité et de l’expertise nécessaire pour la gestion d’un protocole covid lors des événements ont été des priorités. L’aspect digital aussi. Tout ça nous a permis de proposer des solutions assez rapidement à nos clients ».
Puisqu’il est devenu quasiment interdit de se regrouper pendant ces deux confinements, l’agence a misé sur les événements digitaux. Et cela a plutôt bien fonctionné. Cependant, Alexandre Velleuer reste lucide, « il faut regarder à la qualité des interactions et de l’expérience de chaque visiteur. Participer à un événement de façon digitale, ce n’est pas la même chose que d’être présent. Que ça soit dans les émotions, les souvenirs, la compréhension ou la mémorisation du message. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien, mais c’est différent ».
En effet, selon lui, « les êtres humains auront toujours besoin de se rassembler, d’avoir des interactions sociales. Créer des liens, se rassembler autour de valeurs communes, se sentir membre d’une communauté, vivre une expérience, tous ces besoins mis à mal depuis le début de la crise sanitaire ne font pas partie du passé mais nécessitent d’être repensés« .
Malgré tout il rejoint l’avis général sur le fait « qu’il y a beaucoup d’incertitudes ». « J’ai envie que cette année se termine, conclut-il, pour qu’on puisse enfin faire notre métier qui nous anime ».
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici