Ce que le duo Michel-Reynders lègue à la Belgique et au MR
Les deux poids lourds libéraux partent vers l’Europe. Une page se tourne. Leur héritage est important – et controversé. Un parti à droite ? Un paysage politique ultrapolarisé ? Une Belgique divisée ? Analyse, sur fond de guerre de succession.
C’est une page importante de la politique belge et de la vie du MR qui se tourne. Charles Michel et Didier Reynders vont partir sous les cieux étoilés, l’un à la présidence du Conseil européen, l’autre à la Commission. Pendant près de trente ans, tous deux ont secoué, réformé, agacé, bouleversé et divisé la Belgique. A l’heure du bilan, ils laissent un parti revenu à tous les niveaux de pouvoir, sauf en Région bruxelloise, mais ébranlé par une législature fédérale vilipendée du côté francophone, des résultats électoraux en demi-teinte et les séquelles des guerres claniques du passé. Le combat annoncé pour la succession, avec plusieurs candidats dans les starting-blocks, sera une nouvelle épreuve de vérité. Par ailleurs, le duo Michel-Reynders restera-t-il dans l’histoire comme le sauveur ou le fossoyeur d’un pays sous assistance respiratoire ? Là aussi, l’héritage est controversé.
Voici les cinq grands legs d’un duo qui appartient déjà à l’histoire. Une analyse tout en contrastes.
1. Un MR apaisé, mais menacé de division
L’histoire récente du MR reste marquée par le putsch effectué par Charles Michel pour destituer Didier Reynders de la présidence, début 2011. Un affrontement âpre. Depuis, la guerre ouverte des clans s’est muée en paix des braves, sur fond de participation gouvernementale. Mais les plaies ne sont pas complètement cicatrisées. » Les tensions entre les deux hommes, ou entre leurs proches, ont entraîné des arbitrages complexes, analyse le politologue Pascal Delwit (ULB). Dans une certaine mesure, cela continue : Willy Borsus aurait pu devenir président du parti, mais s’il a choisi le gouvernement wallon par goût personnel, c’est aussi dû au fait que Charles Michel ne souhaitait pas que Jean-Luc Crucke (NDLR : catalogué reyndersien) devienne vice-président de l’arc-en-ciel. »
Cela dit, les années passent. » Ma génération n’a pas connu l’épisode Renaissance, souligne Steve Detry, tout juste élu président des Jeunes MR. La guerre des clans ne nous parle pas. Nous sommes à la fois micheliens et reyndersiens. Charles Michel a été Premier ministre, c’est un peu notre général de Gaulle. Le charisme de Didier Reynders nous a servi de modèle. Quand on fait une phrase piquante, on parle d’une « reyndersienne ». » La jeune génération estime que » Charles et Didier » ont de nombreux points communs. » Charles Michel est plus proche de Didier Reynders que de Louis Michel, déclare Georges-Louis Bouchez, sénateur et délégué général du parti, proche des deux. Donnez-moi une différence idéologique forte entre eux deux et je prendrai position. Il n’y en a pas ! »
La campagne pour leur succession sera une épreuve de vérité. Résultat le 12 novembre. » Le départ de Didier et Charles, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas non plus une catastrophe, insiste Sophie Wilmès, numéro un du MR au fédéral. Le parti est apaisé, les personnalités de premier plan se parlent et veulent travailler ensemble. Vu le nombre de candidats qui se profilent, vous me direz que le parti est déchiré. Non : cela reflète une grande vitalité démocratique. Cela ne m’inquiète pas. »
Denis Ducarme, président de la fédération du Hainaut, ministre fédéral après avoir été chef de groupe à la Chambre, est prêt à se lancer. » Leur départ peut être transformé en une opportunité historique pour le MR, considère-t-il. Nous devons mener cette transition dans le rassemblement. Le fait d’avoir plusieurs candidatures va oxygéner le MR. Ce débat interne sera porteur d’une plus-value collective. Et celui qui n’entre pas dans cette dynamique positive le paierait cash. » Suivez son regard… Un autre candidat potentiel est Georges-Louis Bouchez. Les relations entre les deux hommes sont à couteaux tirés. Des partisans de Denis Ducarme ont déjà mis en garde contre le caractère » individualiste » du Montois. » Tout le monde n’aime pas forcément tout le monde, c’est la vie…, sourit le sénateur. Cela étant, il n’y a plus de grande fracture. Le successeur de Charles Michel héritera d’un parti fort. En 1999, Louis Michel nous a menés au-delà des 20 % et nous y sommes restés. En 2007, Didier Reynders a fait du MR le premier parti de Wallonie. Enfin, en 2014, Charles Michel a décroché la fonction de Premier ministre et un nombre de ministres sans précédent. Son successeur sera confronté à de grands défis, mais ce sont ceux auxquels tous les partis sont confrontés. Les libéraux doivent reconquérir les jeunes et les villes. C’est précisément ce que nous avons réussi aux communales avec la liste d’ouverture Mons en mieux. »
Les députés fédéraux Kattrin Jadin et Philippe Goffin réfléchissent aussi à une candidature. » Personne n’a intérêt à une guerre fratricide « , prévient Steve Detry. Ce serait un échec pour Charles Michel… à moins que cela ne soit le terreau propice à son retour, dans cinq ans. Une candidature de Sophie Wilmès en guise de synthèse ? » Je comprends que l’on me pose la question, nous répond-elle. J’ai un intérêt très prononcé pour les matières fédérales et je suis très attachée au devenir de mon parti. On verra. » » Sophie Wilmès sera potentiellement la première Première ministre de l’histoire de Belgique si la crise se prolonge et notre cheffe de file au fédéral, indique un insider. En tant que présidente, elle n’aurait que des coups à prendre. Tous les cadors sont casés à l’Europe ou dans les gouvernements. La fonction de président est dès lors moins attrayante. N’oublions pas non plus que le poste de Charles Michel est à Bruxelles. Tout cela relativise l’enjeu. »
2. Un parti asséché à l’intérieur
Tant Didier Reynders que Charles Michel, accaparés par leurs missions fédérales, ont délaissé l’animation du parti. » Le fonctionnement était bien trop vertical « , assènent plusieurs interlocuteurs. » Olivier Chastel ne fut président qu’à titre transitoire pendant la suédoise, prolonge Pascal Delwit. Et tant Reynders que Michel se sont appuyés sur une petite structure centrale, avec quelques personnalités clés. Dans une logique de bunker. »
Ce sera l’enjeu principal de la campagne interne, sur fond d’effritement électoral. » Au coeur de mon programme, au cas où je me présenterais, j’entends remettre nos mandataires au centre du dispositif, signale Denis Ducarme. Ils doivent pouvoir donner leur avis et les sections locales doivent être mieux financées. Un autre échec du MR concerne la diversité au sein du parti. Sans transiger sur nos valeurs fondamentales en matière de neutralité, nous devons réussir ce renouvellement. »
» Nous ne devons pas changer nos idées ou nos convictions, mais bien la manière de les communiquer, martèle Georges-Louis Bouchez. Pour cela, nous devons avoir une gestion des ressources humaines beaucoup plus dynamique. Il y a pas mal de jeunes dans les grandes villes que l’on peut aider, soutenir, valoriser… Nos élus locaux doivent être nos meilleurs ambassadeurs. Il faut aller davantage à leur rencontre… Moi, j’ai été dans beaucoup de sections, j’ai expliqué ce que l’on faisait au gouvernement fédéral et je voyais des élus locaux tomber des nues parce qu’ils n’avaient pas compris notre ligne via les médias. Ce qu’on a loupé, c’est ça ! » » Quand Bart De Wever parle, il parle de la N-VA ! « , résume Steve Detry.
3. Une ligne idéologique « droitisée »
En faisant le choix de la suédoise en 2014, seul face à tous les partis francophones, le MR a pris le risque d’apparaître comme un parti très à droite, » scotché » à la N-VA. » La présidence de Didier Reynders avait oscillé entre virage à droite et revirement centriste, analyse Pascal Delwit. Celle de Charles Michel était plus clairement orientée à droite. C’est le reflet de ce que l’on observe ailleurs en Europe. Mais il y a aussi au sein du parti une tension stratégique entre la volonté d’être le partenaire du PS et celle d’être une alternative. Cela n’a pas porté ses fruits sur le plan électoral : une partie de l’électorat centriste a déserté le MR au profit de DéFI ou d’Ecolo. »
Voilà pourquoi Denis Ducarme insiste sur la nécessité de recentrer le message. » Le MR doit être un parti au centre sur le plan social, au centre-droit sur le plan socio-économique et à droite dans les matières régaliennes, en préservant nos droits et nos libertés, plaide-t-il. Sans oublier l’enjeu climatique. Nous devons rappeler la vocation sociale des réformateurs, qui fait partie de notre ADN. » Pour ressusciter le libéralisme social cher à Louis Michel et à son père, feu Daniel Ducarme.
» Idéologiquement, il faut que le parti libéral reste très libéral, rétorque Georges-Louis Bouchez. Recentrer le message ? Non. J’ai la conviction qu’avec une ligne de centre-droit, on peut aller chercher 30 % de l’électorat. Nous sommes à 21-22% : nous avons une grosse marge de progression. Si nous avions l’occasion de refaire une majorité de centre-droit avec le CDH de Maxime Prévot, un jour, nous n’hésiterons pas. Cela ne nous empêche pas de travailler correctement avec le PS et Ecolo pour faire avancer la Wallonie. D’ailleurs, l’arc-en-ciel nous a déjà remis un peu plus au centre du paysage… Nous retissons des liens avec le PS et avec Ecolo, nos liens avec le CDH sont bons : nous sommes paradoxalement le parti qui a les meilleures relations avec tout le monde. » Oublié, l’ostracisme !
Le MR ne renonce pas à la ligne Michel fils. » La participation du MR en Wallonie n’est pas le renoncement du travail effectué au gouvernement fédéral, ponctue Sophie Wilmès. Le MR est toujours prêt à prendre ses responsabilités. » Mais il doit se moderniser. » Le MR a trop longtemps regardé ce que les partis de gauche proposaient avant de se positionner, juge Steve Detry. Bien des thèmes dépassent l’opposition gauche/droite. Une réflexion doit avoir lieu sur la façon d’aborder les enjeux contemporains. Le MR a une carte à jouer face à l’approche corporatiste du PS ou à l’approche technophobique de certains Ecolo. » Traduisez : il y a de la place pour réinventer le MR.
4. Un paysage politique ultrapolarisé
Par son mariage avec la N-VA, le MR a induit une polarisation accentuée du paysage politique francophone. » Et c’est davantage l’héritage de Michel que de Reynders « , souffle le président d’un parti francophone. » » Trente des cent cinquante sièges de la Chambre sont occupés par la gauche et la droite radicales, commente Pascal Delwit. Cela a forcément un impact sur tous les partis traditionnels. Le MR est un parti écartelé. Il suffit de voir comment Denis Ducarme veut à la fois être le « Theo Francken francophone » et suggérer un recentrage de la ligne du parti. »
Un Theo Francken francophone ? » Je parlais de la ligne en matière d’immigration, pas de sa communication « , nuance Denis Ducarme. Qui estime cette polarisation lourde à porter : » Le bilan de la coalition sortante est exceptionnel avec la création de 250 000 emplois, relève-t-il. Mais on ne retient que cette polarisation. C’était très tendu, parfois violent et cela n’a pas donné une image très positive de la politique. Nous devons nous interroger par rapport à ça. »
» Pour beaucoup de nos adversaires, dès que l’on a un chef fort, on l’accuse d’être clivant, s’irrite Georges-Louis Bouchez. Charles Michel et Didier Reynders sont dans le top 5. Quand vous êtes trop bons, en politique belge, on préfère dire que vous êtes trop agressif… Je tire comme enseignement de leur héritage que l’on n’est pas obligé de faire des accords avec n’importe qui pour raconter n’importe quoi… Et tous les deux ont cassé l’idée reçue, tellement implantée en Wallonie, selon laquelle on ne pourrait pas vivre sans le PS. Cela a toujours été un élément fort de la ligne politique de Didier, même si l’orange bleue a échoué en 2007. Charles a réussi avec la N-VA au fédéral, puis avec le gouvernement wallon MR-CDH. Ce n’est pas simple, parce que les socialistes ont une vraie prédominance, mais nous avons désormais des précédents forts. C’est une révolution culturelle. »
5. Une Belgique à nouveau divisée
La Belgique ne sort pas indemne de ces virages politiques. » Charles Michel a une responsabilité par rapport à l’état de tension qui existe entre le nord et le sud du pays, clame un chef de parti francophone. Il a eu avant tout la préoccupation de son parti, avant celle des francophones. » En s’alliant avec la N-VA, le MR aurait mis le loup nationaliste dans la bergerie belge. » Charles Michel avait compris qu’il avait l’opportunité de mener un programme socio-économique avec le communautaire au frigo, riposte Sophie Wilmès. Pendant cinq ans, nous avons eu les coudées franches pour mener de vraies réformes. » » On peut s’interroger sur le bien-fondé de cette stratégie, insiste-t-on chez les verts. Le résultat au bout de cinq ans montre qu’elle n’était pas bonne. » En mai dernier, N-VA et Vlaams Belang ont failli avoir ensemble la majorité !
» Ceux qui affirment que tout irait mieux si l’on avait mis la N-VA dehors en 2014 se trompent, s’indigne Georges-Louis Bouchez. Ils ne veulent pas voir les résultats des élections, ni le fait que la radicalité monte partout en Europe. La gauche est elle-même à l’origine de cette division quand elle dit tout et n’importe quoi, accusant notamment 30 % de l’électorat flamand d’être favorables aux bruits des bottes. Au contraire, l’héritage de Charles Michel, c’est le fait que les francophones soit toujours capables de gouverner avec les Flamands. Il est le seul à construire des ponts. La relation que Charles a pu développer avec Wouter Beke, président du CD&V, c’est du jamais-vu ! »
En fermant la porte derrière eux, Charles Michel et Didier Reynders laissent la Belgique plongée dans une nouvelle crise existentielle. Dont on ne connaît pas encore l’issue, entre des informateurs qui continuent à plaider pour une bourguignonne (N-VA-libéraux-socialistes) et des PS-Ecolo qui espèrent toujours une coalition sans la N-VA. » Ceux-là rêvent tout haut « , prévient Denis Ducarme. » On peut donner deux interprétations aux résultats du 26 mai dernier, décode Pascal Delwit. La première consiste à dire que le fossé communautaire n’a jamais été aussi grand, avec le Vlaams Belang et la N-VA à 45 %, et plaide pour un virage confédéral. Une autre donne à voir des phénomènes relativement communs au Nord et au Sud avec un recul des familles traditionnelles et des votes sanctions exprimant d’autres aspirations de type environnemental ou social. » Le ou la futur(e) président(e) du MR devra choisir son camp. Tous, au sein du parti, estiment en tout cas qu’une nouvelle discussion institutionnelle ferait perdre trop d’énergie. Les urgences sont ailleurs. Et là, il y a unanimité…
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