Thierry Fiorilli
« Ce moment-ci, on dirait une station balnéaire quand l’été est passé. On est comme hors saison » (chronique)
On passe aux mêmes endroits qu’en pleine saison, ce sont exactement les mêmes, mais ça trépidait de musique, de jambes dorées, de grillades, on devait enjamber des ballons, des enfants poussaient des cris de petits animaux, jamais une place libre Et là, il n’y a que des ombres, rares et pressées.
On dirait une station balnéaire quand l’été est passé. Avec les cadenas aux bungalows, les chaises de plage rentrées, les pédalos ventre à l’air, les châteaux dégonflés, les filets de volley en berne, les terrasses bâchées, les bars éteints. On passe aux mêmes endroits qu’en pleine saison, ce sont exactement les mêmes, mais ça trépidait de musique, de jambes dorées, de grillades, on devait enjamber des ballons, des enfants poussaient des cris de petits animaux, jamais une place libre, des vélos, des gens qui courent, des cheveux fous flottant hors de cabriolets, l’odeur du sable par-dessus tout, l’air brûlant, les pieds nus. Et là, il n’y a que des ombres, rares et pressées, que le vent qui circule, que le bruit des marées et d’un volet qui claque.
Ce moment-ci, on dirait une station balnu0026#xE9;aire quand l’u0026#xE9;tu0026#xE9; est passu0026#xE9;.
Huit mois après le début du premier confinement, moins de trois semaines après l’entame du deuxième, c’est un peu ça. Un décor une fois le public et la troupe partis. On aperçoit des finitions imparfaites, des empreintes de doigts, de trucs rafistolés. Des airs pas de défaite mais comme après un long voyage compliqué. Comme les marques laissées par les lunettes, parfois, quand on les enlève, ou simplement le regard, et c’est soudain quelqu’un qui semble très fragile qu’on voit, ce qu’on n’imagine pas quand il les porte.
Nous revoici ancrés là où on l’était au printemps mais en mode les vacanciers sont rentrés, donc le village est désert, à part un chat parfois au coin d’une rue. Il y a bien toujours le type qui tousse vilainement, en début de soirée, sinon silence radio. Plus personne pour rigoler dans les jardins. A côté, elle est partie, avec les deux enfants, on raconte qu’elle n’en pouvait plus de s’occuper de tout, et lui qui criait souvent eh bien s’il n’y avait pas les lampes, le soir, on croirait la maison vide. En face, le monsieur qui parlait fort sur sa terrasse, dans une autre langue, et qui faisait toujours rire la dame qui habite là, est sans doute retourné au pays, en tout cas on n’entend plus rien là non plus.
Les jardinières qu’on avait sorties avec la première vague, on les a rentrées avec la deuxième. Il y a une trace ronde dans l’herbe, tache de douceur léguée par la piscine, maintenant à la cave. Le panneau de la ferme où il y avait écrit « Fraises », maintenant il est mis « Noix ». Le gars accoudé au-dessus de sa haie, avec sa casquette et son drapeau belge sur un piquet, qui regardait les voitures passer, quelle que soit l’heure, il doit observer depuis derrière ses rideaux désormais, on ne sait pas, en tout cas sa cheminée informe qu’il a lui aussi rallumé le chauffage. Il n’y a que les deux peupliers, ici, et le bouleau, trois jardins plus loin, qui ont encore leurs feuilles, et ils se toisent, comme s’ils faisaient un défi, celui qui les perdra le dernier a gagné. Les masques qu’on faisait pendre à la corde, sur la cour, ils sèchent alignés sur un radiateur. On allait jouer au foot dans les champs, on fait du baby dans la pièce derrière. On admirait la clarté des étoiles, on fixe le feu du brasero.
On est comme hors saison. Et on a beau se dire que, après tout, c’est bien aussi quand il n’y a pas âme qui bronche, vite le retour des beaux jours. Moins pour plonger dans l’essaim que pour écouter son coeur qui bat.
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