Peter Mertens
« Caterpillar a profité de tous les avantages fiscaux offerts par notre pays »
« Le drame de Caterpillar ne doit absolument pas être utilisé pour intensifier encore davantage la concurrence fiscale, écrit Peter Mertens, le président du PTB. C’est presque pavlovien : à chaque fois, le gouvernement profite du moindre drame économique pour relancer la concurrence fiscale. Au lieu de laisser partir tout cet argent, nous avons besoin du mouvement inverse : des investissements. »
Ce week-end, le Premier ministre était interviewé par le journal L’Écho (3 septembre 2016). « Via les intérêts notionnels, Caterpillar ne payait finalement que 3% d’impôt. On leur fait un cadeau et voilà comment on est remercié… », notait le journaliste. « Je ne prends pas pour argent comptant ce que raconte le service d’études du PTB, répliquait Charles Michel. Comme Premier ministre, je n’ai pas accès aux données fiscales des individus et des entreprises. » Pas de problème. Si le Premier ministre ne le sait pas, nous sommes toujours disposés à l’aider. Et nous l’avons donc cordialement informé qu’il pouvait consulter ces chiffres sur le site Internet de la Banque nationale, section Centrale des bilans. Tout citoyen peut avoir accès ces données, avons-nous fait savoir à Charles Michel. Peut-être notre Premier ministre y fera-t-il encore d’autres découvertes : comment, en dix ans, sept sociétés belges du groupe Caterpillar ont déduit au total 150 millions d’euros d’intérêts notionnels ; comment la société Caterpillar Group Services a bénéficié d’un taux d’imposition moyen de 3,4 % entre 1994 et 2005.
Conclusion : les gigantesques cadeaux fiscaux obtenus via, entre autres, le mécanisme des intérêts notionnels n’ont pas empêché la multinationale de décider la fermeture de l’usine de Gosselies. Toutes ces niches fiscales ne servent à rien. Elles ont un prix exorbitant, coûtent énormément à l’État et ne profitent en rien à l’emploi, mais bien aux dividendes des grandes entreprises. Nous n’arrêtons pas d’en avoir la preuve. Et pourtant, ce gouvernement veut utiliser le drame de Caterpillar pour encore une fois surenchérir dans la concurrence fiscale.
La nettoyeuse de Caterpillar
Pour beaucoup, la fermeture de Caterpillar, c’est du douloureux déjà vu. La fermeture de Caterpillar a été froidement annoncée par une simple lettre lors d’un bref conseil d’entreprise. Tout comme chez Ford Genk. Il y a trois ans, Caterpillar Gosselies avait encore connu une importante restructuration. Le personnel a fait de lourds sacrifices et la multinationale avait reçu un cadeau supplémentaire de 61 millions d’euros de la Région. Tout comme chez Ford. Résultat : des milliards de profit dans les années qui ont suivi. Tout comme chez Ford. Et pourtant, les actionnaires jettent des milliers de travailleurs à la rue. Tout comme chez Ford Genk, Opel Anvers, et bien d’autres. Avec la fermeture, ce sont plus de 6 000 familles qui sont frappées, dont 2 200 à Caterpillar même, et 4 000 chez les sous-traitants et les fournisseurs.
Caterpillar a profité de tous les avantages fiscaux offerts par notre pays aux multinationales. Il n’y a aucune construction fiscale dont la direction de Caterpillar n’ait fait usage. Dans les années 1980, « Cat » a été l’une des premières entreprises en Belgique à disposer de ce qu’on appelle un « centre de coordination » afin d’échapper à l’impôt. Ce centre a enregistré un bénéfice de 201 millions d’euros. En pourcentage, une nettoyeuse de Caterpillar paie davantage d’impôt que la grande entreprise qui l’emploie. Elle a payé beaucoup d’impôts, elle a travaillé dur, n’empêche, elle se retrouve aujourd’hui à la rue. Avec 6 000 autres travailleurs qui, année après année, ont pourtant donné le meilleur d’eux-mêmes.
Investir dans les gens, pas dans les dividendes
« Dans un scénario d’une baisse des ventes de 15 %, nous garantissons un bénéfice de 6 dollars par action. En cas de récession avec une baisse de 38,5 %, comme en 2009, nous nous engageons à un bénéfice de 3,5 dollars par action. Dès le retour de la croissance, les objectifs de 2020 seront à nouveau honorés, avec un profit maximal pour les actionnaires. Notre objectif : 20 dollars par action en 2018-2020. » C’est ce que déclarait Douglas R. Oberhelman, le président de Caterpillar Inc, lors d’une rencontre d’analystes boursiers en septembre 2012 à Las Vegas. « Si nécessaire, avait-il ajouté, nous sommes prêts à réappliquer les mesures de 2009. » À l’époque, en à peine deux mois, un tiers des travailleurs avaient été licenciés. C’est ce qui se passe à nouveau aujourd’hui. Afin de réaliser le grand objectif, le maximum de dollars possible par action, Caterpillar annonce aujourd’hui vouloir licencier 10 000 personnes au niveau mondial. En sacrifice aux dieux de la Bourse…
Caterpillar est l’une des plus grosses multinationales au monde et, l’an dernier, elle a enregistré un bénéfice de 1,9 milliard d’euros. Ce n’est donc pas du tout une entreprise en difficulté. Certes, le chiffre d’affaires de Caterpillar a baissé dans une économie mondiale qui s’est mise elle-même dans une impasse. Mais, en même temps, les dividendes versés aux actionnaires n’ont cessé d’augmenter. Ce n’est pas normal : autant d’argent qui quitte l’entreprise au lieu de réinvestir. Comme l’a dit le député PTB Raoul Hedebouw vendredi lors de l’émission télévisée de la VRT Terzake, « chez Caterpillar, ce n’est pas le coût du travail, mais le coût du capital qui pèse trop lourd ».
En 2014, Caterpillar a versé au moins 1,4 milliard de dollars à ses actionnaires. L’un des plus connus – et des plus riches – d’entre eux n’est autre que Bill Gates. Celui-ci a alors touché 30 millions de dollars de dividendes. Une belle somme, non ? « Notre priorité, c’est de maintenir les dividendes élevés », annonce l’entreprise, et donc, il faut donc travailler toujours plus dur, et avec de moins en moins de personnel. L’an dernier, Caterpillar augmentait encore ses dividendes de 10 %, pour la… 22e année d’affilée. Les plus gros actionnaires, les loups de Wall Street, exigent en effet des dividendes toujours plus élevés. Qu’il s’agisse de Caterpillar, des groupes privés de maisons de repos (où les repas des personnes âgées ne peuvent pas coûter plus que 3 euros par jour et par personne), ou de la société en général, c’est exactement le contraire que nous voulons : les gens d’abord, pas les dividendes. Nous avons besoin d’une politique qui active la fortune là où elle dort et s’accumule, qui l’investisse dans la société, donc dans les gens et non dans les dividendes.
Arrêter l’effet Pavlov du dumping fiscal
« La vérité, c’est que tous les gouvernements européens se battent pour attirer les grandes entreprises (…). On doit approfondir l’union fiscale et monétaire et réduire ce genre de concurrence entre pays européens. (…) Il faut arrêter de s’entre-déchirer entre pays européens, voilà une partie de la solution », a poursuivi notre Premier ministre samedi dernier dans L’Écho. Ce genre de déclarations, c’est du déjà vu. Dès qu’une grande entreprise ferme ses portes et que les travailleurs clament leur colère devant les caméras de télévision, les responsables politiques versent des litres de larmes de crocodile face à la concurrence capitaliste déloyale et à la surenchère vers les abysses fiscaux. Cependant, notre pays est lui-même un des plus grands fauteurs de trouble, tentant d’attirer les grandes entreprises par une législation pleine d’échappatoires fiscales, aux dépens des pays voisins. Ah ! la Belgique, ses cadeaux fiscaux, ses déductions des intérêts notionnels, ses Excess Profit Rulings… Si le Premier ministre Michel veut remédier à la surenchère dans « la concurrence entre pays européens qui s’entre-déchirent », il doit commencer par lui-même arrêter cette course, sortir de l’esprit de troupeau économique où l’on fait ce que font tous les autres. Cela n’apporte rien. Encore une fois : cela coûte des tonnes d’argent, ne crée pas d’emplois, et nous coule entre les doigts pour grossir le fleuve des dividendes.
« En Belgique, nous voulons réformer l’impôt des sociétés (une diminution de 34 à 20% est sur la table, NDLR) et voir de quelle manière on peut attirer durablement les entreprises », a encore déclaré le Premier ministre au journal boursier. Soupir. Rien ne peut se passer dans notre pays sans que l’on tire comme conclusion que l’impôt des sociétés doit encore baisser. Cela ressemble au réflexe de Pavlov. En 1980, le taux de l’impôt des sociétés était encore de 48 %, mais, à partir de 1982, on dévale systématiquement l’escalier : 45 %, 43 %, jusqu’à 41 % en 1990. Et puis, à nouveau, on continue la dégringolade : 39 % (1993), 40,17 % (1994), jusqu’à 33,99 % (2003). Ce sont des masses de revenus perdus pour l’État. Une masse de dépenses qui ne peuvent plus être effectuées. En revanche, les taux d’imposition des personnes physiques varient, eux, entre 25% et 50%. Cela veut donc dire qu’à partir d’un certain revenu, il devient plus intéressant d’être imposé au tarif de l’impôt des sociétés qu’au taux d’imposition des personnes physiques. Simplement en créant une petite société, délicieusement intéressante au plan fiscal. Comment justifier cette discrimination ? Par la concurrence fiscale ?
Bien entendu qu’il vaudrait mieux harmoniser la réglementation fiscale au niveau européen. Mais pas à un tarif plancher. Plutôt à un tarif socialement et écologiquement responsable, et qui permette de réactiver cet argent dans l’économie réelle. Et cela fait très longtemps que la grande coalition qui dirige l’Europe a la liberté de le faire. Tant qu’on ne le fait pas, on peut donner dans chaque État membre un double signal. Soit on intensifie la surenchère fiscale vers le bas, soit on joue un rôle de locomotive dans l’autre direction.
Laisser filer encore davantage d’argent, ou enfin investir ?
Quand une grande entreprise internationale décide d’implanter une usine dans un pays déterminé, le système fiscal n’est pas un des critères les plus importants. Des études le démontrent. Ces multinationales veulent évidemment se remplir les poches et amener le sourire aux lèvres de leurs actionnaires. Bien évidemment qu’elles clament que le taux d’imposition est réellement de la plus grande importance. On ne va pas passer à côté d’une belle occasion pour contribuer à augmenter les dividendes des actionnaires.
Il y a quelques années, l’Irlande avait été présentée comme l’exemple à suivre par excellence. Le pays avait diminué sont taux d’impôt sur les sociétés de 50 % à 12,5 %. Cette mesure a principalement entraîné un gonflement toxique du secteur financier, bourré de bulles spéculatives qui ont finalement éclaté et fait plonger le pays dans une grave crise. Aujourd’hui, en Irlande, le chômage et le déficit public sont plus grands qu’en Belgique, et cela avec un revenu moyen national par habitant plus bas. La Bulgarie a ensuite essayé de faire « encore mieux » que l’Irlande : seulement 10 % d’impôt sur les sociétés. Une fois que l’on accepte la logique de cette spirale vers le bas dans la concurrence fiscale, le taux d’imposition ne sera jamais assez bas. Une étude syndicale internationale établit que, « si les diminutions des taux de l’impôt des sociétés dans les pays de l’OCDE se poursuivent, ce taux approchera probablement de zéro d’ici la fin du siècle ».
En réalité, le taux d’imposition ne constitue pas un élément déterminant dans la concurrence internationale entre grandes entreprises – à l’exception de quelques entreprises spécialisées dans les constructions fiscales et qui n’ont donc rien à voir avec la production réelle. Mais, bon sang, que l’on investisse dans nos points forts : la formation, la recherche scientifique et les nouveaux développements. Laisser filer encore davantage d’argent dans le puits sans fond des cadeaux fiscaux, ou bien investir dans la collectivité, telle est la question. Et, dans tous les cas, le drame Caterpillar ne doit absolument pas être utilisé pour intensifier encore davantage la concurrence fiscale.
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