Bulle à facette (5/6): le cidre, c’est du Toubon
Combien de millions de bulles dans un verre de bière, de cidre ou de vin effervescent? Les scientifiques ont creusé la question mais quand on aime, on ne compte pas. Balade en Belgique pétillante.
Pierre Toubon est un homme pressé qui aime prendre le temps: ce qui semblerait un paradoxe s’explique aisément. Quand on veut faire bon, voire excellent, il faut bosser deux fois, dix fois plus dur. Ses pommiers – hautes tiges, uniquement des variétés anciennes et locales hormis quelques normandes -, il ne leur fait subir aucun traitement. Rien, ni pesticides ni insecticides. Et ne rien faire en ce cas, c’est déjà beaucoup. Pas loin paissent une dizaine de vaches, des Aubrac: le premier geste de la matinée est pour elles, une gratouille sur la tête, quelques mots et ces ruminants aux longs cils et aux yeux doux frémissent sous leur robe marron. « Elles amènent l’engrais, puis c’est une présence. Ce sont presque des vaches de compagnie, elles mourront chez moi. Il faut du contact, avec bêtes et arbres, un lien. » Dans la voix de Pierre, dans cet accent grasseyant, c’est tout le bassin liégeois qui s’exprime, cet insondable optimisme et le pragmatisme paysan.
u0022Chaque année, les cidres sont un peu différents, les bulles ne sont pas tout à fait les mêmes mais, oufti, c’est ça qui est bon.u0022
Tout seul, tout en naturel, à tailler, entretenir, surveiller, c’est certes moins rentable que des productions plus conventionnelles mais, pour Pierre, impossible de faire autrement. Peut-être y a-t-il là des relents d’enfance, l’arrière-grand-père rebouteux qui, de porte en porte, soignait le village avec son vinaigre de cidre. Toutes ces pommes tombées au sol, ces vieux arbres qui désolaient Pierre et dont il a commencé par faire du jus, puis du cidre en autodidacte. Une entreprise pas toujours simple: si un incident survient « on se regarde bêtement, c’est tellement de travail ». Car non content de travailler au verger de façon naturelle, Pierre fait aussi un cidre de la manière la moins interventionniste possible: il n’ajoute pas de sulfites, comme c’est le cas souvent pour stabiliser, utilise uniquement les levures indigènes et s’expose donc à un peu plus de variabilité. « Chaque année, les cidres sont un peu différents, les bulles ne sont pas tout à fait les mêmes mais, oufti, c’est ça qui est bon. »
Finalement, quand on l’écoute, même les difficultés semblent valoir le coup. « Peut-être que j’ai moins de rendement que d’autres, et alors? Je ne veux pas m’enrichir avec mon cidre, je vise surtout une certaine qualité de vie. » Et ses cidres parlent pour lui: authenticité, bulles fines, simplicité, plaisir extrême. S’il conseille de consommer le demi-sec après une trop longue journée – « pour se détendre, ça rafraîchit et tombe moins vite dans les jambes qu’une bière avec laquelle on est vite dogué » -, il aime recommander le brut sur un bon poulet, celui du dimanche, peau croustillante et sourires ravis autour d’une tablée complète. Le bonheur est dans le verger.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici