Bruxelles-Ville : 1000 euros par jour pour un consultant… directeur
Gial, l’asbl chargée de la gestion de l’informatique pour la Ville de Bruxelles, est en infraction pour plusieurs contrats conclus en dehors de la législation sur les marchés publics. Un audit sévère les a épinglés. Comme ce consultant, également directeur, et bénéficiaire d’un contrat de faux indépendant… Depuis 2000, Gial est présidée par des échevins bruxellois socialistes.
Entre 2000 et fin décembre 2017, Gial, l’asbl créée en 1993 par la Ville de Bruxelles pour prendre en charge la gestion, le développement et l’exploitation de son informatique, a versé quelque trois millions d’euros à Michel Leroy, son directeur du développement. Ce dernier, membre du comité de direction, n’était pourtant pas salarié de l’asbl. Il bénéficiait d’un contrat de consultance, dont Le Vif/L’Express a pu prendre connaissance, et qui s’apparente à un contrat de faux indépendant, conclu sans aucune mise en concurrence.
Au tournant du siècle, Gial fait appel à Michel Leroy pour ses compétences avérées dans le secteur des réseaux informatiques. Ce que l’asbl a parfaitement le droit de faire. » C’est à l’asbl de juger si elle a besoin de compétences extérieures, rappelle l’avocat Alexandre Paternostre, spécialiste des marchés publics. Aucun tribunal ne pourra juger que ce n’est, éventuellement, pas opportun. »
En vertu d’une raison toujours obscure à ce jour, Michel Leroy n’est pas engagé sous statut salarié par l’asbl. Un contrat de consultance informatique est conclu avec lui, ou plus précisément avec la sprl Altera Via, dont il est le gérant. Le contrat, dont la version de 2008 porte la signature de Karine Lalieux, alors échevine de l’informatique à la Ville de Bruxelles et présidente de Gial, prévoit que Michel Leroy prestera 175 jours de travail par année civile, au prix forfaitaire de 875 euros par jour, hors TVA. Soit un total de 153 125 euros, ou 185 281,25 euros, TVA comprise. Un marché d’une telle valeur imposait légalement de lancer un appel d’offres public, avec mise en concurrence de différents prestataires dont le meilleur serait retenu. Gial n’a pas procédé à cet appel d’offres, en violation des règles sur les marchés publics. La direction actuelle de l’asbl, en place depuis août 2017 seulement, assure ne pas savoir pour quelle raison.
Ce contrat est conclu pour une durée indéterminée. Là encore, l’accord est scellé sans respect de la loi. Un acteur public est tenu de réviser les marchés qu’il octroie périodiquement, en général tous les quatre ans, afin de s’assurer qu’il fait bien affaire avec le prestataire de services dont le rapport qualité-prix est le plus intéressant.
En vertu de ce contrat, le consultant » détermine librement comment et quand il exécute sa mission. En contrepartie, il établira un rapport d’activités chaque mois, mentionnant les tâches réalisées au cours de la période « . Le document prévoit encore qu’en cas d’empêchement grave de Michel Leroy, l’exécution de la prestation de services deviendra impossible, ce qui entraînera de facto la fin de la convention. Il s’agit donc bien d’une convention taillée sur mesure pour lui. » Ce contrat est conclu en raison de la qualité des personnes « , peut-on d’ailleurs y lire.
Contacté par Le Vif/L’Express, Michel Leroy n’a pas souhaité répondre à nos questions et a renvoyé à la direction de Gial. Le contrat précise pourtant » qu’il n’y a aucune relation juridique entre les parties et aucun rapport de subordination entre Gial et Altera Via et son gérant « . Etonnant, dès lors que ce dernier est directeur du développement de Gial et est supposé, à ce titre, rendre des comptes à son administrateur délégué et à un conseil d’administration.
Un audit de Gial, réalisé par le cabinet d’avocats VDE Legal et dont les conclusions sont datées du 27 octobre 2017, a notamment épinglé le contrat entre Gial et Altera Via, le jugeant problématique au regard de la loi » On peut travailler avec un consultant payé à ce prix-là pendant une ou deux semaines, mais pas pendant dix-huit ans « , confirme Mary-Odile Lognard, administratrice déléguée de Gial depuis août 2017. Le contrat avec Altera Via a donc été cassé en décembre dernier, moyennant un préavis de six mois que Michel Leroy, dont les compétences ne sont pas en cause, preste actuellement. Gial souhaite toujours travailler avec cet expert à l’avenir, mais le mettra en concurrence avec d’autres et lui appliquera, le cas échéant, des tarifs nettement moins élevés. Michel Leroy ne fera plus partie non plus du comité de direction. A la date du 8 février, l’organigramme de Gial consultable sur le Net le présentait toujours comme directeur. » Notre volonté est de mettre de l’ordre dans la maison « , affirme Mary-Odile Lognard.
Le montant total qui aura été versé à Altera Via en dix-huit ans, dans le cadre de ce contrat illégal, avoisine les 3 millions d’euros, sachant que les émoluments initiaux ont fait l’objet de révisions et d’indexations. En 2017, cet expert en informatique touchait 1 000 euros par jour, hors TVA. Soit 270 000 euros pour l’année.
Pendant ces dix-huit ans, les contrats litigieux ont toujours été signés par les autorités politiques en charge de l’informatique. Depuis 2000, Carine Vyghen, Freddy Thielemans, Marie-Paule Mathias et Karine Lalieux, tous socialistes, ont successivement occupé la présidence de Gial. Celle-ci est désormais occupée par Mohamed Ouriaghli, également échevin bruxellois de l’informatique. Jusqu’à la suspension du contrat conclu entre Gial et Altera Via, c’est lui qui a validé toutes les factures supérieures à 7 500 euros qui lui étaient présentées par Michel Leroy. Celles-ci figuraient, il est vrai, dans une liste globale de dépenses.
13 % des dépenses posent question
Dans un audit dont Le Vif/L’Express a pris connaissance, le cabinet d’avocats VDE Legal pointe plusieurs dysfonctionnements dans la gestion des deniers publics chez Gial.
L’an dernier, la direction de Gial a mandaté VDE Legal pour faire la lumière sur l’ensemble des marchés publics de l’asbl. Selon l’audit, 4 646 dépenses ont été consenties par Gial, pour un total d’environ 16 millions d’euros (TVA comprise), entre le 1er novembre 2015 et le 31 décembre 2016, répartis entre 349 bénéficiaires, dont 54 ont emporté le marché dans le cadre d’une offre publique incontestable. Les contrats légalement décrochés représentent plus de 12 millions, soit 75 % des dépenses de Gial.
Parmi les 295 autres bénéficiaires, dont les services ou fournitures n’ont pas fait l’objet de marchés publics, 238 ont traité avec Gial pour des montants inférieurs aux seuils financiers qui imposent ce type de procédure : soit 8 500 euros hors TVA, selon la législation en vigueur en 2015 et 2016. Depuis le 1er janvier dernier, ce seuil a été porté à 30 000 euros. Restent 57 bénéficiaires, qui ont perçu des montants supérieurs à 8 500 euros. Additionnées, leurs factures représentent 3,2 millions d’euros. Sur ce total, un solde d’environ 2,2 millions, soit 13,7 % des dépenses totales de Gial, est » sujet à questions « , relèvent les auditeurs. L’analyse de ces dépenses prouve que, pour une partie d’entre elles, Gial aurait dû passer par une procédure de marché public. Les contrats conclus pour son secrétariat social, la maintenance immobilière, les assurances-groupes et hospitalisations proposées au personnel, les services de recrutement de personnel et ses licences informatiques, entre autres, sont pour l’instant hors la loi.
VDE Legal relève aussi les dépenses effectuées par Gial à la suite de commandes passées pour son compte par des centrales d’achats ainsi qu’aux dépenses qu’elle doit consentir, à la demande de la Ville de Bruxelles, pour le secteur de l’instruction publique. Il arrive ainsi que des logiciels d’apprentissage soient testés par du personnel enseignant de la Ville, qui souhaite ensuite en acquérir davantage. » Dans ce cas, indique Mary-Odile Lognard, administratrice déléguée depuis août 2017, ce n’est pas Gial qui a passé le marché initial. Les auditeurs nous invitent à être attentifs à la procédure lancée par d’autres que nous et à nous assurer qu’il y a bien eu comparaison des prix en amont. » » La réalité et la pertinence des dépenses exposées par les tiers devraient être confirmées au Gial avant paiement « , insistent les auditeurs. Qui soulignent encore qu’une convention de mandat doit être signée avec les centrales d’achats opérant pour Gial. L’asbl ne devrait accepter de régler la facture que si elle dispose des documents démontrant l’existence d’une procédure de marché et la conformité de la dépense à l’offre jugée la plus avantageuse.
Les auditeurs suggèrent enfin de mettre un terme aux contrats irréguliers. » Un point d’attention doit être porté au contrat de prestations d’un collaborateur indépendant du Gial. » Nul doute qu’Altera Via est ici visée.
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