© Frederic Pauwels

Bruxelles : le privé à l’assaut du logement social

Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Dans une étude inédite, le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH) s’intéresse à l’arrivée d’investisseurs privés dans le secteur des AIS, les agences immobilières sociales.

Depuis longtemps, les AIS travaillent à socialiser du logement privé, en mettant en location des biens à un prix inférieur à celui du marché. Des 450 logements gérés des débuts, ces agences s’occupent désormais de plus de 5500 logements en région bruxelloise. Une hausse inédite, souligne le RBDH, alors que la production de logement public tend à stagner. Jusqu’alors, il s’agissait de biens existants confiés par des propriétaires, mais ces derniers temps, les AIS sont prises d’assaut par des investisseurs privés et des promoteurs qui leur livrent du logement neuf. Pas forcément pour la bonne cause, mais parce que la rentabilité est au rendez-vous. « La générosité des pouvoirs publics y est pour beaucoup et interpelle d’ailleurs », dénonce le RBDH.

Avec la mise en place de mesures et d’incitants solides pour soutenir la croissance du secteur. « En allégeant la fiscalité, mesure portée et soutenue activement par certaines acteurs privés, les pouvoirs publics ont rendu le duo logement neuf/AIS fort attrayant », poursuit le Rassemblement. Plus de 250 logements sont déjà loués, 900 sont sur les rails. Par ailleurs, ce qui a fortement redistribué les cartes, c’est aussi la réduction de la TVA lors de l’achat d’un bien neuf et l’exonération complète du précompte immobilier pour ceux qui font le choix de l’AIS. Ces mesures, combinées, offrent de nouvelles perspectives de rentabilité : des rendements proches des 3%, soit des valeurs proches de celles du marché.

Concrètement, les acheteurs paient désormais 12% de TVA sur un bien neuf placé en AIS pour une durée de 15 ans. « Un beau cadeau qui réduit sensiblement l’investissement de départ. » Le rendement brut est proche du rendement net, les risques inhérents à la location sont supportés par l’AIS et, en sus, le précompte immobilier est réduit à 0%.« Ainsi, grâce à l’intervention publique, l’investisseur maintient un rendement attractif. »

Un marché d’opportunité

L’attrait pour les AIS est tel que de nombreux acteurs privés s’emparent du modèle, courtiers comme promoteurs, en faisant de l’AIS un produit de placement qui rapporte. Le RBDH de citer le cas du groupe Trevi qui a lancé en mars 2018 un nouveau produit de courtage, le Trevi valuable invest qui prévoit la vente de logements avec conclusion d’un bail AIS. « Ce qui fait la différence aujourd’hui, c’est l’émergence de projets sur mesure, portés par des promoteurs ou des courtiers comme Trevi qui transforme l’AIS en véritable produit d’investissement. Simple, prémâché, complet. Le partenaire AIS, les conditions de location dont le loyer… Tout est négocié en amont », relève le RBDH.

Après quelques mois d’existence seulement, le produit a déjà fait mouche. Trevi a vendu 80 logements sous ce label. « Presqu’autant que la production annuelle de logements sociaux à Bruxelles, constate le RBDH. C’est un marché d’opportunité, pas de doute. »

Bruxelles : le privé à l'assaut du logement social
© Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH).

Avec de telles formules, des particuliers investissent dans du logement neuf pour le placer en AIS avec toutes les garanties qu’offre la formule. Des promoteurs leur proposent aussi des projets clé sur porte, prévus exactement pour correspondre à ce placement. Des ensembles revendus à la découpe à des particuliers ou à des acteurs institutionnels, convaincus par l’intérêt du dispositif AIS. Le promoteur se charge de tout, de la conception du projet à la négociation avec l’AIS. « Pour la promotion immobilière, il s’agit bien d’un nouveau débouché, avec un atout de taille : une grande sécurité. Les projets destinés au placement en AIS sont pratiquement tous vendus sur plan, avant leur achèvement et les banques suivent sans grande difficulté. »

À côté des particuliers qui achètent un voire plusieurs logements pour les confier en AIS, profitant de l’aubaine actuelle, on trouve d’autres acteurs, professionnels de la finance et de l’investissement, de la promotion immobilière ou encore de la construction qui s’unissent autour d’un projet social, celui de produire des logements abordables à destination des AIS.

« Ces sociétés n’existent que dans ce but, elles sont créées à cette fin-là », relève le RBDH en pointant les sociétés Inclusion et Reos. « Derrière ces structures, on retrouve des figures bien connues de l’entreprenariat belge, certaines parmi les plus grandes fortunes du pays. Ces investisseurs familiaux apportent certes des capitaux pour démarrer, mais pas seulement. Ils mettent également à profit leurs compétences (ingénierie financière, entrepreneuriale notamment), leur carnet d’adresses (bien étoffé) et leur réputation, à même d’encourager d’autres investissements. »

Des risques trop peu considérés

Pour rester un produit d’investissement intéressant sur le long terme, le logement devra rester surtout bon marché. « Pour maintenir le niveau de rendement et donc l’attrait pour la société, deux possibilités : réduire les couts ou augmenter les recettes, donc les loyers. Et c’est là qu’est notre crainte », s’inquiète le RBDH.

Toutes les hypothèses sont soumises au comportement des marchés financiers et immobiliers et à celui des nouveaux propriétaires. « On peut supposer que l’attrait de la formule AIS se confirme si le placement reste profitable. En revanche, si sa rentabilité s’évapore (suite à une remontée des taux d’intérêts sur les emprunts par exemple) ou si de nouvelles opportunités de placements fructueux s’ouvrent, les investisseurs risquent de déserter pour placer leurs billes ailleurs. Seuls les bailleurs véritablement mus par le projet social des AIS continueront à répondre présents. »

Pour le Rassemblement, il faut que les AIS se montrent lucides et prévoyantes pour anticiper l’impact d’éventuelles défections massives en s’assurant des préavis très longs pour reloger les locataires et en étalant les prises en gestion pour étaler aussi les sorties. Et d’en appeler à la responsabilité les pouvoirs publics : « plutôt que de surenchérir pour attirer toujours plus de propriétaires, ils devraient s’inquiéter des contreparties. S’il faut poursuivre dans cette voie-là, il faut alors davantage rentabiliser l’investissement public, en imposant par exemple des durées de socialisation plus longues ou en taxant la plus-value en cas de revente. »

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