© National

Bruxelles : impayable et inutile, le métro 3 à plus de 4 milliards?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Explosion des coûts, chantiers à l’arrêt, financement compromis: à Bruxelles, le projet controversé de métro 3 s’enlise. Quelles solutions?

Y aura-t-il un jour une ligne de métro reliant les quartiers Nord et Sud de Bruxelles? La Stib, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale – son ministre-président, Rudi Vervoort (PS), en tête – et l’opposition MR défendent toujours bec et ongles la future ligne 3 du métro, seule solution, selon eux, pour absorber la demande actuelle et future en transports. Mais les voyants passent au rouge l’un après l’autre: aux difficultés techniques sur le tronçon sud s’ajoutent des surcoûts en forte hausse qui compromettent la poursuite du chantier au-delà de la gare du Nord, à travers Schaerbeek et Evere. Eclairage sur le fond et les coulisses du dossier phare de la législature bruxelloise.

La «métroïsation» limitée au tronçon sud engendrerait des pertes de temps dans les nouvelles correspondances.

Long de 10,3 kilomètres et jalonné de 18 stations (voir l’infographie ci-contre), le métro 3 est un projet en deux phases, l’une et l’autre d’une grande complexité. Commencée à l’automne 2020, la première vise à transformer le prémétro en métro lourd entre la station Albert, à Forest, et la gare du Nord. La seconde phase, la construction d’un métro entre les gares du Nord et Bordet, à Evere, n’a pas encore démarré. C’est la partie la plus coûteuse et la plus controversée du projet «M3». Elle consiste à creuser un tunnel de 4,5 kilomètres et à créer sept stations à Schaerbeek et Evere, et un dépôt pour le remisage et l’entretien des rames de métro, à Haren.

Pourquoi le budget explose

Sur la base des devis envoyés par les deux entreprises de génie civil candidates à la construction du second tronçon, l’ardoise pour cette deuxième phase serait près de 250% supérieure aux estimations des bureaux d’experts. Le coût total pour toute la ligne 3, matériel roulant inclus, atteint 4,4 milliards d’euros, selon l’estimation d’Elke Van den Brandt (Groen), la ministre bruxelloise de la Mobilité, montant qui pourrait encore grimper en fonction des imprévus de chantier.

En cause: l’inflation, la hausse du prix des matériaux et les modifications apportées au projet à la suite des enquêtes publiques. S’y ajoutent les problèmes d’infiltration d’eau dans les chantiers du tronçon sud, qui incitent les candidats à la construction du métro Nord à se couvrir. Une lecture attentive d’une note du fonds fédéral Beliris, maître d’ouvrage de la deuxième phase, est éclairante à ce sujet. Deux consortiums ont explicité par courrier les raisons qui les ont poussés à ne pas remettre d’offre. Ils mentionnent la mise en œuvre de multiples techniques complexes, les inconnues du sol malgré les essais réalisés, un planning de réalisation des travaux «trop ambitieux»…

Finances régionales exsangues

Face à la hausse vertigineuse des coûts, Beliris a mis sur pause le projet de métro Nord. La note de l’organisme fédéral envisage la suspension du programme (pour négocier des baisses avec les entrepreneurs), sa modification ou son arrêt définitif. Beliris attend une décision du gouvernement bruxellois pour le 15 juillet. La Région va réclamer une rallonge au fédéral. Chaque année depuis 2015, Beliris consacre cinquante millions d’euros au futur métro 3. Le total ne peut dépasser 500 millions, sauf renouvellement du contrat. Le solde, soit près de 90% du budget actualisé, est à charge des contribuables bruxellois. Or, les finances régionales sont exsangues et elles doivent faire face à d’autres défis colossaux, dont la rénovation énergétique des logements.

Lire aussi | Métro 3 à Bruxelles : pourquoi le maintien du projet serait une fausse bonne idée

Si le fédéral vient à la rescousse de la Région pour boucler le financement du métro Nord, les travaux pourront-ils commencer comme prévu au cours de l’été 2025? Rien n’est moins sûr. Les plans initiaux ayant été modifiés, une nouvelle enquête publique est requise pour obtenir le permis. Elle devait être organisée cet automne, mais les derniers rebondissements dans la saga du métro risquent de retarder cette étape. Les offres remises par les entreprises pour la réalisation du second tronçon doivent être étudiées en détail. Selon Brieuc de Meeûs, patron de la Stib, il faudra «des mois» à Beliris pour analyser les dossiers. Le calendrier, qui repoussait déjà l’inauguration de la ligne complète à août 2033, sera donc modifié. Un expert nous assure que le tronçon gare du Nord – Bordet, s’il est réalisé, se fera attendre pendant quinze ans. D’ici là, il n’y aurait aucune amélioration concrète pour les usagers sur l’axe nord-sud.

Il ne faut pas attendre l’inauguration de la ligne complète du M3, au mieux, avant quinze ans.
Il ne faut pas attendre l’inauguration de la ligne complète du M3, au mieux, avant quinze ans. © photonews

Un litige lourd de conséquences

Géré par la Stib, le chantier du tronçon Albert – gare du Nord prévoit la «métroïsation» des stations existantes et la construction de la nouvelle station Toots Thielemans dans le quartier Stalingrad. La station Albert, terminus sud de la ligne, poursuit sa mue. En revanche, sous le Palais du Midi, le creusement d’un tunnel de 120 mètres dans les terres marécageuses qui entourent l’ancien lit de la Senne est à l’arrêt depuis plusieurs mois, en raison de difficultés techniques.

En conséquence, le consortium Toots chargé de réaliser les travaux – une joint-venture Besix – Jan De Nul – Franki Construct – a adapté sa facture et son planning: le chantier coûtera 170 millions d’euros de plus et s’étalera sur huit ans, alors qu’il devait s’achever en juin 2025! La Stib a jugé ces conditions démesurées et ordonné à l’entrepreneur de reprendre les travaux. Ce dernier ne s’est pas exécuté. Par conséquent, la Stib lui réclame, depuis le 9 janvier dernier, des dommages et intérêts à hauteur de cinquante mille euros par jour. Le groupement d’entreprises a introduit une action en référé. Selon nos sources, ce n’est pas lui mais la Région qui finira par payer les pots cassés. L’ouverture d’un procès entraînerait un enlisement des chantiers. Une certitude: ce litige, source de défiance entre les parties, n’est pas de bon augure pour la suite du programme.

Le débat politique actuel laisse de côté la question de l’impact du projet sur la mobilité à Bruxelles.

1,5 million d’euros le mètre de tunnel

Le consortium envisageait de poursuivre la construction du tunnel avec la technique actuelle des piliers, mais en l’adaptant. Les experts consultés par la Stib ont toutefois planché sur une méthode alternative un peu moins onéreuse et moins longue. Cette option, qui tient la corde, consiste à démonter une partie du Palais du Midi – après avoir délogé les activités sportives, scolaires et commerciales qui s’y déroulent – pour y faire entrer des grues et des excavatrices. Au gouvernement bruxellois de trancher. «Dans tous les cas, avec un surcoût de près de 180 millions d’euros pour réaliser ce tunnel de 120 mètres, chaque mètre coûtera à la Région de Bruxelles-Capitale environ un million et demi d’euros», calcule Thyl Van Gyzegem, d’Inter-Environnement Bruxelles.

Le creusement d’un tunnel de 150 mètres sous la gare du Nord, chantier commencé en mars 2021 et dont l’achèvement est prévu au printemps 2024, se heurte lui aussi à des soucis d’instabilité du sol, a révélé Cédric Bossut, le directeur de Beliris, maître d’ouvrage. «Cela fait craindre le pire pour la suite, glisse Thyl Van Gyzeghem. La technique de construction utilisée sous le Palais du Midi et sous la gare du Nord est censée être bien maîtrisée en Région bruxelloise. En revanche, la technique du tunnelier, adoptée pour creuser 4,5 kilomètres de tunnel sous les communes de Schaerbeek et d’Evere, est totalement inédite sur une si longue distance.»

Quel impact sur la mobilité?

Le débat politique autour de l’avenir du métro 3 s’est focalisé ces jours-ci sur les aspects financiers, laissant de côté la question des conséquences du projet sur la mobilité. Pour rappel, les principales justifications à l’appui de la création d’une nouvelle ligne de métro portaient sur un report modal de la voiture vers le transport en commun, un financement maîtrisé des travaux (!), une forte croissance de la population bruxelloise et un prémétro saturé aux heures de pointe.

Or, note Inter-Environnement, le report modal est invalidé par les études régionales, le boom démographique se révèle inexact – le Bureau du plan prévoit aujourd’hui une stagnation de la population bruxelloise jusqu’en 2070 – et la saturation du prémétro actuel, jamais clairement démontrée par la Stib, est moins à redouter avec le développement du télétravail et des achats en ligne.

Pas de marche arrière possible?

Le ministre bruxellois des Finances, Sven Gatz (Open VLD), affirme que le point de non-retour est atteint, qu’un arrêt des travaux coûterait à la Région près d’un demi-milliard d’euros. Ce chiffre, non détaillé, pose question. Les montants engagés pour la transformation en métro de l’axe Albert – gare du Nord sont-ils repris dans cette estimation? «Ce ne serait pas très correct, estime Van Gyzegem, car personne aujourd’hui ne demande de renoncer à utiliser la future station Toots Thielemans et d’abandonner les autres infrastructures en chantier sur le tronçon sud.»

Par ailleurs, les sommes injectées jusqu’ici dans l’axe gare du Nord – Bordet se révèlent, selon le chargé de mission, relativement minimes au regard du coût total du projet: «On parle de moins d’une centaine de millions d’euros dépensés en frais d’études et travaux préparatoires, auxquels il faudrait ajouter des indemnités de dédit. En tout, ce ne serait qu’une petite partie, à peine 5%, du budget de 3,1 milliards prévu pour le tunnel à creuser et les sept stations à construire.»

Quelles solutions?

Le ministre-président Rudi Vervoort évoque une piste pour réduire le coût du tronçon Nord – Bordet: diminuer la taille des stations. D’autres suggèrent d’en supprimer une ou plusieurs, mais cela rendrait le transport public beaucoup moins accessible qu’avec les lignes de tram actuelles. Selon le CEO de la Stib, Brieuc de Meeûs, l’exploitation en métro du tronçon Albert – gare du Nord sans le tronçon vers Bordet n’est «pas possible à long terme», faute d’un dépôt pour la maintenance des rames. Une certitude: une «métroïsation» partielle, uniquement sur le tronçon sud, se révélerait dommageable pour la mobilité régionale. Elle n’offrirait pas de desserte directe entre le nord, le centre et le sud de la ville. «Les usagers perdraient du temps dans les nombreuses nouvelles correspondances avec les trams, redoute Thyl Van Gyzegem. Dès lors, la meilleure issue possible serait de renoncer au métro et de repenser le réseau actuel de tram et prémétro existant, en incluant la station Toots Thielemans.»

C’est la solution préconisée par une vingtaine d’associations et comités d’habitants regroupés au sein de la plateforme Avanti. Fin mars, la Stib a descendu en flammes cette proposition baptisée «Prémétro+». Selon l’opérateur de transport public, elle n’apporterait pas de solution à long terme au défi de la capacité. Des lignes de trams prolongées, exposées aux aléas de la circulation en surface quand elles ne sont pas en site propre, empêcheraient d’assurer «une régularité des véhicules acceptable pour les voyageurs». Réplique des responsables de la plateforme: ce handicap peut être compensé par l’ajout de nouveaux trams sur le réseau, option bien moins coûteuse qu’un métro. Le plan améliorerait le service à brève échéance, alors que le métro 3 ne serait entièrement opérationnel, dans le meilleur des cas, que dans dix à douze ans.

Une facture toujours plus salée

PHASE 1 Tronçon sud (entre Albert et gare du Nord)

La Stib pilote la transformation du prémétro en métro lourd et la construction d’une nouvelle station Toots Thielemans.

Beliris pilote la construction d’un tunnel de jonction sous les voies de la gare du Nord.

Coût initial: 732 millions d’euros

Surcoût (nouvelle estimation): 400 millions d’euros

TOTAL (estimation provisoire): 1,132 milliard d’euros

PHASE 2 Tronçon nord (gare du Nord-Bordet)

Beliris pilote l’extension de la ligne vers Schaerbeek et Evere: construction de sept stations, d’un tunnel de 4,5 km et d’un dépôt à Haren.

Coût initial: 1,5 milliard d’euros

Surcoût (sur la base des offres reçues): 1,6 milliard d’euros

TOTAL (estimation provisoire): 3,1 milliards d’euros

ACHAT DE MATÉRIEL ROULANT 170 millions d’euros

COÛT TOTAL DU MÉTRO 3 (estimation actuelle)

4,4 milliards d’euros

Coût du métro 3 au lancement du projet (évaluation): 900 millions d’euros (chiffre 2009).

Contribution de Beliris au métro 3 (montants versés et prévus entre 2016 à 2024): 444 millions d’euros.

Source: Elke Van den Brandt, ministre bruxelloise de la Mobilité.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire