Bientôt la fin des dauphins au delphinarium de Bruges ? « La Flandre pourrait entrer dans l’histoire »
Gaia souhaite que les dauphins du delphinarium de Bruges soient transférés dans une réserve marine sur l’île grecque de Lipsi. Voilà qui promet d’être ardu.
Le 18 août, la triste vie de l’orque Lolita prenait fin. Elle avait été capturée à l’état sauvage en 1970 et vendue à l’aquarium de Miami, aux Etats-Unis, où elle vivait depuis 1980. Seule orque d’un bassin d’à peine six mètres de profondeur, elle avait assuré, pendant des années, un spectacle quasi journalier. Les organisations de défense des animaux avaient fait campagne pour sa libération pendant des années. Elles avaient finalement obtenu gain de cause. Lolita serait transférée dans la baie fermée d’une réserve marine, où elle continuerait à être soignée et où elle pourrait à nouveau vivre dans des conditions un peu plus naturelles. Malheureusement, elle est décédée d’une insuffisance rénale aiguë quelques semaines avant sa libération. Elle souffrait déjà d’une grave pneumonie. Lolita avait 57 ans, alors que les orques sauvages peuvent vivre jusqu’à plus de 90 ans. Elle pourrait symboliser la manière irréfléchie avec laquelle certains instrumentalisent les animaux pour des plaisirs personnels éphémères.
L’orque est le plus grand des delphinidés. Ces derniers sont environ trois mille à vivre en captivité dans le monde. La plupart sont des grands dauphins: des animaux spectaculaires qui ne sont pas menacés d’extinction, de sorte que leur présence en captivité ne peut en aucun cas être justifiée comme nécessaire à leur survie. Les grands dauphins et leurs congénères sont des animaux vifs peu enclins à l’enfermement dans un petit bassin. Les lions et les koalas, capables de ne pas bouger pendant des heures, tolèrent mieux la captivité que des animaux qui se déplacent, comme les ours polaires et les dauphins.
Un pas en avant, un autre en arrière
«La vie en aquarium est un enfer pour un dauphin, estime Thodoris Tsimpidis, directeur de l’Archipelagos Institute of Marine Conservation, à Samos, en Grèce. Ces animaux utilisent l’écholocation pour s’orienter. Ils émettent en permanence des ondes sonores pour scruter leur environnement et capter les ondes réfléchies. Dans un petit bassin, ils font ainsi l’expérience de l’équivalent de l’énorme volume sonore d’un opéra joué dans un minuscule espace. Ou d’une pièce remplie de miroirs dont on ne peut jamais échapper à soi-même. On a l’impression que les dauphins sont déprimés dans les delphinariums.»
Les dauphins dans les delphinariums ont constamment faim, sinon ils ne font pas les tours demandés.
En Europe, quelque trois cents dauphins vivent dans une trentaine de delphinariums. Dont le Boudewijn Seapark, à Bruges, qui abrite aujourd’hui sept animaux, jeunes et vieux. Les actions menées partout dans le monde pour obtenir la fermeture des delphinariums en raison de leurs effets désastreux sur le bien-être des animaux trouvent aujourd’hui écho chez nous. L’organisation de défense des animaux Gaia réclame depuis longtemps la fermeture du parc brugeois. «Il est évident que les conditions restrictives dans lesquelles les dauphins y vivent ne sont pas suffisantes pour leur permettre de développer la riche palette de comportements sociaux propres à ces animaux en pleine mer, fustige Michel Vandenbosch, président de l’association. Leur situation doit être réglée le plus rapidement possible.»
Cela ne va pourtant pas de soi. Le gouvernement hésite à prendre des mesures drastiques. Dans le nouveau Code flamand du bien-être animal, en cours de préparation à l’initiative du ministre compétent Ben Weyts (N-VA), l’article 21 traite du sort des dauphins de Bruges. Mais il est rédigé de manière ambiguë. «Il ne prévoit rien d’autre qu’une interdiction fictive de garder des dauphins en captivité, soupire Michel Vandenbosch. Certes, et c’est positif, une interdiction d’importation et d’élevage est actée. Mais une exception est prévue pour le delphinarium de Bruges, toujours autorisé à garder six dauphins, à condition qu’un bassin extérieur soit construit d’ici à début 2027 afin de leur donner un peu plus d’espace. Si un examen conclut qu’il existe une alternative viable, comme le transfert des animaux dans une réserve marine bien gérée, elle devrait être envisagée. Mais dans la proposition actuelle, la première évaluation de cette solution n’aurait lieu qu’en 2037… C’est beaucoup trop tard.»
Le Seapark prétend que les animaux y sont heureux, qu’ils ne sont plus adaptés à la vie sauvage, de sorte qu’ils seraient moins à l’aise en mer que dans un aquarium. Une étude sur les dauphins de Bruges a été publiée en 2021, rédigée par l’experte britannique Isabella Clegg – dont certains prétendent qu’elle travaille souvent en faveur des delphinariums. Bien qu’elle souligne que les dauphins de Bruges sont en meilleure santé que ceux de nombreux autres delphinariums, on sent dans son texte qu’il n’est pas facile d’établir un état réel de leur bien-être. De plus, son étude met en lumière que des comportements inquiétants ont été observés chez les animaux.
«Les dauphins en captivité ont souvent faim, sinon ils n’ont pas envie de faire les tours qu’on exige d’eux, affirme Anastasia Miliou, spécialiste des dauphins au Sanctuaire marin de la mer Egée. Ils doivent travailler s’ils veulent du poisson. La plupart des études sur le comportement des dauphins ont été réalisées sur des animaux en captivité, car il est beaucoup plus difficile de suivre les animaux en mer. C’est un problème, car on ne dispose donc pas d’une base de comparaison solide. Cela crée des incompréhensions, ce qui peut entraîner des retards dans la prise de décision sur ce qu’il faut faire. Pourtant, tous ceux qui travaillent avec des dauphins dans la nature le pensent: les dauphins doivent être libérés des bassins des delphinariums, beaucoup trop petits pour leur bien-être.»
Un environnement protégé
Anastasia Miliou suit le débat, vieux de 25 ans, sur le bien-être des dauphins en captivité. «Pendant un quart de siècle, on s’est demandé s’il ne valait pas mieux rendre leur liberté aux dauphins vivant en captivité et les laisser vivre dans des zones surveillées de réserves marines. Mais il ne s’est pratiquement rien passé. Nous avons décidé de sortir de l’impasse et d’exploiter une baie dans une réserve sur l’île grecque de Lipsi, une sorte de sanctuaire pour les dauphins sauvés. L’obtention des permis nécessaires n’a pas été facile, mais c’est désormais chose faite.»
La baie trouvée par la scientifique et son patron (et mari) Thodoris Tsimpidis semble adaptée à l’accueil d’environ huit dauphins. Elle mesure un kilomètre de long et sa profondeur peut atteindre quarante mètres. L’eau y est claire et il n’y a ni constructions ni pollution lumineuse dans la zone. Elle est légalement protégée et ne peut donc pas faire l’objet de constructions ultérieures – les promoteurs ne seraient en effet que trop heureux de pouvoir y construire un hôtel pour offrir aux visiteurs une vue imprenable sur les dauphins. La baie peut être fermée assez facilement à l’aide d’un grand filet afin d’éviter que les animaux ne se retrouvent en pleine mer, où leurs chances de survie seraient incertaines. Des filets spéciaux en cuivre antibactérien ont été fabriqués pour assurer une fermeture optimale.
Six dauphins obligatoires dans le bassin? Cette règle est taillée sur mesure pour Bruges.
«Ce pourrait être la solution idéale pour les dauphins de Bruges», se réjouit Michel Vandenbosch, qui a visité le projet en compagnie d’Els Ampe, à l’époque membre de l’Open VLD et présidente de la commission du bien-être animal au parlement flamand. Quelques jours après cette visite, Els Ampe a quitté son parti et a été obligée de renoncer à son mandat de présidente de la commission. Elle a été remplacée par sa collègue Mercedes Van Volcem, originaire de Bruges, qui a déjà signalé qu’elle était favorable à ce que les dauphins restent au Seapark. Le président de Gaia et son équipe ne sont pas pour autant découragés. «La Flandre pourrait entrer dans l’histoire en réalisant une première si elle relâchait des dauphins de delphinarium dans une réserve marine sous surveillance, déclare-t-il. Pour que tout se passe bien, beaucoup sera à faire, car il n’y a que très peu d’expertise dans ce domaine. Mais nous avons confiance en l’équipe grecque et les scientifiques belges qui se lancent dans le projet avec nous. Ce serait merveilleux si le projet aboutissait.»
La peur des poissons
Anastasia Miliou et Thodoris Tsimpidis sont conscients des difficultés qu’ils rencontreront. «Les dauphins ne peuvent pas être simplement placés dans une civière pendant des heures pour être transportés. Par ailleurs, leur cage thoracique est très fragile. Cette question doit être étudiée en profondeur. Mais ce sont des problèmes techniques auxquels nous trouverons une solution. Ce qui est plus difficile, c’est le flot de désinformation dont nous sommes déjà inondés, en particulier par les exploitants de delphinariums.»
Par exemple, certains prétendent que les dauphins qui n’ont connu que la vie en aquarium auront peur en mer. De la liberté mais aussi des poissons. Pour ces personnes, ils auraient même peur de la pluie. «Voilà à quel point la situation peut être absurde, soupire Thodoris Tsimpidis. Je n’ai jamais vu un chien d’appartement qui n’a pas été ravi de pouvoir se promener dans un parc. Il en sera de même pour les dauphins des delphinariums. Ils n’auront pas peur de la nature, des poissons et des algues. Ils seront heureux de pouvoir enfin pêcher eux-mêmes lorsqu’ils auront faim, sans dépendre de leurs soigneurs, qui décident pour eux.»
Le directeur de l’Archipelagos Institute of Marine Conservation émet également des réserves quant à la construction d’un bassin extérieur pour les dauphins de Bruges. «Ce n’est pas parce que votre prison est un peu plus grande qu’elle n’en est plus une, ironise-t-il. Dans notre baie, les animaux disposeront déjà, dans un premier temps, d’un volume d’eau 32 fois supérieur à celui du Seapark. C’est encore peu, mais ce n’est plus une prison.»
Un sentiment familial
Les responsables du delphinarium de Bruges défendent invariablement l’argument selon lequel six dauphins sont nécessaires pour ne pas mettre à mal le sentiment de famille des animaux de leur bassin. Thodoris Tsimpidis, fin connaisseur des delphinidés, ne comprend pas d’où vient cette idée. «Il n’y a pas de règle des six dans le monde des dauphins. Le problème est bien trop complexe pour être appréhendé par des règles simples. Cette règle a été créée arbitrairement pour garder les dauphins à Bruges.»
La règle des six est également une épine dans le pied de Michel Vandenbosch. «Elle figure littéralement dans le nouveau Code flamand. Elle stipule que des dauphins peuvent être importés de l’étranger si le groupe de Bruges compte moins de six membres en raison de décès, soi-disant pour assurer le bien-être des animaux et la cohésion sociale. En outre, l’exception ne stipule pas que les dauphins importés ne peuvent pas provenir de delphinariums où l’élevage est encore autorisé. Bref, on éponge en laissant couler le robinet. Ce n’est plus une politique d’interdiction.»
Il n’y aura pas non plus d’élevage à Lipsi, car on y retrouverait alors aussi des animaux non adaptés à une vraie vie de dauphin. Cela limitera les conditions d’exploitation, car les dauphins mâles et femelles devront être séparés. Néanmoins, Anastasia Miliou et Thodoris Tsimpidis poursuivent leur projet: «Dans vingt ans, partout dans le monde on se demandera comment il est possible que nous ayons gardé des dauphins si longtemps en captivité. Nous espérons que d’ici là, nous aurons concrétisé notre projet pionnier au point de pouvoir accueillir d’autres dauphins. Notre centre suscite beaucoup d’intérêt en Europe, aussi devrons-nous probablement choisir les dauphins que nous accueillerons en premier. C’est un défi, mais nous devons le relever par souci du bien-être des animaux.»
Michel Vandenbosch garde l’espoir de pouvoir mener à bien le projet de transfert des dauphins de Bruges: «Il y a un point positif. Jusqu’au 1er juin 2024, des conditions supplémentaires peuvent être inscrites dans le projet de Code sur le bien-être animal. Nous pourrions ainsi essayer d’avancer la date de transfert des animaux dans la baie grecque. Les politiciens sont actuellement en campagne électorale, et la situation pourrait s’avérer positive comme négative pour les dauphins. Nous ne pouvons que continuer à faire de notre mieux pour les animaux et espérer une issue favorable. Nous le leur devons.»
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