Bertrand Candelon
Bertrand Candelon décode l’économie: la parole d’un prix Nobel doit avoir plus de valeur que celle d’un influenceur (chronique)
L’économie est devenue une science expérimentale, à l’instar de la médecine.
Alors qu’on observait depuis plusieurs années déjà une remise en cause de la parole scientifique, la crise de la Covid a amplifié cette évolution. Pour preuve, les 15% de la population belge qui refusent toujours de se faire vacciner, malgré les injonctions constantes des experts en médecine. Cette défiance est d’autant plus paradoxale que notre société n’a jamais été aussi éduquée.
L’économie n’est, elle non plus, pas épargnée par ce scepticisme, cette remise en question ambiante. Beaucoup la considèrent comme une croyance malléable à l’infini au service d’idéologies diverses. Je me souviens du débat au cours duquel François Mitterrand avait répondu à Jacques Chirac: « Vous avez vos économistes, j’ai les miens. » Il faut néanmoins se rendre compte que l’économie est devenue une science expérimentale, à l’instar de la médecine. Certes, les chercheurs continuent de développer des modèles théoriques reposant sur des postulats comme la maximisation du profit ou de l’utilité pour mieux comprendre les stratégies d’investissement ou les impacts des politiques publiques. Cependant, ils sont maintenant systématiquement confrontés aux données pour évaluer leur pertinence et en mesurer les effets induits, comme cela se fait lors de la mise sur le marché d’un médicament. La recherche empirique a permis de nombreuses avancées. Par exemple, il a été mis en évidence que la politique d’austérité qui a suivi la crise financière de 2008 avait aggravé l’endettement des Etats au lieu de le réduire. On constate donc que la science économique se situe bien loin d’une simple croyance et que le scepticisme ambiant s’apparente à du « négationnisme économique », comme l’écrivent Pierre Cahuc et André Zylberberg (1).
La communication scientifique est sûrement à l’origine de cette défiance. Même si les chercheurs ont leur part de responsabilité, n’étant pas des communicants hors pair et, dans un souci de rigueur, restant souvent excessivement prudents, l’émergence des réseaux sociaux sur lesquels n’importe qui peut exprimer n’importe quelle croyance contribue à ce négationnisme économique. De même, certains vulgarisateurs qui trustent les médias pour flatter leur ego, ou faire la publicité de leur entreprise ou de leur parti politique, brouillent les messages et amplifient le doute.
La solution pour contrecarrer cette défiance consisterait à retrouver un esprit critique. La parole d’un prix Nobel doit avoir plus de valeur que celle d’un influenceur sur Internet. Des outils existent pour que chacun puisse évaluer la compétence d’un économiste. Les plus connus étant les classements IdeAs et l’indice de citations Google Scholar. La présence d’un nom dans ces listes répertoriant le nombre de publications et leur occurrence dans d’autres recherches constituent une preuve de fiabilité. Au contraire, une absence doit inciter à la méfiance, de même que le lien d’un intervenant avec un parti politique.
C’est grâce à cet effort qu’il sera possible de rétablir la crédibilité de la parole scientifique. Faute de quoi, le négationnisme économique pourrait se transformer en obscurantisme.
(1) Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser, par Pierre Cahuc et André Zylberberg, Flammarion, 273 p.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici