Grand amateur de femmes et de naturisme, Bernard Heuvelmans était passionné par les animaux et, en particulier, les grands singes. © SDP

Bernard Heuvelmans, ce génie scientifique belge tombé dans l’oubli

Julien Broquet Journaliste musique et télé

Chanteur de jazz, il a inventé la cryptozoologie. A signé le deuxième plus grand best-seller de l’histoire des sciences naturelles, travaillé avec Hergé et présenté en France son émission de télé. Mort dans l’oubli et la solitude, Bernard Heuvelmans figure au coeur d’un passionnant documentaire.

Eminence scientifique, grand explorateur, philosophe, charlatan, poète de l’animal insolite ? Proto hippie peut-être ? Entouré de mystère, lui que le mystère fascinait, Bernard Heuvelmans est mort le 22 août 2001, à Paris. Rejoignant la terre dans un cercueil biodégradable. Il avait 84 ans et était tombé dans l’oubli. Pourtant, c’est l’un des fondateurs de la cryptozoologie, science des formes animales encore inconnues. L’étude des animaux cachés, donc.

Fils d’un haut fonctionnaire au Sénat belge et d’une comédienne, Bernard Heuvelmans naît le 10 octobre 1916 au Havre. Passionné par les animaux, il dresse très tôt de grands tableaux avec toutes les espèces de singes dont il a eu vent. A 10 ans, il a déjà lu Fabre, Buffon, Darwin… A 23, il sort docteur ès sciences de l’ULB. Très vite, il se fait connaître avec son travail sur l’oryctérope, un drôle de spécimen aux allures de porc, aux dents bizarres et à l’apparence reptilienne.

Parallèlement, Heuvelmans est animateur et chanteur de jazz.  » C’est par ce biais que je l’ai découvert « , explique David Deroy, devenu en trois documentaires – Monsieur Etrimo, Manneken Swing avec Julien Bechara et, son dernier en date, Rebelle de la science (1) – le spécialiste des héros inconnus ou oubliés de l’histoire belge.  » En menant mes recherches sur Stan Brenders (NDLR : pour Manneken Swing) et le jazz, je me suis intéressé à ce Heuvelmans qui apparaissait dans les anthologies, les dictionnaires mais sur lequel on trouvait, finalement, peu de littérature. Il avait chanté avant et pendant la guerre. De fil en aiguille, je suis tombé sur plein de choses le concernant qui restaient enterrées dans les centres d’archives. Quand j’ai appris qu’il avait découvert un jour le présumé cadavre d’un homme de Néandertal, je me suis dit que j’avais un film.  »

Paris, Hergé et un best-seller

Un film sur un type aux mille vies. Ainsi, durant la Seconde Guerre mondiale, Bernard Heuvelmans rencontre Hergé dans les bureaux du journal Le Soir, à l’époque censuré par l’occupant pour correspondre aux valeurs de l’Ordre nouveau.  » Ça fait partie de sa zone d’ombre. Heuvelmans écrivait des chroniques scientifiques dans Le Soir pour les Allemands. J’ai enquêté. C’est ce qui l’a mené ensuite à partir pour Paris.  » Où le scientifique rêve de faire carrière dans le journalisme et l’édition. Bingo : après avoir aidé le créateur de Tintin à terminer L’Etoile mystérieuse, l’avoir épaulé sur Le Temple du soleil et joué le rôle de conseiller pour On a marché sur la lune (la bulle de whisky dans l’espace, c’est lui), Heuvelmans signe, en 1955, Sur la piste des bêtes ignorées. Ce sera le livre de sciences naturelles (qui sera décliné en quatre tomes, aux éditions Famot) le plus vendu de l’histoire (un gros million d’exemplaires) après L’Origine des espèces, de Darwin !

C’est dans cet ouvrage que le scientifique belge jette les bases de la cryptozoologie. Concrètement donc, l’étude scientifique des animaux sur lesquels on possède uniquement des preuves testimoniales et circonstancielles. Soit, au mieux, des preuves jugées insuffisantes.

Le yéti (ici croqué par l'épouse de Heuvelmans) fascinait le cryptozoologue.
Le yéti (ici croqué par l’épouse de Heuvelmans) fascinait le cryptozoologue.© SDP

Le yéti, Moustaki et Bob Morane

Bernard Heuvelmans s’intéresse particulièrement au yéti (pour Tintin au Tibet, il incite Hergé à en faire une bête douce, et pas abominable), au  » monstre  » du Loch Ness, aux hommes poilus et aux grands animaux marins des profondeurs.  » C’était remarquablement bien écrit. Très littéraire dans la manière de raconter, commente David Deroy. Normal : à côté de ses bouquins scientifiques, Heuvelmans a signé des romans, érotiques et policiers .  »

Ami de Georges Moustaki, dont il inspire la plus célèbre chanson ( » Ils doivent nous trouver d’inquiétantes gueules de métèques « , dit-il, attablé sur l’île du Levant avec le comédien Henri Garcin et alors que les passants les dévisagent), Bernard Heuvelmans est aussi proche de Henri Vernes, avec qui il partage son intérêt pour le jazz et la série noire.  » On existait dans tous les domaines et du matin au soir « , se souvient dans le documentaire, l’auteur belge, qu’Heuvelmans, trop occupé par ses travaux scientifiques pour s’en charger, a recommandé au directeur des éditions Marabout pour Bob Morane.

Intelligent, curieux, érudit, Heuvelmans n’est pas pour autant le roi des bourlingueurs :  » Il se basait beaucoup sur le recueil et le recoupement de témoignages, illustre le documentaire. Il vivait dans les livres. Voulait rendre compte de ce que disaient les Pygmées, les gens considérés comme primitifs à l’époque.  »

Les femmes, la télé et l’homme-singe

Un homme déconcertant, aussi grand amateur de femmes, de naturisme et d’amours libres…  » Alika, son épouse, l’écrivaine et peintre liégeoise Monique Watteau, confie qu’il pouvait avoir plusieurs copines, relève David Deroy, mais qu’elle devait rester sa préférée. Les histoires d’amour libre, de naturisme, ça passait très mal à l’époque.  »

Dans les années 1960, Heuvelmans suscite des vocations, en concevant et animant l’émission Sherlock au zoo pour la télé française ou Les Coulisses de l’arche de Noé pour France Inter. Il se fait néanmoins rattraper par l’histoire d’un hominidé velu conservé dans la glace et exposé dans une roulotte foraine au Minnesota, en Amérique : il l’identifie comme un proche du néandertalien mais son propriétaire disparaît avec le corps et Heuvelmans est tourné en ridicule. L’homme congelé et ses accessoires ont été vendus plus tard sur eBay, pour 20 000 dollars, à un collectionneur texan. Bernard Heuvelmans a toujours affirmé que celui qu’il avait authentifié avait été remplacé par un faux…

 » Quand bien même aurait-il été en caoutchouc, il y a quelque chose de sérieux et de philosophique derrière, déclare le réalisateur de Rebelle de la science… Heuvelmans était un poète, qui a constamment cheminé entre la rigueur scientifique et l’imaginaire. C’est pour ça qu’il n’a jamais été pris au sérieux. Il en a souffert à la fin de sa vie. Lui, il voulait trouver l’homme-singe. Son semblable, donc. C’est le fil rouge de sa vie.  »

(1) Rebelle de la science, par David Deroy, le 23 mars, à 22h50, sur La Une.

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