Selma Benkhelifa
Bébés papiers / bébés allocs, toujours les mêmes accusations racistes
Le conseil des ministres a approuvé à la fin du mois d’octobre 2016 un avant-projet de loi visant à lutter contre le phénomène des reconnaissances d’enfants de complaisance, également appelé « bébés-papiers ». Il s’agit de reconnaissances de paternité qui seraient frauduleuses, en vue d’obtenir un titre de séjour légal.
Quand j’étais jeune, les racistes reprochaient souvent aux Marocains, aux Turcs et aux noirs de faire des enfants pour les allocations familiales.
Je dis aux noirs, parce qu’en règle général, les notions de géographie des racistes sont assez minables et se résument facilement : l’Afrique est un grand pays peuplé de noirs et les Marocains et les Turcs sont des Arabes. Dans ma jeunesse, quand j’avais encore un espoir immense dans l’avenir de l’humanité, j’ai souvent tenté d’expliquer que la Turquie était en Asie et n’était pas peuplée d’Arabes ou que le Maroc était un pays d’Afrique… Vaines tentatives, les racistes sont restés imperméables à toute culture générale.
De nos jours, les étrangers ne font plus de bébés pour les allocations familiales, ils les font pour des papiers. Ah les crapules
Revenons donc à notre sujet, parce qu’il est nouveau. De nos jours, les étrangers ne font plus de bébés pour les allocations familiales, ils les font pour des papiers. Ah les crapules.
Heureusement une brochette de politiciens éclairés ( à la bougie du racisme le plus mesquin ) a compris qu’il était temps de légiférer.
On veut donc nous pondre une législation qui permettra de résoudre ce problème gravissime: un bébé aurait été conçu pour que son père obtienne des papiers ou reconnu par un père belge pour que sa mère obtienne un droit de séjour.
Comment une société, un Etat, un juge, un fonctionnaire de l’Etat civil d’une commune peuvent-ils décider de la raison – légitime ou pas – de concevoir un bébé?
Pourquoi fait-on des bébés? Dans un monde où on a dépassé les sept milliards d’individus, on peut se poser la question. Certains vous diront que c’est du narcissisme, une volonté de perpétuer son moi. D’autres expliqueront que c’est pour se conformer à l’impératif social qui veut qu’on existe quand on a fondé une famille (surtout pour les femmes). Et puis il y a ceux et celles qui trouvent qu’avoir un bébé c’est juste chouette et qui n’y ont pas réfléchi plus que ça. Et puis, et puis … Il y a autant de raisons de faire un enfant qu’il n’y a d’individus sur terre.
Et toutes les raisons des parents méritent le respect. Et tous les enfants méritent d’avoir des parents.
Si une femme enceinte sans-papiers fait reconnaître son enfant par un papa belge, pour que son petit bout soit belge à la naissance et ait plus de chances dans la vie qu’elle n’en a eu, elle mérite notre respect. Où est le crime? Où est la faute de l’enfant? Parce que le seul qui sera pénalisé par la législation en réflexion, c’est le bébé. Annulation de reconnaissance = annulation de la nationalité.
Bébé sans-papiers tu es, bébé sans papiers tu resteras. Et comme Théo Francken veut rouvrir une section famille dans les centres fermés, on prévoira même un lit à barreau au centre 127bis pour toi.
Sans compter qu’avec la lenteur des procédures, on aura des situations dans lesquelles un bébé aura été reconnu, deviendra un petit enfant avec une identité, le nom de son père, puis trois, quatre ou cinq ans plus tard, pouf, il lui faut changer d’identité: de nom, de nationalité, de statut…
A-t-on pensé une minute à l’impact psychologique pour l’enfant? Non.
Pourquoi? Parce que la seule préoccupation de notre brochette de politiciens éclairés est la lutte contre l’immigration. L’intérêt supérieur de l’enfant (prévu dans la Constitution, dans la Charte européenne des droits fondamentaux et dans la Convention internationale des droits de l’enfant) ne les a même pas effleurés.
A l’heure où on parle d’une augmentation incessante du nombre d’enfants vivant sous le seuil de pauvreté, a-t-on pensé à l’impact économique de l’annulation de la paternité? La majorité des familles pauvres sont celles des mamans célibataires. Un papa, c’est la garantie d’ordre public d’une contribution alimentaire. Plus de papa, plus de contribution alimentaire. Maman paiera seule les études du petit.
L’important, ce n’est pas l’enfant, non l’important, c’est la lutte contre l’immigration.
Cette législation pue le racisme primaire le plus crasse et montre à quel point il a empiré. Avant lorsque les racistes nous accusaient de faire des bébés pour les allocations, personne n’a osé légiférer pour retirer les allocations familiales aux parents qui n’avaient pas fait leur bébé pour les « bonnes » raisons.
S’attaquer ainsi aux enfants, c’est ce que vous avez fait de plus minable, mesdames et messieurs du gouvernement.
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