Luc Delfosse
Bart ou le vol du coucou
Honni soit qui mal y pense mais ce Royaume danse sur un volcan. Il faudrait en tout cas être aveugle, sourd et complètement indifférent à la chose publique pour ne pas comprendre qu’en quarante jours à peine, la N-VA de Bart De Wever (1) a déjà réussi à mettre en oeuvre une tactique redoutable héritée de… Lénine et de Trotsky.
Baptisée « entrisme », la stratégie consiste tout simplement à noyauter jusqu’au trognon un groupe concurrent pour le soumettre dans un premier temps ; l’amener à l’anéantissement dans un second.
En quelques semaines à peine, les populistes flamands ont pris le contrôle du gouvernement central
Très clairement, en quelques semaines à peine, les populistes flamands, usant de cette technique du coucou, ont pris le contrôle du gouvernement central. Tenant de la sorte le pays détesté, ils engagent (avec l’assentiment idéologique du reste de la coalition qui croit peser sur la décision et être en mesure de stopper les appétits séparatistes de son boulimique partenaire) une série de réformes dont on voit bien qu’elles ne seront à terme profitables qu’à leurs futurs intérêts « nationaux ». Cela accompli – et pour autant que la majorité de leur « peuple » les soutiendra… -, ils créeront alors la rupture et l’explosion finale. Ce n’est peut-être pas écrit dans le ciel. Mais ce l’est à tout le moins dans leur programme. Et chacun aura l’honnêteté de reconnaître qu’il était au moins prévenu.
Donc, en fait d’entrisme, celui de la N-VA est d’abord fiscal et mercantile. Formellement – cette bonne blague ! — point d’institutionnel au menu du gouvernement Michel. Car avant de réussir à justifier par l’absurde que la seule issue est un Etat flamand confédéré au pire, indépendant au mieux, De Wever et sa garde rapprochée entendent nettoyer les « écuries ». Comment ? En repoussant vers l’assistance publique, par des lois quasi victoriennes , les « nuisibles », les « profiteurs », les « junkies » (essentiellement wallons et bruxellois) et les « parasites » de toutes couleurs de peau qui « grèvent » le vieil Etat providence. En vendant ensuite les derniers bijoux de famille (Proximus, SNCB….). En renforçant enfin les privilèges non pas de la classe moyenne dont une partie est bel et bien au bord de l’asphyxie après cinq ans de crise, mais de l’aristocratie économique, ces ultra-libéraux majoritairement (doux oeuphémisme…) flamands qui ont littéralement porté la N-VA au pouvoir.
Sauts d’index, défiscalisation, mise sur la touche des syndicats, révision des normes salariales… tout fait déjà et fera encore farine à l’impitoyable moulin de la N-VA pourvu que le « pays en sursit » tourne. Et que, dès lors, les échanges commerciaux avec les futurs voisins de l’Etat flamand, soient florissants. Lequel n’aurait plus à « jeter par les fenêtres » son bel argent en venant en aide, solidairement, aux assistés, aux fainéants et aux immigrés de l’autre Communauté.
Et tant mieux si, le succès aidant, la N-VA peut contribuer à renverser la vapeur politique de ce côté-ci de la frontière (jusqu’à présent linguistique) et amener la droite francophone à réaliser un score à tout le moins égal à celui du PS. Son meilleur ennemi, son meilleur agent électoral.
On n’ose croire que le MR est dupe de ces manoeuvres cousues de fil bleu. Ou se croit en mesure d’arrêter la mécanique bien huilée des nationalistes du Nord. On sait que dans la coulisse du parti libéral, certains ténors ne sont pas dupes. Mais il est décidément fascinant de constater comment un parti qui se dit attaché à la Belgique fédérale fait en réalité le jeu du dépeceur déclaré de ce Royaume, au prétexte de partager ses convictions socio-économiques. Et pendant ce temps là, les maîtres d’hier, repliés sur leur Régions, se refont à toute vitesse une virginité. Ils hurlent, mobilisent mais, pris à la gorge, font tranquillement le ménage dans les compétences « inutiles »: enseignement, culture et environnement ; sans que personne ou presque n’élève la voix. Ah ! c’est qu’il ne faudrait pas se tromper d’ennemi…
Dans cette situation explosive, la question n’est donc pas comme on le répète ad libitum ces derniers jours « combien de temps la majorité suédoise va-t-elle tenir » ? ». Mais : dans combien de temps le « chaudron belge », pour reprendre le titre épatant d’un petit bouquin paru il y a une trentaine d’années (2), va exploser ? A tous les étages.
(1) Fraichement réélu pour un 4è mandat qui en fait une sorte de président à vie au même titre que… Di Rupo au PS, le parallèle est assez troublant.
(2) Charles Bricman, « Le chaudron des Belges », Editions Jacques Antoine.
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