Luc Delfosse
Bart, Luther et la nitroglycérine
Un jour peut-être, longtemps, longtemps après que la NVA ait disparu, les historiens assureront que la campagne électorale de 2014, dans ce qui était encore la Belgique fédérale, avait été marquée par deux événements que l’on a peu ou mal « lus » dans le brouhaha général. Et certainement du côté francophone où la méthode Coué et les poses de Tartarin ont si souvent fait fonction de viatique politique.
Le premier de ces moments capitaux, noteront-ils sans doute, remonte à… février. Sous les quolibets de ses ennemis, Bart De Wever avait alors comparé la mission de la NVA à celle de Martin Luther. Plutôt que de sourire de « l’illumination » du leader populiste, il aurait fallu s’en inquiéter. La référence au père du protestantisme en disait long comme un bras sur la vision quasiment christique que BDW donne depuis des années à sa mission de refondateur de la Flandre, fière et plus prospère encore car libérée du « boulet wallon ». Mais encore sur la fascination qu’exerce toujours sur les foules un homme « différent » trempé dans l’acier de ses convictions.
Pour faire bonne mesure, on rappellera que Luther n’a pas quitté l’église catholique; il en a été excommunié. L’image inouïe lui permettait donc de jouer comme à l’accoutumée sur les deux tableaux: un homme fort, investi d’un mandat quasi surnaturel, haï forcément par les puissants en place. Sociologiquement parlant, cette attitude a l’impact du TNT.
L’autre épisode clé est, mais oui, la vidéo postée par De Wever sur les réseaux sociaux quatre jours avant le scrutin de ce 25 mai. Non tant parce qu’il s’adressait aux francophones qui en ont globalement conclu – cette aveugle sottise! – que le président de la NVA « perdait le contrôle de la campagne ». Mais plutôt parce qu’il y déclarait tranquillement ceci: « Je veux avant tout régler les problèmes socio-économiques car les recettes du PS n’ont pas amélioré votre quotidien. » Vous avez bien lu? « Avant tout »! Disant cela, BDW se posait un peu là en candidat Premier ministre. Il le confirmait d’ailleurs le soir même, sans chichis, sans manières, à la VRT.
« Avant tout »! Disons, pour rester dans l’analogie religieuse, que la messe était dite.
Voilà pourquoi il n’y a aucune illusion à se faire aujourd’hui: animé par le feu quasiment sacré qui semble brûler en lui, le nouveau héros du Nord fera tout pour aller jusqu’au bout de la mission que le Palais, bien malgré lui, devra immanquablement confier au vainqueur par KO des élections. Mais pour s’acoquiner avec qui? Oh! On a bien entendu, après mille et uns reniements, qu’aucun des partis francophones n’était prêt à négocier à ce diable d’homme. Vraiment? Et que croyez-vous qu’il adviendra dans les jours prochains quand De Wever – comme Dehaene l’y avait mis au défi dans son testament politique – mettra évidemment (un peu) d’eau dans son vin pour composer pompeusement un « gouvernement de salut public »? S’il convainc le MR qui triomphe et piaffe de jeter les socialistes dans l’opposition, arguant non sans raison que leurs thèses socio-économique sont au fond soeurs jumelles ou presque des fondamentaux de la NVA? Et croyez-vous un seul instant que le CDH, malgré ses cris d’orfraies, n’acceptera pas de faire à un moment ou l’autre l’appoint?
Mais pourquoi l’intransigeant, le « messianique » De Wever ferait-il subitement des concessions? Pour la bonne et simple raison que le fédéral n’est évidemment pas son Graal mais une étape nécessaire vers autre chose: la Nation flamande. Le temps de lancer des réformes qui bouleversent le « gâchis » socialiste en Wallonie et vampe peu à peu les Bruxellois, en les amenant, à coups d’incitants et autres hochets de vermeil, dans le capiteux giron de la Flandre. Cela étant fait, à défaut d’être fantasmé, il ne lui restera plus qu’à regagner ses terres.
La question n’est donc pas, aujourd’hui: arrivera-t-il au bout de ses fantasmes? Mais: qui va craquer le premier de ce côté-ci de la frontière linguistique?
Sauf à croire que l’apôtre puisse être contourné dans l’une de ces pirouettes cyniques dont raffolent les partis. Mais alors il faudra très sérieusement peser l’impact quasi sismique d’une telle manoeuvre d’excommunication.
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