Bart De Wever, un personnage rêvé pour les humoristes
Pendant deux ans, Geert Beullens, alias BDW, a été le faux bourgmestre d’Anvers. Notre confrère de Knack a passé une semaine avec l’homme qui a engrangé 674 votes. « Non, je ne fais pas rire De Wever ».
Anvers, samedi dernier vers minuit. Une centaine de personnes marchent du théâtre Arenberg à la Grand Place. En tête du cortège un homme en costume et cravate jaune. « Refacit Antverpia greatus », crie-t-il dans son mégaphone. « Make Antwerp great again! », avant de faire le signe V.
Les passants se retournent, l’air très surpris. « Que se passe-t-il?' » « Nous assiégeons déjà la maison communale pour notre grande victoire électorale de demain », explique l’homme. « Rejoignez-nous, prenez une torche ou autre chose pour allumer le feu ». « Bonne chance demain, BDW ! », crie quelqu’un.
L’homme ne l’entend pas, continue et raconte que son « imitateur à l’Hôtel de ville » lui a transmis deux pensées latines. Des recettes éprouvées pour une belle victoire électorale. Nil volentibus arduum : rien n’est impossible pour ceux qui persistent. Et culpa aliorum est : c’est la faute des autres.
Un quart d’heure plus tard, la compagnie débarque sur la Grand-Place où le faux bourgmestre hurle à travers son mégaphone: « La ville est… » « À nous ! », complètent ses fans.
« Tout a commencé quand De Wever s’est mis au régime », explique Beullens. « Un ami m’a dit : ‘Dis, tu sais à qui tu ressembles maintenant ?’ (rires) Le bourgmestre a beaucoup de travail, et donc j’ai voulu l’aider en tant que BDW, le faux bourgmestre. J’ai retranscrit et étudié tous les discours de De Wever pour me plonger dans son univers. Aujourd’hui, je constate qu’il lui arrive d’adapter son discours pour des raisons pragmatiques. Au début, il paraissait très linéaire et je le respectais vraiment pour ça. J’ai même suivi des cours auprès de l’imitateur Guga Baúl pour imiter sa voix. Ce n’est pas facile, car il parle de manière monotone. Pour cette raison, j’ai créé ma version sympathique de De Wever. Le but était d’en faire une conférence électorale. Mais j’ai voulu m’entraîner dans la rue, et les choses a un peu dérapé. »
Certains Anversois sont perturbés par le personnage. « Je perturbe l’ordre social », dit Beullens. « Les gens ont une image de la réalité et soudain, il y a un perturbateur. Ils savent que c’est une imitation, mais on les voit hésiter. Une version aimable du bourgmestre …. le vrai ne serait donc pas si terrible ? Récemment, je visitais un salon de coiffure à Borgerhout. « Nous sommes si heureux que vous veniez nous rendre visite, bourgmestre », m’ont-ils dit. Et ils ont sorti le couscous. (rires) Je pense que beaucoup d’Anversois aimeraient voir De Wever. Au lieu de blâmer tout le monde, il ferait mieux de se montrer un peu plus dans la ville et de se comporter un peu plus amicalement. Bien sûr, il ne le fera pas, parce qu’il est aussi président de parti. »
Beullens a également rencontré le bourgmestre, mais ce dernier était nettement moins enthousiaste. « Cela devait arriver. D’autant plus que la N-VA, ainsi que le PVDA, est le seul parti qui fait campagne dans la ville depuis longtemps. Lors d’une de leurs réunions, il serrait la main de ses militants, et j’ai fait la même chose. ‘Combien de temps ces bêtises vont-elles encore durer ?’, a-t-il demandé. C’était très tentant de répondre : ‘Je pourrais dire la même chose’. Mais je me suis tu. De Wever est quelqu’un qui aime provoquer. Alors que j’avais l’intention de l’aider. »
« Après ça, je l’ai encore rencontré plusieurs fois. ‘Cela doit cesser’, a-t-il dit. ‘Faites ce que vous voulez, mais restez loin de moi.’ Et pourtant, je pense que secrètement il apprécie ma persévérance. Il m’a fait remarquer que l’épingle en A (NDLT: pour Anvers) sur le revers de ma veste était rouge et blanche, aux couleurs de la ville d’Anvers, alors que la sienne est grise et blanche, parce que Patrick Janssens en portait une rouge et blanche. »
« Les seuls à être vraiment hostiles sont les ténors de la N-VA. Les échevins Fons Duchateau et Koen Kennis m’ignorent – comme si les ordres venaient d’en haut. Je devais partir en tournée avec la conférence électorale, mais beaucoup de centres culturels m’ont dit que c’était ‘trop sensible’. J’en ai été saisi. Pour la moitié de la Flandre, De Wever est sacré. Son jugement la fait trembler. On n’a absolument pas le droit de rire de lui. »
Un peu plus tard, sans cravate jaune, il raconte : « De Wever est un rêve à parodier. Il ressemble beaucoup à Filiberke (NLDT : un personnage de la BD Jommeke, très populaire en Flandre), un personnage que j’ai déjà joué. Tous deux sont des icônes flamandes populaires et des autistes lourds. Quand Filiberke dit qu’il va s’asseoir dans le sol habillé en céleri pendant trois jours, il le fait. De Wever est pareil. Lui aussi dit aussi des choses étranges comme : ‘Je vais me déguiser en panda’. Ou : ‘Je vais perdre 80 kilos’. Certains froncent les sourcils, mais il fait ce qu’il dit et il s’en sort. Pour un satiriste, c’est un rêve. Il apporte beaucoup d’éléments. Contrairement à quelqu’un comme Wouter Van Besien. Essayez un peu d’en faire une parodie réussie. »
« Qui sont vos électeurs ? », lui demande notre confrère de Knack. « Les gens qui ne trouvent leur bonheur dans aucun parti », dit-il. « Marcel Vanthilt (NDLT : présentateur et musicien célèbre en Flandre) les appelle les ‘flibustiers artistiques’. Et pour le reste, j’espère avoir les voix du Snorrenclub (Club des Moustachus). Autrefois, ils étaient très fans du bourgmestre, mais il a perdu leur estime. Pour de nombreuses raisons, mais surtout parce que le prix de la bière aux Bollekesfeesten a augmenté. Je peux m’imaginer qu’ils disent : on préfère encore voter pour cet imbécile de BDW. »
Le soir des élections, le politologue Dave Sinardet déclare à la télévision que le principal point de programme de BDW, l’indépendance d’Anvers, n’est peut-être pas totalement tiré par les cheveux. Une grande tache jaune se forme autour de la ville. Partout, on voit des images de N-VA qui font la fête. Et De Wever, qui fait le signe V. En route vers le discours de ses militants, il est entouré de ses collègues triomphants. « Vous êtes mon bouclier et mes amis », (NDLT : en néerlandais : schild en vrienden), lance-t-il.
Entre-temps, le faux bourgmestre est arrivé au café Mombasa. Il porte exactement le même costume gris à gilet que son collègue. « Salut BDW ! Vous avez obtenu combien de voix ?’, lui lance quelqu’un. Un couple de Neerlandais demande: ‘Est-ce là votre Bart De Wever? C’est vraiment sympathique qu’il vienne boire un verre en toute simplicité le soir des élections. »
Le faux bourgmestre grimpe sur un fût de bière, fait le signe V et couvre la voix de son collègue à la télévision : « Chers amis, les résultats des élections sont connus à Anvers. Je peux vous dire que mon parti BDW – Burger Democratisch Welzijn (Bien-être démocratique citoyen) ou Bier, Drugs and Wijven (Bière, Drogue et Meufs) – a obtenu 0,2 pour cent des voix. Cela signifie que nous avons 0,2 pour cent de plus que la dernière fois. Mon imitateur à l’hôtel de ville ne peut en dire autant. Malheureusement, il n’y aura pas de siège au conseil municipal. Ou alors un tout petit. »
« Consolez-vous BDW », crie quelqu’un. « Rome non plus ne s’est pas faite en un jour. » « Très juste, monsieur », répond le faux bourgmestre. « Mais nous poursuivons notre lutte, camarades. Dans six ans, nous reviendrons, et nous obtiendrons au moins 0,4%. Merci à tous. Ave ! »
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