Bart De Wever: six ans à Anvers, le bilan
Bart De Wever squatte la partie la plus à droite possible du jeu politique. Quel est son bilan après six ans en tant que bourgmestre de la plus grande ville de Flandre ?
Était-ce une simple promenade vers la maison communale ou un défilé triomphal ? Même les Anversois n’arrivaient à se mettre d’accord en ce 14 octobre 2012, soir d’élection communale. Une chose était par contre certaine. Le résultat de ces élections était historique. La N-VA venait d’être désignée le plus grand parti à Anvers et éjectait les socialistes du conseil communal pour la première fois en 88 ans. « Anvers appartient à tout le monde, mais ce soir elle est surtout à nous », déclare Bart De Wever lors de son discours de victoire.
Autant le dire tout de suite: la gauche ne va jamais digérer que Bart De Wever s’empare du poste de bourgmestre. On lui reproche de ne pas être une figure qui rassemble. Et l’homme ne fait rien pour contredire cette image. Le slogan » T’stad is van A ‘ disparait promptement. De Wever va rapidement et durablement provoquer des remous à travers ses déclarations sur les problèmes rencontrés avec les « berbères ». De quoi faire ponctuellement la une des médias. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, il relance les hostilités en évoquant, une fois de plus dans De Zondag, que les juifs fuient plus le conflit que les musulmans. De quoi provoquer de plus belle l’ire de ses opposants.
Il n’y a qu’un groupe que Bart De Wever a jalousement couvé durant toute cette période et c’est celui des électeurs de droite. En se focalisant sur cette partie de la population, il chasse sur les terres de Filip Dewinter du Vlaams Belang et n’est pas loin de lui donner le coup de grâce. De quoi lui assurer de garder sa si précieuse écharpe de bourgmestre. Même depuis son siège de chef de la ville, il arrive à convaincre ceux qui votaient jadis pour l’éternel opposant Dewinter. Il se peut que pour se faire il se soit inspiré de Franz Josef Strauss, un politicien bavarois populaire du siècle dernier qui a donné son nom à une véritable doctrine politique. Les fondements de cette doctrine ont justement fort bien été résumés dans une opinion sur Strauss de Joachim Pohlmann, le bras droit de De Wever, et publiée dans De Morgen. Il y déclare que la plus grande préoccupation de Strauss était d’occuper le plus largement possible le terrain du jeu politique. « Strauss se tournait parfois très fort vers la droite pour recouvrir de son ombre ce qu’il trouvait trop inacceptable sur son flanc gauche. Mais cela s’est révélé efficace: le parti d’extrême droite est resté marginal en Allemagne. »
Bart De Wever a-t-il géré sa ville en gardant à l’esprit cette doctrine ? Celui qui regarde avec attention sa politique des dernières années peut en avoir l’impression. En y pensant, cela pourrait expliquer pourquoi il a fait d’une politique sécuritaire musclée l’un des symboles de son règne.
Militarisation
Lorsque Patrick Janssens a dû remettre les clés de la ville à De Wever, le chef de la police anversoise Serge Muyters a poussé un soupir de soulagement : « la police pourra à nouveau être la police ».
La criminologue Sofie De Kimpe (VUB) pense que cette déclaration de Muyters illustre bien le renouveau sécuritaire mis en place depuis le changement de pouvoir. « Depuis l’accent a plus que jamais été mis sur la lutte contre le crime », déclare De Kimpe. « Nous avons assisté à une évidente militarisation de la police, et ce, tant au sens propre qu’au sens figuré du terme. On constate aussi un contrôle plus strict de cette même police. Les commissariats ont été regroupés, du coup la personne qui les dirige à davantage de mainmise sur ses troupes.
On est en droit de se demander si cette militarisation de la police et une lutte accrue contre la criminalité ont effectivement fait baisser cette dernière. « C’est une chose qu’on ne peut dire avec certitude », dit De Kimpe. « Contrairement à ce qu’il se passait auparavant, on ne fait pratiquement plus de monitoring. Les seuls chiffres disponibles sont ceux fournis par la police elle-même. Ce que je trouve problématique. Cette militarisation de la police est inquiétante pour plusieurs raisons. L’idée de base est qu’une police plus musclée conduit à plus de sécurité dans les rues. Une opinion par ailleurs partagée par la masse. Sauf que cette théorie a été réfutée par plusieurs enquêtes. Un tel parti pris aurait même l’effet inverse. Une approche trop policière augmente la polarisation et les réactions violentes. Dans les cas les plus graves, comme aux États-Unis, on assiste à une escalade du conflit entre la police et les groupes minoritaires.
Sofie De Kimpe a cependant remarqué quelques évolutions positives ces dernières années. « Aujourd’hui, Anvers est une pionnière en matière de diversité policière. La charte de diversité signée sous cette législature vise très clairement le recrutement local. Une initiative qui portera certainement ses fruits et il n’y a pas de doute qu’on doive cela à Muyters et De Wever. Même si je trouve qu’ils auraient pu aller encore plus loin en imposant par exemple des quotas. Je sais que de telles mesures ne sont pas populaires, mais cela a fonctionné pour les femmes, alors pourquoi ne pas l’appliquer aux minorités? »
Malgré tous les efforts déployés dans le domaine de la diversité, le corps de police d’Anvers semble toujours être aux prises avec un problème de racisme. Comme ces membres du GEOV, l’organisme responsable du transport des prisonniers, qui ont tenu des propos répugnants sur WhatsApp. « Vous entendez parfois que ces discours racistes viennent de quelques « pommes pourries », mais cette explication est trop facile », explique De Kimpe. « Les recherches montrent que le racisme est structurellement ancré dans toutes les organisations policières. Cela ne doit pas nécessairement conduire à un comportement problématique. Ce n’est pas parce que vous avez des opinions stigmatisantes que celles-ci percolent dans votre environnement professionnel. C’est précisément pourquoi, selon De Kimpe, le langage musclé de la classe politique au pouvoir représente un danger. « La possibilité que ces sentiments racistes se traduisent dans la pratique augmente si les politiciens créent un environnement dans lequel la stigmatisation n’est pas un problème ».
« La voiture gagne »
De Wever cajole-t-il aussi de l’électeur de droite en matière de mobilité? Gand est devenu ces dernières années un paradis pour « les bakfietser de gauche », tandis, qu’à Anvers, la voiture trône à nouveau au coeur de toutes les attentions. Cette impression est-elle juste ?
« La ville a également beaucoup fait pour les cyclistes », selon l’expert en mobilité Dirk Lauwers de l’UGent. « La place de l’opéra a été transformée en une zone piétonne et des investissements ont été faits pour de nouveaux bus et tramways. Anvers pense vraiment multimodal. ». Mais il y a aussi un revers à la médaille. Lauwers, qui a co-écrit un Pacte de mobilité pour la ville, ne comprend, par exemple, pas pourquoi la réduction des espaces de stationnement est taboue au conseil municipal. « La voiture stationnée est une vache sacrée », dit-il. « Alors que dans la plupart des autres grandes villes européennes, le nombre de places de stationnement diminue, Anvers augmente rapidement leur nombre. Conséquence? À Anvers, la part des voitures dans la mobilité quotidienne est deux fois plus importante qu’à Amsterdam et Copenhague. La politique de mobilité de la ville d’Anvers est le « et-et ». Sauf que lorsqu’il s’agit de trancher entre la voiture ou un autre moyen de mobilité, c’est toujours la voiture qui gagne. On investit dans des infrastructures destinées aux usagers vulnérables, tels que les autoroutes ou les ponts cyclables, tant que ceux-ci ne gênent pas les automobilistes. On ne touchera ainsi jamais à sacro-sainte fluidité du trafic, même si c’est une question de sécurité.
Est-ce la même chose pour les transports en commun? « Les chiffres montrent que l’utilisation des transports publics diminue de manière significative depuis des années », explique M. Lauwers. C’est logique puisque la rapidité et la qualité de l’offre sont abominables. Il est deux à trois fois plus rapide d’atteindre le centre depuis en Hoboken en voiture qu’en tram. Tous aussi gênantes sont les informations parcellaires que l’on donne aux voyageurs et qui sont indignes d’une grande ville moderne. Il est vrai que le budget de De Lijn a été réduit. Mais l’échevin de la mobilité pourrait en toucher un mot à son camarade qui occupe le poste de ministre flamand de la mobilité ? »
Rien à dire
Un nouveau vent de droite a aussi soufflé sur la politique sociale. Dès les premiers mois, Liesbeth Homans a laissé entendre que les organisations sociales qui s’opposeraient à sa politique risquaient de perdre leurs subventions. Une déclaration qui va donner le ton pour ce qui va suivre dans les années à venir.
« Ce conseil municipal ne supporte pas, ou alors à peine, toute intervention de la société civile. Ça aussi c’est un changement radical par rapport çà la législation précédente », explique Peter Raeymaeckers. Depuis le centre d’études OASeS de l’Université d’Anvers, il suit la politique locale de la ville. « La ville adopte une politique bien déterminée et les organisations de la société civile ne peuvent guère faire plus que l’appliquer. Pourtant, la ville doit faire face à des défis si immenses qu’elle ferait bien de ne pas snober leur expertise. »
Par exemple, le conseil municipal a, à un moment, songé à ouvrir les candidatures des mandats, qui étaient attribués depuis des années aux mêmes ASBL de la société civile, à tous ceux qui correspondaient à certains critères. Du coup une association comme De Vaart, un centre d’accueil pour sans-abri à Anvers, a presque été repris par la multinationale G4S. L’accord va cependant être annulé au dernier moment. « En fin de compte, l’organisation est restée la même, seul l’accord de gestion a changé », explique Raeymaeckers. Un scénario qui s’est répété pour d’autres appels d’offres du même genre. « C’est bien la preuve qu’il est difficile de mener une politique sans la participation de la société civile. Même une ville comme Anvers ne peut rien faire seule contre la pauvreté. Le montant des allocations est déterminé par le fédéral et la politique du logement dépend du gouvernement flamand. » conclut encore Raeymaeckers.
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