Nicolas Baygert
Bart De Wever et Paul Magnette dans le même bateau
La RTBF consacrait il y a peu un Questions à la Une à Bart De Wever et Paul Magnette – « un combat des chefs », titrait la chaîne publique. Un cadrage journalistique qui laisse augurer une personnalisation inédite du « big bang » annoncé pour 2014 et dont le récit semble déjà validé médiatiquement.
Un remake d’Amicalement Vôtre (The Persuaders en V.O. ; titre plus seyant) se jouerait au royaume – pas encore confédéré – de Belgique ; destins croisés du Lord Brett Sinclair carolo et du Danny Wilde anversois, les deux cumulards incarnant de part et d’autre de la frontière linguistique un certain condensé des stéréotypes liés à leur communauté (le PS de Charleroi vs. Anvers, terre du Vlaams Belang).
A l’instar du recueil des chroniques de De Wever, traduites en français (1), le président du PS s’apprête lui aussi à publier ses tribunes parues dans le Standaard. Tel le personnage de fiction Dexter, expert en médecine légale le jour et tueur en série la nuit, les deux hommes aiment disséquer l’actualité politique dont ils sont les premiers artisans. A ce jeu, Magnette continue d’osciller entre l’analyse à froid du politologue et le feu sacré du néo-militant PS. En janvier, il plaidait ainsi en faveur d’une « nation wallo-bruxelloise » alors que le même homme signait, deux ans plus tôt, l’ouvrage Grandeur et misère de l’idée nationale dépeignant le nationalisme comme « un mélange de fantasmes irrecevables qu’il faut dénoncer et de revendications rationnelles qu’il importe d’écouter ».
Mais là où leur rôle d’opinion makers paraît indubitable, il restait au duo à mettre les mains dans le cambouis.
Difficile de dresser un bilan six mois après les communales, mais il faut bien constater que les deux bourgmestres fraîchement élus ont d’ores et déjà imprimé leur style au niveau local. Tandis qu’Anvers devint le laboratoire in situ pour la doxa sociétale de la N-VA (suppression du slogan de la ville, tenue des employés communaux, taxe pour les étrangers), la rupture perpétrée par Magnette à Charleroi est d’ordre esthético-politique : du sang neuf pour la ville, prouver que Charleroi « a le swag » (NDA : il convient de se familiariser avec cette sémantique adolescente).
En Belgique, disposer de son fief semble être une condition sine qua non pour réaliser une carrière politique de premier plan. Pour Magnette, la case Charleroi était le jalon indispensable à la dirupoïsation de son parcours (un Di Rupo qui porta les couleurs montoises jusqu’à l’Assemblée générale de l’ONU). L’assise locale agit comme « label terroir » garant d’un ancrage populaire qui faisait jusqu’ici défaut à l’intellectuel ULBiste.
La Wallobruxie tient-elle là son homme providentiel ? Outre un néerlandais impeccable (roulement de « r » compris), Magnette est au passage l’un des rares à maîtriser les codes de l’infotainment flamand et à détenir tout le potentiel nécessaire pour devenir un « bon client » des médias à l’instar de De Wever, voire un BW (« Bekende Waal ») parmi les BV. Une telle exposition permettrait d’engranger un capital sympathie inespéré en Flandre – qui plus est de la part d’un socialiste carolo.
De bon augure pour 2014 ? Pas si l’on en juge par le ton adopté jusqu’ici ; tirant à boulets rouges sur la N-VA, Magnette semble opter pour une rhétorique belliqueuse de « sniper », calquée sur celle de De Wever. Tout bénéfice pour le PS et la N-VA. Au risque d’une crispation fatale, cette stratégie mise en effet sur une bipolarisation communautaire, atrophiant au passage les autres partis au sud et au nord censés se ranger derrière leur « champion » ; le binôme Magnette-De Wever étant destiné à occuper tout l’espace médiatique.
(1) Derrière le miroir (Le Cri, 2013).
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