B.M. est-il le dépeceur de Mons? Une piste qui avait échappé à tous (enquête)
L’enquête sur le dépeceur de Mons a été relancée à l’automne 2023, à la demande de l’avocat d’une des parties civiles. Elle s’oriente vers la solderie où des sacs ayant contenu des morceaux de corps étaient vendus. Une piste encore jamais explorée par les enquêteurs. Et qui peine à aboutir.
Le 22 mars 1997, un policier à cheval circule rue Vandervelde à Cuesmes, près de Mons. Son attention est attirée par un chat qui joue dans les broussailles. Intrigué, l’agent s’approche et découvre un sac-poubelle d’où sort une main ensanglantée. Le quartier est bouclé, des renforts et le juge d’instruction Pierre Pilette débarquent sur place. Ils découvrent sept autres sacs contenant d’autres restes humains: des bras, des bustes et des jambes. Un neuvième sac est trouvé le lendemain, puis un dixième deux jours plus tard. Au total, quinze sacs contenant 38 parties corporelles sont exhumés dans la région. Ils recèlent les restes de quatre femmes disparues au cours des derniers mois –ceux d’une cinquième victime attribuée au même tueur seront retrouvés plus tard (lire l’encadré plus bas). Ainsi débute l’affaire du «dépeceur de Mons».
Points communs à toutes les victimes: des femmes isolées, fragilisées par la vie et habituées du centre-ville, dans le quartier de la gare. Des proies faciles. Au sordide s’est ajouté l’étrange. Les corps démembrés sont, pour la plupart, retrouvés en des lieux aux noms macabres: chemin de l’Inquiétude, rivière la Haine, rue de la Trouille, lieu-dit «La Hachette»… En 28 ans, la cellule Corpus, mise sur pied pour élucider ce sinistre jeu de piste, a analysé des centaines d’hypothèses, entendu près de 800 témoins. Mais le tueur en série n’a toujours pas été formellement identifié. L’affaire sera théoriquement prescrite dans deux ans.
Le dépeceur de Mons hante les proches des victimes, la mémoire collective, des journalistes et le monde judiciaire. Elle absorbe aussi des passionnés de cold cases qui ont un jour plongé dans les méandres de cette énigme. Qui a donc tué et démembré Carmelina Russo, Martine Bohn, Jacqueline Leclercq, Nathalie Godart et Begonia Valencia, entre janvier 1996 et octobre 1997?
Morgan Vanlerberghe compte parmi ces enquêteurs bénévoles. Auteur du livre Il est moins cinq (Nombre7 Editions, 2022), il a passé plusieurs années dans le centre et autour de Mons, sur les traces du tueur en série. En plus de 500 pages, il retrace le fil de l’histoire, aborde une multitude de pistes, interroge des proches de l’enquête, des témoins de l’époque et des proches de victimes.
800témoins ont été entendus par les enquêteurs en 28 ans pour tenter de résoudre ce qui reste un mystère.
Un des plus grands cold cases belges
Ce livre, un autre passionné l’a eu entre les mains à l’automne 2023. Me Philippe Horemans est avocat spécialisé en droit de la construction et marchés publics. A ses heures perdues, sans quitter son bureau situé à Tournai, il rédige des contre-enquêtes sur des affaires françaises non élucidées, comme «le petit Grégory» ou «Omar m’a tuer». Ce n’est qu’en septembre 2023 qu’il entend parler du dépeceur de Mons, l’un des plus importants cold cases belges, après les tueurs du Brabant. «Une connaissance m’en avait touché un mot, relate-t-il. Etrangement, je ne connaissais pas cette histoire.»
En ouvrant le livre Il est moins cinq, Me Horemans découvre que l’avocat du fils de Carmelina Russo est Me Frank Discepoli. «Il plaide certains de mes dossiers au pénal dans le Hainaut, précise l’avocat. Je l’ai contacté et il m’a invité à l’assister comme avocat de la partie civile, ce dont je lui suis infiniment reconnaissant.» Car en parcourant l’ouvrage mais aussi les nombreux articles, vidéos et documentaires consacrés au sujet, ce nouveau venu dans l’affaire pointe un élément que personne –ni les enquêteurs, ni les magistrats, ni les journalistes– ne semble avoir relevé depuis 1997. «Lors de la première découverte des corps démembrés, les enquêteurs ont pu constater que certains sacs-poubelle portaient les mentions de la commune de Knokke-Heist, relate-t-il. Ces sacs présentaient des défauts de fabrication et avaient été retirés du circuit commercial classique. Rapidement, la cellule Corpus a pu identifier leur lieu de vente à Mons, à savoir une solderie du centre-ville. Le gérant et des vendeuses ont confirmé vendre ces sacs, avec quelques contradictions concernant le volume des articles achetés et vendus et la période de vente. Mais le copropriétaire du fonds de commerce n’a lui jamais été entendu et les lieux n’ont jamais été visités.»
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Ce qu’il soupçonnait à travers les livres et articles de presse, l’avocat a pu le vérifier à la source, à l’analyse du dossier répressif auquel, en tant que conseil de la partie civile, il a pu avoir accès dès novembre 2023. «Les enquêteurs ont bien cherché à savoir qui aurait pu acheter les sacs mais ils n’ont pas investigué sur qui les vendait…» Or, outre un cheveu et une trace de sperme, ces sacs «Knokke» constituent l’une des rares pièces à conviction du dossier.
En accord avec son confrère, Me Horemans rédige alors une requête «en vue de l’accomplissement d’un acte d’instruction», à savoir perquisitionner les lieux de l’ancienne solderie (entrepôts, caves) et y prélever des traces biologiques, l’ADN des personnes y ayant travaillé ou encore demander ce que sont devenus les sacs-poubelle retirés de la vente pour cause d’humidité anormale. Le 5 décembre 2023, il l’adresse au juge Laurent Schretter. Et le 2 janvier 2024, celui-ci embraie avec une ordonnance enjoignant la cellule Corpus –seuls deux enquêteurs travaillent encore sur ce dossier– à reprendre les recherches en direction de l’ancienne solderie. Le juge leur demande d’examiner la situation actuelle des lieux en vue d’envisager la réalisation d’une visite domiciliaire consentie, voire d’une perquisition. Quant au gérant du magasin, un certain A.M.(*), son nom apparaît dans un avis de décès diffusé sur Internet. «Même si l’action publique envers lui est éteinte, les proches des victimes méritent de connaître la vérité», souligne Me Horemans. Ce que le juge Schretter semble également penser puisque, dans son ordonnance, il demande d’identifier la cause du décès de A.M. et, le cas échéant, le lieu de son inhumation, ainsi que d’identifier les personnes qui pourraient encore être entendues.
«A ce stade, rien ne prouve que ce soit B.M. l’assassin, mais cette piste mérite au moins d’être investiguée.»
Une visite aux Archives départementales du Nord, à Lille, révèle le faire-part de décès du gérant, publié dans un journal local. Le texte indique que le jeune homme est mort à 33 ans dans un accident de moto sur une route bruxelloise, en juillet 2003. On y découvre le nom de sa compagne, de sa mère et de son père que nous nommerons B.M.(*). De nationalité française, le père et le fils étaient associés dans la solderie montoise créée en 1993. L’enseigne fut déclarée en faillite en juin 1997 par le tribunal de commerce de Mons, puis radiée d’office en 1998. L’ancien gérant et son père ont ensuite ouvert un commerce de «gadgets, textiles et bazar» à Maubeuge, dans le nord de la France, là où résidait B.M. Autant d’éléments que Me Horemans transmet à la cellule Corpus, «à toutes fins utiles», dès janvier 2024.
«Un homme à femmes»
Le 26 mars 2024, date à laquelle il est autorisé à le faire, l’avocat prend connaissance des nouveaux devoirs d’enquête. Il est surpris par le peu d’éléments nouveaux. «Parmi les 60 pages complémentaires du dossier répressif, je ne vois quasi rien concernant l’objet de l’ordonnance du juge Schretter», s’étonne-t-il. Les enquêteurs actuels, déjà présents à l’époque, ne semblent pas soupçonner le gérant de la solderie au motif qu’il aurait collaboré aux investigations et n’aurait pas eu le profil d’un tueur. Ce que confirme la mère de l’ancien gérant que nous rencontrons dans son appartement bruxellois. «C’était quelqu’un de tout à fait respectueux, assure-t-elle. Il ne buvait pas d’alcool. Il était photographe de métier.»
Le profil du père était, semble-t-il, bien différent de celui de son fils. L’homme est lui aussi décédé, en 2012, dans le sud de la France. Une vendeuse de la solderie parle de lui comme d’un «homme à femmes», «assez grossier». Elle explique qu’il était régulièrement présent dans le magasin. Son ex-épouse, la mère du gérant, confirme qu’il était quelqu’un «d’un peu ferme» et qu’il était souvent présent à Mons, dans son commerce.
L’une des rares certitudes de cette affaire est que toutes les victimes transitaient par le centre-ville de Mons. «Ne peut-on imaginer que, vu leur statut social, elles puissent s’approvisionner dans un magasin aux produits peu onéreux, ou qu’elles viennent y faire le ménage?, interroge Me Horemans . On sait par sa sœur que Jacqueline Leclercq travaillait parfois comme technicienne de surface. Plutôt que d’être enlevées –ce qu’aucun témoin n’a jamais pu observer–, les victimes auraient pu être assassinées dans le bâtiment de la solderie après s’y être rendues d’elles-mêmes. La surface totale des lieux est de 260 m2, il y a très probablement des caves en sous-sol et même, selon une vendeuse, une trappe dans le bureau de la direction. Il est par ailleurs établi que le véhicule utilisé par B.M. était une Range Rover dont la capacité permettrait aisément le transport de corps au départ du magasin.» Sans compter que B.M. affichait un passé judiciaire pour vol à main armée et vol avec violence en 1987.
En poussant sa réflexion plus loin encore, l’avocat tente un lien avec une autre affaire aux étranges similitudes avec le dépeceur de Mons: l’affaire Sopka. Le 25 février 2003, des employés municipaux découvrent un sac-poubelle au bord d’un canal à Locquignol, dans les Hauts-de-France. D’autres sacs sont retrouvés quelques jours plus tard à Vieux-Condé et à Haulchin, non loin de la frontière belge. Tous contiennent les restes d’une femme. Des analyses ADN révèlent qu’il s’agit de Janine Sopka, une veuve de 59 ans résidant à Saint-Hilaire-sur-Helpe. Même profil de victime (isolée, faibles revenus) et modus operandi similaire à celui du tueur en série de Mons, jusqu’au trait de couteau sur les mamelons (comme chez Martine Bohn). Les enquêteurs français ont bien sûr tenté de prouver le lien entre le tueur de Mons et celui de Janine Sopka. Ils se sont orientés vers le patron d’une scierie mais aucun ADN n’a pu prouver son lien avec la victime. Il est mort toujours inculpé, clamant son innocence. Le parquet rendra un non-lieu quelques mois plus tard, en 2011.
Le chaînon entre les affaires belge et française pourrait-il être le propriétaire de la solderie? «Il résidait à Maubeuge, à 30 kilomètres de chez Mme Sopka, poursuit Me Horemans. Il pourrait avoir fait partie de ses amants qui, on le sait, étaient nombreux puisqu’elle cherchait l’amour à travers des petites annonces. Mais, pour le savoir, il faudrait investiguer…»
Le 15 juillet 2023, l’avocat consulte à nouveau le dossier d’instruction. Ayant informé les enquêteurs au sujet de ses réflexions, il s’attend à trouver des réponses à ses questions, ou au moins des pistes. «J’ai malheureusement constaté que les devoirs effectués étaient quasi insignifiants.» Il introduit alors une nouvelle requête pour l’exécution de devoirs complémentaires, comme perquisitionner les lieux de l’ancienne solderie et y prélever des traces biologiques, soumettre à de nouvelles analyses ADN les traces examinées en 1997, vérifier qui avait la charge du nettoyage des lieux, prélever avec son consentement l’ADN de la mère du gérant, ou encore solliciter de la justice française l’accès au dossier répressif de l’affaire Sopka et vérifier si le nom du père s’y trouve. Dans son ordonnance du 6 août dernier, le juge Schretter donne suite à toutes les demandes de Me Horemans, à l’exception des nouvelles analyses ADN des traces prélevées à l’époque, celles-ci ayant déjà été réalisées en 2014.
«Les proches des victimes, et la société en général, méritent que ce dossier ne tombe pas dans l’oubli.»
Trois mois plus tard, le 17 décembre 2024, l’avocat consulte à nouveau le dossier répressif. « Depuis des mois que le juge d’instruction le demande, à ce stade de l’enquête les lieux de l’ancienne solderie n’ont toujours pas été visités par les enquêteurs, ils n’ont toujours pas rencontré la mère du gérant et ils n’ont quasi rien demandé concernant l’affaire Sopka.» Manque de temps? De moyens? Les deux derniers enquêteurs de Corpus ont, de fait, d’autres dossiers à gérer en parallèle. «Ou manque d’envie», rétorque l’avocat. Psychologiquement, il peut leur être difficile d’investiguer sur un élément qui leur aurait échappé il y a 28 ans. A ce stade, rien ne prouve que ce soit B.M. l’assassin, mais cette piste mérite au moins d’être investiguée.» Ne fût-ce que pour fermer une porte. «Les proches des victimes, et la société en général, méritent que ce dossier ne tombe pas dans l’oubli», conclut l’avocat.
Au parquet de Mons, on indique que la solderie est une piste étudiée parmi d’autres dans ce dossier.
(*) Les initiales ont été modifiées pour préserver l’anonymat des personnes.
Martine Bohn, Carmelina Russo et Jacqueline Leclercq avaient comme toutes victimes, le même profil: des femmes isolées aux faibles revenus.
BELGA
Cinq victimes, cinq femmes
Les cinq victimes officielles du dépeceur de Mons étaient avant tout des femmes, pour la plupart des mères de famille.
Carmelina Russo, 42 ans. Veuve, mère de trois enfants, elle vendait de la lingerie dans le centre de Mons. Disparue le 4 janvier 1996. En fin d’après-midi, elle s’était rendue au supermarché de Jemappes après une visite à son fils en prison. Son bassin est découvert le 21 janvier suivant dans l’Escaut, à Château-l’Abbaye, dans le nord de la France.
Martine Bohn, 43 ans. Disparue le 21 juillet 1996. Cette ancienne prostituée originaire de France résidait dans les hôtels du centre de Mons. Son buste est retrouvé dans la rivière La Haine en juillet 1996.
Jacqueline Leclercq, 33 ans. Cette mère de quatre enfants vivait une séparation difficile d’avec leur père. Elle était portée disparue depuis trois mois lorsque ses bras et ses jambes ont été trouvés parmi les sacs-poubelle exhumés le 22 mars 1997, en contrebas de la rue Vandervelde à Cuesmes.
Nathalie Godart, 22 ans. Maman d’une petite fille de 1 an dont la garde lui avait été retirée, elle menait une vie difficile dans le quartier de la gare de Mons. Disparue le 16 mars 1997, son buste est découvert le 24 mars au chemin de l’Inquiétude.
Begonia Valencia, 37 ans. Atteinte de troubles psychiatriques, elle disparaît en juillet 1997. Son crâne est retrouvé à Hyon, en octobre 1997. En avril 1998, les dents et les vertèbres cervicales lui appartenant sont découverts sur le même terrain.
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