Carte blanche
Avions de combat : la Belgique à l’heure du choix
Confrontée au vieillissement de ses appareils de combat, la Belgique doit renouveler son aviation militaire. Notre pays doit prendre le temps de peser ses options stratégiques, et les replacer dans leur contexte : celui de l’indispensable relance de la défense européenne.
La Belgique doit moderniser son aviation de combat. En service depuis une quarantaine d’années, nos F-16 ne sont plus adaptés aux défis du XXIe siècle ; il s’agit désormais de nous doter d’une trentaine d’appareils multi-rôles, capables de remplir l’ensemble des missions dévolues à une force aérienne moderne. Comme nous l’enseigne l’histoire, les questions d’aviation militaire sont décisives, structurantes : de telles options stratégiques engagent notre pays sur le long terme. Les autorités belges ne doivent donc pas se précipiter afin de départager les F-35 de l’offre américaine, les Rafales de l’offre française et les Eurofighter Typhoon du consortium européen Eurofighter GmBH, mené par le Royaume-Uni.
La Belgique doit prendre son temps
Le temps, pourtant, nous semble compté. La Belgique doit annoncer sa décision lors du prochain sommet de l’Otan, qui se tiendra à Bruxelles les 11 et 12 juillet 2018. C’est-à-dire choisir parmi les offres américaine ou britannique, seules à répondre à l’appel d’offres émis par Bruxelles dans le cadre du programme ACCap (Air Combat Capability) – l’offre française a été effectuée en marge de cet appel d’offres. Ou, et c’est une véritable option, choisir de ne pas choisir parmi ces deux offres et remettre à plus tard une décision, pour éventuellement se prononcer en faveur du projet français de Dassault. Ce sursis pourrait s’avérer profitable : la Belgique doit trancher de manière pleinement souveraine, en s’accordant les plus grandes marges de manoeuvre possibles et sans céder à d’éventuelles pressions.
Pour arbitrer entre de tels choix stratégiques, évalués à plus de 3,5 milliards d’euros, notre pays doit s’accorder le temps de la réflexion. S’engageant pour plusieurs décennies, il ne doit céder à aucune urgence, mais laisser ouvertes toutes les options, tant les offres présentent des caractéristiques diverses, que ce soit en termes de prix, de fiabilité, de convergence avec les systèmes de défense de nos partenaires ou encore de retombées économiques sur notre territoire. Le choix de nos futurs avions de chasse place la Belgique face à ses responsabilités.
La double responsabilité de la Belgique face à l’Europe
Des responsabilités économiques, tout d’abord. Contrairement aux Américains, peu connus pour se montrer volontaristes en matière de retombées économiques, le Français Dassault a promis 20 milliards d’euros d’impact « économique et sociétal » pour la Belgique. « Plus de 5 000 emplois à haute valeur technologique » pourraient être créés dans notre pays, selon l’avionneur français. Mais surtout, la France et Dassault proposent à la Belgique un partenariat comprenant, outre la fourniture de 34 avions de combat – dont, potentiellement, certains en version « Marine », capables d’opérer sur le porte-avions Charles de Gaulle -, « une coopération approfondie » dans les domaines militaire et industriel.
Avions de combat : la Belgique à l’heure du choix
Ici réside sans doute la principale valeur ajoutée de l’offre française – dont il reste, par ailleurs, à confirmer la recevabilité juridique. Dassault propose en effet une participation au développement futur de ses Rafales, au sein d’un partenariat de gouvernement à gouvernement, dans le cadre de la relance, aussi espérée qu’indéfiniment repoussée, de l’Europe de la défense.
La Chambre des représentants ne s’y est pas trompée, elle qui a déposé, en octobre 2017, une proposition de résolution demandant à inscrire « impérativement » le programme ACCap (Air Combat Capability) dans « une véritable politique européenne de la défense et de la sécurité ». Le texte demande aussi au gouvernement de « renforcer et privilégier les collaborations militaires tant sur le plan opérationnel, humain qu’industriel avec les Etats membres de l’Union européenne agissant en faveur de la mise en oeuvre effective d’une Europe de la défense intégrée ».
En d’autres termes, le choix de la Belgique peut relancer ou enterrer définitivement l’Europe de la défense. Celle-ci a fait un premier pas encourageant en décembre 2017, lorsque 25 pays membres de l’Union Européenne ont célébré la naissance d’une coopération structurée permanente en matière de défense (Pesco), visant à développer un équipement militaire de façon conjointe. L’offre Dassault devrait donner davantage de chair à cet embryon de projet : elle propose précisément un partenariat « organique » entre les forces aériennes de nos deux pays, en mettant en commun un certain nombre de capacités (entrainement, soutien opérationnel, utilisation de l’espace aérien, etc.)
Également un partenariat technologique et industriel, à la fois dans le cadre du programme Rafale et de ses évolutions à venir et pour la préparation du futur, via une participation au programme SCAF (Système de combat aérien du futur). Projet franco-allemand, SCAF associe Airbus et Dassault afin de développer un système mêlant avions de combat et drones, qui offrira à terme une souveraineté européenne en matière de défense et représentera un solide pas en avant vers une standardisation des capabilités militaires européennes. La Belgique y a toute sa place.
Les 11 et 12 juillet, la Belgique sera au centre des réflexions de l’Alliance Atlantique. A l’heure où nos partenaires de toujours, comme le Royaume-Uni, claquent la porte de notre maison commune, à l’heure où l’administration américaine recentre son regard sur l’Asie et ne cache pas souhaiter que l’Europe assure elle-même sa défense, à l’heure où l’on assiste à une conjonction inédite de volontés européennes visant à donner une réalité au concept d’une Europe de la défense, la Belgique engagera son avenir. Mais aussi celui de toute l’Europe, colonne vertébrale de son rapport au monde.
Pedro De Carvalho, Financial Officier à l’European Defense Agency (Bruxelles).
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