Carte blanche
Aux racines du radicalisme
« Radicalisme ». C’est le mot – et la réalité – du jour. Et il fait peur : plans de campagne contre lui, prévention, antiradicalisation, déradicalisation, fichage urgent des radicalisés, études et commentaires autour du phénomène, etc.
Son extrême nuisance, dont l’année 2015 a multiplié les illustrations, motive cet intérêt et ces tentatives de réactions. Le mot même en est devenu comme pestiféré. Gare à celle ou celui qui porte une étiquette de « radicalisé ». Son mandat d’arrêt est prêt.
Or, le terme, en lui-même et indépendamment du contexte brûlant actuel, pourrait très bien être perçu positivement. « Sans racines, l’arbre meurt », dit-on. Pourquoi donc serait-il choquant d’accorder une grande importance aux racines – du latin, radix, « racine » et donc aussi « fondement, source, origine » ? C’est d’elles que le végétal tire sa vie, son énergie et sa survie. La racine plonge dans la profondeur de la terre, à la surface de laquelle émergent et croissent tiges et feuilles. Dans la racine siège la quintessence de la plante, ce qui la spécifie.
Parlante, l’image s’exporte dans bien des domaines. La racine du nez, des dents, des cheveux, mais aussi la racine d’une équation, d’un mot, d’un mal ou d’une civilisation. Toute réalité et toute entreprise humaines possèdent leurs racines : une base, un ensemble de données de départ qui ont précédé leur éclosion et y ont présidé. C’est un peu comme si, dans la racine, se logeait une pureté originelle. Ce qui se crée, se concrétise, évolue à partir de là court le risque – mais non inéluctable – de se distancier de cette pureté première, voire de la pervertir. Ainsi, certaines branches, parfois, seront suspectées d’être parasitaires, foisonnement quelque peu anarchique qui trahirait l’espèce.
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Dans cette perspective, « se radicaliser », c’est prétendre revenir aux sources, à la lettre. C’est condamner les sens figurés qu’on estime défigurés pour restaurer le sens premier. Le refus absolu qu’une tradition puisse demeurer elle-même sous d’autres visages. Or, comme le relève Michel de Certeau, « la tradition ne peut être que morte si elle reste intacte, si une invention ne la compromet pas en lui rendant la vie, si elle n’est pas changée par un acte qui la recrée ».
Quel signe d’humanité quand l’individu exige un respect plus grand, si possible intégral, des valeurs qui fondent une tradition. Mais quelle marque d’inhumanité quand il s’érige en cerbère de ce qu’il croit Tradition, qu’il trace la ligne de séparation entre les purs comme lui et les impurs, et qu’il voue ces derniers au mépris, voire à l’extermination.
Qui nous reprochera de tenir mordicus à un principe, à une valeur, s’ils sont essentiels pour nous ? Mais cet attachement ne nous donne aucune autorité ni aucune préséance pour autant. Des points de vue différents gardent le droit d’exister et de s’exprimer. Pourquoi « absolu », « catégorique » et « draconien » surgissent-ils parmi les synonymes de « radical » ? Parce qu’il est presque acrobatique de faire cohabiter la défense ferme d’un idéal et la tolérance face à des idéaux différents.
Dès lors, souvent, le radicalisme risque de dériver de la fidélité à un modèle aimé vers la détestation de ceux qui en adoptent un autre. Dans tous les secteurs de l’activité humaine se signalent des « radicaux », des passionnés devenus sectaires, et quelquefois violents. Les religions n’y échappent pas. L’Histoire et l’actualité l’attestent au-delà de la mesure. Le constat peut inquiéter et scandaliser. La plupart des religions ne se donnent-elles pas pour mission de créer des liens entre l’homme et la divinité, entre les hommes face à la divinité ? La religion des « radicaux » n’en est plus une, puisqu’elle renie sa raison d’être : elle divise et tue, au lieu d’unir pour mieux vivre.
L’initiation à un « radicalisme » tolérant, qui conjugue conviction forte et respect des autres, pourrait être une priorité – absolue – dans l’éducation. Sans attendre que son contraire ne prenne le dessus.
François-Xavier Druet, Docteur en Philosophie et Lettres
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