Bert Bultinck
« Aujourd’hui, la xénophobie du Vlaams Belang est instrumentalisée pour le nationalisme de la N-VA »
« Les votes pour le parti de Tom Van Grieken sont comptabilisés par De Wever comme faisant partie de son propre résultat », déclare Bert Bultinck, rédacteur en chef de Knack.
Theo Francken, ou le retour de celui qui n’a jamais vraiment été absent. En réclamant à plusieurs reprises l’abolition du cordon sanitaire – « l’assurance-vie du Vlaams Belang » – et la tenue de pourparlers avec Tom Van Grieken, il a fait les gros titres le week-end dernier. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait plus eu droit. Lorsque le gouvernement trébuche sur le pacte de l’ONU, Francken ne comprendra que trop tard que c’est son concurrent le Vlaams Belang qui partira avec les lauriers. Mais c’est surtout sa gestion nonchalante des visas humanitaires dans l’affaire Kucam qui va durablement le plomber.
Aujourd’hui, il est de retour, après un excellent résultat personnel dans la circonscription électorale du brabant flamand. Une circonscription où la concurrence était pourtant féroce. Avec l’ancien ministre de l’Intérieur Jan Jambon, il aura, au cours des prochains mois, un rôle de premier plan, puisqu’il va négocier au fédéral. Ce tandem composé du calme Jan Jambon et de l’impétueux Francken, qui parfois rejette d’une pichenette concurrents et questions critiques, a tout du duo classique du bon et du mauvais flic.
Tout comme chez les policiers, tous deux veulent la même chose. Et dans le cas de la N-VA, ce qu’elle veut c’est, par ordre croissant de difficulté : le pouvoir en Flandre, le pouvoir en Belgique et le confédéralisme. Le tout combiné à une politique de plus ou moins centre droit, ou du moins telle est l’intention affichée. Ce confédéralisme est un mot de code délibérément vague pour obtenir (beaucoup) plus de compétences pour la Flandre. Il s’agit d’une sorte de réforme en profondeur de l’État qu’on ne voudrait surtout pas appeler ainsi.
La Rue de la loi est donc soudainement revenue à son jeu favori : s’observer le nombril. Personne n’aime autant traiter avec les institutions, la répartition des pouvoirs et les niveaux de gouvernement autant que les représentants élus du peuple. Pourtant la récente victoire du Vlaams Belang est riche en enseignements : l’opposition à la migration, une rébellion contre le système politique, ou même un amour pour les mèmes. N’oublions pas non plus la colère causée par l’échec de la justice – le meurtre de Julie Van Espen a provoqué de profondes blessures, et pas seulement au CD&V de Koen Geens.
Or s’il y a une conclusion qu’on peut difficilement, voire pas, tirer des résultats des urnes, c’est que c’est un vibrant plaidoyer pour une énième et longue réforme de l’Etat, pour le confédéralisme ou même pour une Flandre indépendante.
L’analyse de Bart De Wever, qui a immédiatement déclaré dans son discours le soir des élections que le peuple flamand a voté « très clairement flamand », n’est pas mathématiquement fausse, mais alors comme interprétation du résultat d’une vaste blague. En plaçant les résultats dans cette perspective, De Wever avait déjà mis le cordon entre parenthèses dès le 26 mai, bien avant que Francken ne le rende plus explicite encore.
On assiste là au point culminant de la troisième phase du développement du nationalisme de la N-VA. Il y a d’abord eu le nationalisme » pur et dur » des premières années, y compris le tristement célèbre article 1 des statuts du parti sur l’indépendance de la Flandre. Celui-ci va être suivi par un second mouvement où De Wever va rendre populaire le « centennationalisme », le nationalisme des sous. C’est à la même époque qu’il s’était retrouvé à la tête de douze petits camions de fausse monnaie à Strépy-Thieu. Aujourd’hui, c’est la xénophobie du Vlaams Belang qui est à son tour instrumentalisée pour servir le nationalisme de la N-VA.
Les messages anti-migration de Francken lorsqu’il était au sein du gouvernement suédois s’avèrent aujourd’hui n’être que le prélude à la mobilisation de la xénophobie par la N-VA et pour le plus grand honneur et la gloire de la Flandre. De Wever a simplement incorporé les votes en faveur du parti de Tom Van Grieken à ses propres résultats. Le pire, c’est que nous n’avons pas fait grand-chose avec cette autonomie flamande de plus en plus large. Quiconque, comme De Wever et Francken, fait d’une plus grande autonomie flamande une question existentielle, devrait également s’intéresser à ce que nous faisons avec ces pouvoirs nouvellement acquis.
Un système de transports publics misérable, un niveau d’éducation en chute libre, une administration toujours aussi lourde, des listes d’attente longue comme le bras et qui ne cessent de croître, un statu quo organisé dans la lutte contre la pauvreté : Il est très clair que nous, les Flamands, n’avons pas besoin du PS pour tout gâcher.
A une époque où la complaisance flamande a atteint des niveaux ridicules, chaque regard critique est considéré comme une honte. Mais face à une politique flamande en délitation, la honte n’est pas moins que justifiée. Peut-être que, après tout, Francken devrait passer au niveau flamand. Histoire de balayer devant sa propre porte avant qu’il ne recommence à crier que c’est le voisin qui a sali la rue. Il s’agirait là d’une étape plus importante vers une Flandre plus adulte qu’une nouvelle série de réformes étatiques.
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