Au CD&V et chez les Engagés, il faut maintenant se battre pour survivre (analyse)
Maxime Prévot rempile à la tête des Engagés, Sammy Mahdi débarque à la présidence du CD&V. Mais pour les deux partis à l’origine chrétienne-démocrate, la voie vers de nouveaux succès électoraux semble escarpée.
Le séisme est survenu début mai, au CD&V. Le parti découvrait avec stupeur les résultats d’un sondage qui le plaçait en dernière position des partis au nord du pays, avec à peine 8,7% des intentions de vote. Derrière le PVDA et Groen, à des années-lumière du Vlaams Belang et de la N-VA.
Ce n’était qu’un sondage, mais Joachim Coens, à la tête des chrétiens-démocrates flamands depuis fin 2019, en tirait sa propre conclusion. De nouvelles élections internes seraient convoquées. Dimanche dernier, Sammy Mahdi, 33 ans et seul candidat en lice, était plébiscité avec 96,86% des voix. Et une mission: reconquérir l’électorat.
Par la force des choses, le sursaut de lucidité a émergé deux ans plus tôt au CDH. Le parti enregistrait un net recul aux élections de 2019. On connaît l’histoire: les centristes ont opté pour l’opposition et se sont lancés dans un processus de refondation, de «régénération», pour porter le mouvement des Engagés sur les fonts baptismaux. Maxime Prévot, qui remettait sa présidence en jeu, y a été reconduit la semaine dernière avec 81,7% des voix. Son concurrent, Marc-Antoine Mathijsen, a récolté 18,3% des voix.
Certes, l’érosion progressive dans les urnes concerne tous les partis traditionnels. Mais elle est d’autant plus spectaculaire pour deux formations qui, en d’autres temps, constituaient la pierre angulaire du système politique belge. Il est loin, l’Etat CVP.
Une longue érosion
Un peu de recul permet de mesurer la dégringolade. Le PSC-CVP a presque tout le temps occupé le pouvoir durant la seconde moitié du XXe siècle. Les résultats des années 1950 peuvent donner quelques vertiges à Maxime Prévot et Sammy Mahdi: 47,7% en 1950, 41,15% en 1954 ou encore 46,5% en 1958. Rien que ça.
La perte de vitesse s’amorça durant les années 1960, pour un parti encore unitaire. Puis survint la scission définitive, des suites de la crise de Louvain, en 1968. Et des résultats électoraux globalement en déclin, à l’exception de l’un ou l’autre scrutin. On se souvient de la fin de siècle: un renvoi historique dans l’opposition en 1999, alors que se formait le gouvernement arc-en-ciel de Guy Verhofstadt.
L’ épisode a conduit, à l’époque, à une autre refondation des deux partis chrétiens-démocrates: le CDH et le CD&V prenaient vie. Deux décennies plus tard, de piètres scores électoraux et de faibles intentions de vote auront poussé les deux formations à de nouvelles remises en question.
Depuis 2007, lorsqu’on observe, par exemple, les résultats des élections à la Chambre, le CDH n’a fait que perdre des plumes, se retrouvant après le scrutin de 2019 avec 3,7% des voix et passant de neuf à cinq sièges dans l’hémicycle. Même après la refonte, la tendance n’est pas réjouissante. Le 18 juin dernier, un sondage Ipsos réalisé pour Le Soir et RTL laissait apparaître des intentions de vote encore à la baisse, tant à Bruxelles qu’en Wallonie. En cartel avec la N-VA, le CD&V avait bien obtenu un succès électoral en 2007, faisant d’Yves Leterme le «Monsieur 800 000 voix». Mais après cet exploit, la tendance générale, dans les urnes, était repartie à la baisse.
Voilà donc, en quelque sorte, ce qui rassemble encore les deux partis: la menace d’une réelle débâcle et le passage par une remise en question. On pourra toujours observer que leur héritage commun les pousse à entretenir des conceptions similaires: ils sont plutôt centristes, se rejoignent sur quelques dossiers éthiques, prônent le vivre- ensemble ou accordent une place prépondérante aux corps intermédiaires (mutuelles, syndicats, associatif, etc.) Hormis cela, plus grand-chose.
Ils se sont éloignés
Ce n’est pas que des tensions ne surviennent jamais au sein des familles politiques. Mais entre le CD&V et Les Engagés, le divorce est sans doute consommé plus qu’ailleurs.
Malgré les divergences, les présidents du MR et de l’Open VLD n’ont cessé de s’afficher ensemble, notamment à l’occasion des 175 ans du parti libéral, l’an dernier. «Lors de la formation du gouvernement fédéral à l’été 2020, il y a tout de même eu une volonté d’Egbert Lachaert de former un exécutif avec le MR à tout prix», signale Benjamin Biard, politologue au Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) et chargé de cours à l’UCLouvain.
Les Engagés et le CD&V, eux, ne se soucient plus guère l’un de l’autre. Le fossé s’était déjà creusé il y a deux décennies, sur fond de divergences communautaires. A partir de 2014, et ce fut une première, la coalition suédoise de Charles Michel emmenait le CD&V sans le CDH. Peu avant les élections de 2019, Wouter Beke, alors président du CD&V, et Maxime Prévot s’exprimaient par contre devant la presse, affichant l’ambition de faire de leur famille la colonne vertébrale du futur gouvernement. En vain.
Autre motif de distanciation, loin d’être un détail: la disparition de toute référence au personnalisme chrétien dans les statuts des Engagés. Pendant ce temps, le CD&V conserve bien son initiale chrétienne et rien n’indique, dans les intentions de Sammy Mahdi, qu’il en sera autrement. Auprès des Engagés, cet abandon avait largement été entamé lors de la constitution du CDH. Mais le «C», symboliquement, était conservé, et la référence chrétienne figurait toujours dans les statuts.
La récente élection chez les Engagés a largement été remportée par Maxime Prévot. Mais les tenants du verre à moitié vide relèveront que 18,3% des votants lui ont préféré Marc-Antoine Mathijsen. Celui-là même qui, après l’avènement du CDH, avait rejoint le CDF, un parti dissident qui n’acceptait pas l’abandon de la référence chrétienne. Entre-temps rentré au bercail, le candidat malheureux a publié un livre au printemps, ADN Politique (éd. Mols), dans lequel il exprime à quel point ce choix constitue une erreur pour lui.
Parmi ces 18,3%, certains ont sans doute davantage exprimé une mise en garde à Prévot qu’une adhésion au projet de Mathijsen. Toujours est-il que cette nouvelle orientation peut représenter un risque auprès d’une part de l’électorat. Le contraste est plutôt net: tandis que chez d’autres (au MR singulièrement), les présidents s’affairent à assumer pleinement leur héritage idéologique, Les Engagés le diluent. Après l’annonce des résultats, le 22 juin, Maxime Prévot a toutefois déclaré «écouter la sensibilité» exprimée par son concurrent.
Plus globalement, côté francophone, cette évolution s’inscrit dans une tendance plus large d’éloignement avec le pilier chrétien traditionnel. «Le CDH était déjà beaucoup moins un relais politique du Mouvement ouvrier chrétien que l’est le CD&V avec son équivalent néerlandophone», confirme Benjamin Biard. Dès 1972, le MOC adoptait le pluralisme politique, les liens s’étant alors naturellement distendus.
Qui veut du centre?
Il reste à savoir si le positionnement centriste pourra encore convaincre l’électorat, dans un système politique qui accouche souvent de coalitions menant elles-mêmes une politique plutôt centriste. Et dans un pays où les électeurs votent toujours plus aux extrêmes, le paysage politique n’en étant que plus éclaté.
Sammy Mahdi est décrit comme un habile communicateur, plutôt à gauche sur les questions sociales, plus conservateur d’un point de vue sociétal. Il y a fort à parier qu’il misera sur une réaffirmation de l’idéologie, en phase avec l’histoire de son parti. Les Engagés ont pris le chemin inverse, sans que personne ne puisse prédire à ce stade si une option paiera plus qu’une autre.
«Finalement, les formations politiques voient toujours le jour en parallèle à un clivage politique, commente Benjamin Biard. En l’occurrence, en 1884, le parti catholique est né autour du clivage philosophico-religieux» qui a animé la politique belge durant plusieurs décennies. La fin de la seconde guerre scolaire, qui a marqué les années 1950, «apaisera ce clivage durant les décennies suivantes», hormis lors de quelques résurgences passagères autour de questions éthiques.
La transformation des deux partis, il y a vingt ans, avait vu le CD&V se positionner sur un autre clivage, rappelle Benjamin Biard: le communautaire. En termes socio-économiques ou sur le plan du clivage, dans l’air du temps, entre ethnocentrisme et cosmopolitisme, l’électeur risque de peiner à situer clairement Les Engagés. Ils se sont pourtant formés en tant que mouvement «participatif», «citoyen», entendant bouleverser cette façon de faire de la politique. «En soi, d’autres partis capitalisent sur ce thème, explique le politologue. C’est un mouvement, pas un parti, bien qu’il corresponde toujours à un parti tel que défini dans la loi sur le financement des partis du 4 juillet 1989.» Le tout dans un système encore largement particratique. Comment tirer son épingle du jeu, dans cet environnement?
Exister dans l’opposition
Une autre difficulté de taille se présente aux Engagés: exister dans l’opposition, lorsque d’autres occupent à ce point le terrain, singulièrement le PTB? Marc-Antoine Mathijsen n’a pas manqué d’ironiser à ce sujet dans son livre, pointant le fait que «Les Engagés se sont abstenus» lorsqu’il s’est agi de s’exprimer sur la réforme du calendrier scolaire. Des Engagés qui s’abstiennent…
Face à des difficultés qui risquent d’être existentielles, un autre scénario ne peut totalement être évacué: celui d’une mutation du paysage politique francophone. Même si une tentative de rapprochement avec DéFI a échoué en 2021, «c’est un parti qui a des difficultés à percer en Wallonie et les scores électoraux des Engagés risquent d’être compliqués à Bruxelles, constate Benjamin Biard. Une union des forces pourrait peut-être les servir.»
De ce point de vue, l’ouverture affichée par Les Engagés, l’abandon de la référence religieuse, pourrait aussi faire du mouvement le réceptacle de sensibilités politiques diverses et de personnalités issues d’horizons divers.
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