Attentat à Bruxelles: pourquoi la Suède est devenue une « cible prioritaire »
Après un été marqué par une série d’attaques visant des représentations diplomatiques suédoises à l’étranger, notamment au Proche-Orient, ainsi que par des menaces proférées par diverses organisations islamistes, Stockholm est indirectement visée par l’attentat terroriste, qui a coûté la vie à deux de ses ressortissants.
Un match Belgique-Suède arrêté à la mi-temps, vers 21h30. Les supporters ont alors chanté « Tous ensemble », puis « Suède ! Suède ! ». Retenus durant plus de deux heures dans l’enceinte du stade, les supporters suédois ont été conduits sous escorte à l’aéroport pour regagner leur pays. Et pour cause : dans la vidéo de revendication du terroriste, « la nationalité suédoise des victimes est évoquée comme motivation probable de l’acte », selon Eric Van Duyse, porte-parole du parquet fédéral. Indirectement visée, la Suède vit en effet sous la menace d’attentats, en particulier depuis quelques mois, à la suite de plusieurs autodafés du Coran, des exemplaires du texte brûlés en public. Rétroactes.
15 septembre 2023 : plusieurs organisations islamistes exhortent les musulmans à exercer leur « devoir de vengeance »
La dernière menace remonte au 15 septembre dernier. Dans son dernier Sada al-Malahim, Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) menace de frapper un « ministère » à Paris et de détruire une « ambassade suédoise ». « Il est désormais clairement apparent que la Suède a choisi de prendre la tête dans la guerre contre l’islam et les musulmans parmi les pays de l’Union européenne, rivalisant avec la France, le Danemark et d’autres pour la première place dans la course à l’opposition à Dieu et à son messager », lit-on dans le magazine de propagande. Al-Qaida fait, ici, référence aux récents autodafés du Coran en Suède, qui ont dégradé l’image du royaume dans le monde musulman.
Quelques jours plus tôt, Al-Qaida exhorte les musulmans « en Suède, au Danemark [où le Coran a également été brûlé] et dans toute l’Europe » à exercer leur « devoir de vengeance » contre les deux royaumes scandinaves, qualifiés de « petits pays méprisables ». Le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a appelé pour sa part à « punir » les auteurs des autodafés du Coran.
17 août 2023 : la Suède relève son seuil d’alerte terroriste d’un cran
La Suède décide de relever son niveau d’alerte terroriste, passant de « niveau élevé » à « niveau critique », soit le niveau 4 sur une échelle de 5. Un seuil qui n’avait plus été relevé depuis 2016. Le Service de la sûreté suédoise (Säpo) estime alors que la menace d’attentats « persistera pendant longtemps » sur son sol. Le Premier ministre, le conservateur Ulf Kristersson, relève, lui, que des projets d’attentats « avaient été déjoués », sans entrer dans les détails.
Dans le même temps, la Suède tente de réformer sa législation sur l’ordre public, afin de restreindre les autodafés. Pour l’heure, le gouvernement libéral conservateur ne dispose pas d’une majorité claire pour modifier la loi. Au Danemark, confronté également à une hausse des menaces terroristes, le pouvoir veut bannir la dégradation publique d’objets religieux, tels les livres saints. Le projet de loi est loin de faire l’unanimité. Ses opposants dénoncent une attaque à la liberté d’expression et un retour de la loi criminalisant le blasphème, qui avait été supprimé en 2017.
Janvier à juillet 2023 : plusieurs autodafés du Coran
Au moins quatre profanations du Coran ont eu lieu de janvier à juillet. C’est d’abord un militant d’extrême droite, Rasmus Paludan, leader de la formation danoise Stram Kurs (« Ligne dure »), qui brûle un Coran à proximité de l’ambassade de Turquie, le 21 janvier, provoquant une première crise diplomatique avec Ankara. Puis, en juin, devant la grande mosquée de Stockholm, un réfugié irakien chrétien, Salwan Momika, réclamant l’interdiction du Coran, y glisse des tranches de bacon, le piétine, le déchire avant d’y mettre le feu. Il récidive deux fois, le 20 et le 31 juillet.
Ces profanations à répétition provoquent de vives tensions. En Irak, des manifestants brûlent l’ambassade de Suède. L’ambassadrice est expulsée. Le Maroc rappelle son ambassadeur, condamnant un « acte offensant et irresponsable ». L’Arabie saoudite, l’Egypte, la Jordanie, et l’Algérie convoquent les représentants suédois. Les appels au boycott et les rassemblements se multiplient. C’est à ce moment-là que plusieurs organisations islamistes appellent, sur leurs réseaux sociaux, à faire de la Suède « une cible prioritaire ».
Ces profanations sont organisées avec l’accord des autorités, au nom de la liberté d’expression et de rassemblements. Dans le même temps, la police et la justice suédoise assurent que l’autorisation ne vaut pas approbation. Le gouvernement suédois multiplie les efforts pour tenter de déminer le crise. Ainsi, le Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, souligne vigoureusement que brûler le Coran est un « acte légal » dans un Etat de droit, puis concède que le geste était « inapproprié ». Une position d’équilibriste difficile, d’autant que le parti d’Ulf Kristersson forme une coalition avec l’extrême droite depuis l’automne 2022 : il ne peut pas critiquer un droit constitutionnel, celui de manifester d’exprimer une opinion ni interférer auprès de la police, seule à pouvoir interdire des manifestations et uniquement pour des raisons autoritaires.
Depuis janvier, les forces de l’ordre et la justice rejettent à plusieurs reprises toute nouvelle demande, invoquant le risque de faire de la Suède une « cible prioritaire pour les attentats ». Avant de finalement être sanctionnées en juin par la Cour suprême de justice, qui a défendu le droit à la liberté d’expression au sens large, incluant le droit au blasphème.
Pour Stockholm, il s’agit d’éviter, à tout prix, que la crise ne dégénère comme celle suscitée par la publication des douze caricatures de Mahomet dans le quotidien danois Jyllands Posten, le 30 septembre 2005 – reprise ensuite en France dans Charlie Hebdo. Début 2006, des manifestations dans de nombreux pays musulmans avaient fait une cinquantaine de morts. Plusieurs ambassades et consulats du royaume avaient été incendiés, tandis qu’un boycott était décrété contre les produits danois.
Il avait ensuite fallu de nombreuses années pour réparer les relations diplomatiques fragilisées avec ces pays, dont la Turquie.
Depuis février 2022
A plusieurs reprises, le gouvernement suédois doit démentir des rumeurs suggérant que des enfants étaient retirés à leurs parents dans le but de les soustraire à l’islam. Dès le 7 février, ces rumeurs entraînent plusieurs manifestations à Stockholm, Malmö et Göteborg, à l’encontre des services de protection de l’enfance accusés d’abuser de leur pouvoir pour séparer des familles, et particulièrement, les foyers musulmans.
Tout a commencé par la diffusion d’une série de vidéos, fin 2021, sur la chaîne YouTube de la plateforme Shuoun Islamiya (« affaires islamiques »), gérée par un membre des Frères musulmans en Egypte. On y voit des parents, originaires du Moyen Orient et d’Afrique et installés en Suède, témoigner. Tous ont perdu la garde de leurs enfants. Les commentaires des films, diffusés en arabes, affirment qu’il s’agit les soustraire à l’islam. A travers le pays, les vidéos circulent, s’échangent. Sur les réseaux sociaux, les hashtags # NaziSweden ou #boycottSweden fleurissent , accompagnés d’appels à boycotter les grandes entreprises suédoises comme Ikea ou H&M.
Le 11 février, le ministère suédois des affaires étrangères a fini par réagir, sur Twitter. Constatant qu’« une campagne de désinformation » était en cours, « en Suède et à l’étranger », il a affirmé que l’information, selon laquelle « les services sociaux kidnappent des enfants muslmans est fausse. »
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