Joyce Azar
Asile et migration : « Le pardon de l’enfant »
Le dossier a déchaîné les passions aux Pays-Bas. Le mois dernier, il a même failli causer la chute du gouvernement Rutte III : le dénommé » kinderpardon » (pardon de l’enfant) permettait jusqu’ici aux mineurs en situation irrégulière, séjournant depuis plus de cinq ans sur le territoire et intégrés à la société néerlandaise, de ne pas être expulsés.
Les conditions strictes de cette disposition avaient été remises en question par l’un des partis de la majorité, demandant un assouplissement des conditions. En cause : le sort, très médiatisé, d’une famille arménienne réfugiée dans une chapelle protestante de La Haye pour échapper à une expulsion. Durant trois mois, près de 800 prédicateurs se sont relayés pour assurer un marathon de prières, une loi néerlandaise interdisant à la police d’intervenir lors d’une cérémonie religieuse. L’affaire a défrayé la chronique et a, par affinité linguistique, traversé la frontière pour atteindre la Flandre, concernée, elle aussi, par un dossier similaire.
Les questions que suscite la problématique des mineurs sans papiers demeurent complexes.
Depuis le 8 janvier dernier, le nom d’Anna-Maria Khmoyan est régulièrement cité dans les médias du nord du pays. La petite fille de 8 ans, née en Belgique, a été enfermée avec ses parents et sa petite soeur de 2 ans dans le centre de rapatriement de Steenokkerzeel. A Borgerhout (Anvers), son école s’est rapidement mobilisée. » Les camarades d’Anna-Maria ne comprennent pas ce qui arrive. Il est très difficile de leur expliquer la situation « , raconte dans la presse la directrice de l’établissement. A la radio et sur les plateaux télés, les échanges reflètent une profonde division : » Enfermer des enfants est intolérable « , défendent les uns. » Enfreindre les règles et prendre de tels risques en tant que parent l’est tout autant « , dénoncent les autres. De fil en aiguille, le » kinderpardon » s’est invité dans le débat politique. Pour la présidente de l’Open VLD, Gwendolyn Rutten, la mise en place d’une telle mesure ouvrirait la voie à un nouveau canal migratoire. Face à elle, le commissaire flamand aux droits de l’enfant, Bruno Vanobbergen, a vivement plaidé pour une politique plus humaine qui tienne compte des intérêts des enfants.
Les questions que suscite la problématique des mineurs sans papiers demeurent complexes : faut-il privilégier le respect de la loi ou le bien-être de l’enfant ? Peut-on favoriser les familles, au détriment des individus isolés, dans le système de régularisation ? Est-il possible de mettre en place un » pardon de l’enfant » sans créer un appel d’air ? Aux Pays-Bas, le gouvernement a finalement tranché : 90 % des 700 enfants présents sur le territoire seront » amnistiés « . Le » kinderpardon » est toutefois définitivement supprimé, et le secrétaire d’Etat à la Justice et la Sécurité perd son pouvoir discrétionnaire en la matière. Chez nous, la ministre en charge, Maggie De Block (Open VLD), garde ce droit. Jusqu’ici, son usage est resté limité, question de principe et d’image, mais les sollicitations pourraient se multiplier. Alors qu’Anna-Maria a été transférée dans une » maison ouverte » dans l’attente d’un rapatriement, une nouvelle famille arménienne avec deux petites filles de 6 et 7 ans vient d’être à son tour enfermée.
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