Drieu Godefridi
ARCO : le casse du siècle
La presse bruisse ces jours-ci du scandale PUBLIFIN, un holding liégeois chapeautant des comités consultatifs qui rémunèrent grassement, avec de l’argent partiellement public, un travail dont la substance paraît pour le moins douteuse. Montant du scandale : moins de deux millions d’euros.
Que le principe et le montant fassent scandale est compréhensible et légitime, et il faut rendre hommage aux journalistes qui ont mis cette affaire en lumière. Mais comment ne pas s’étonner de la concomitance discrète d’un autre scandale, d’une toute autre ampleur, et que la presse se contente de traiter sous l’angle de sa technicité juridique ?
Il s’agit de l’affaire ARCO, du nom de cette coopérative chrétienne flamande, qui a investi dans DEXIA et qui a perdu sa mise suite à la défaillance, en Bourse, de DEXIA. On nous explique que suite à un arrêt européen, le gouvernement doit trouver « une autre solution » pour « aider » ARCO. Ainsi le problème est-il de pure technique juridique, consistant à « indemniser » les coopérateurs de ARCO selon des modalités juridiques qui s’avéreront conciliables avec le droit européen.
Or, le débat est de principe avant d’être juridique. L’Etat belge s’apprête à indemniser les coopérateurs de ARCO à concurrence de 600 millions d’euros. Six cent millions d’argent public qui iront directement dans la poche de personnes privées, pour compenser leur spéculation ratée en Bourse. Le montant est considérable; il est sans précédent dans l’histoire financière belge.
Celui qui fut le chef de campagne de Donald J. Trump, et qui sera son directeur de stratégie à la Maison Blanche, Stephen Bannon, considère que la révolte des classes moyennes américaines a débuté avec la crise financière de 2007. Pas tant en raison de la crise elle-même, que du fait que l’Etat fédéral américain a apporté de cent façons des montants considérables d’argent public au secteur financier pour lui permettre de se renflouer. Alors, le franc (le dollar) est tombé : ce sont les impôts de M. Untel, qui travaille dur, ce sont les taxes de Mme Unetelle, qui élève seule ses trois enfants et combine deux boulots pour joindre les deux bouts, bref ce sont les classes moyennes qui renflouent les « fat cats » de Wall Street, lesquels se montraient moins partageux à l’époque de leurs profits. Profits privés, pertes publiques : comment, en effet, le public ne finirait-il pas par se révolter face à cette combinaison toujours gagnante pour les intéressés, toujours perdante pour les classes moyennes ?
Six cents millions d’euros : en montant et à l’échelle belge, c’est le casse du siècle. Quand l’électeur ira au-delà des arguties juridiques, et qu’il comprendra l’énormité du détournement d’argent public auquel nous assistons sans le moindre semblant de justification rationnelle ni morale, comment imaginer que sa réaction de rejet à l’égard des « élites » politiques et financières différera en substance de celle de l’électorat américain ?
L’aveuglement dont font preuve les libéraux présents dans ce gouvernement qui s’apprête à avaliser un nouvel habillage juridique du casse ARCO est d’autant moins compréhensible que le public francophone tend à identifier ces pratiques — qui relèvent du crony capitalism, ou capitalisme de connivence — au capitalisme et au libéralisme en tant que tels. On devine les délices du PTB quand ils porteront la nouvelle au public wallon; lesquels délices n’auront probablement d’égal que la délectation du Vlaams Belang quand il se chargera d’en informer le public flamand.
Ni moralement, ni juridiquement, rien ne justifie d’indemniser d’un seul centime d’argent public les spéculateurs privés de ARCO. Ce casse du siècle, s’il devait avoir lieu en effet, pour le prix du maintien du CD&V dans la coalition fédérale, serait lourd de conséquences politiques et symboliques.
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