© ANTHONY DEHEZ

Apprendre à travers les accidents de la vie: le portrait de Ilios Kotsou, enseignant à l’ULB

Spécialiste en intelligence émotionnelle et en développement personnel, enseignant à l’ULB, Ilios Kotsou est avant tout un homme résilient qui a réussi à transformer ses blessures en autant de lumières. Portrait d’une trajectoire de vie, de l’enfer à la sérénité.

Un « Bonjour mes chéries » placardé dans le hall et sur la porte de la cuisine donne le ton: Ilios Kotsou est un mari et un père épanoui. Ce matin, il nous reçoit chez lui, à Bruxelles, dans son bureau où il a posé deux petits fauteuils sur un tatami. Aux murs, des paysages de montagne tibétains, des rayonnages de livres de philosophie, de psychologie, des classiques mais aussi nombres d’ouvrages de méditation et de développement personnel. Sur la table basse trône celui qu’il vient de publier avec le moine bouddhiste Matthieu Ricard, Les Folles Histoires du sage Nasredin (1) – un personnage mythique en Orient, presque inconnu en Occident – qui, avec humour et sagesse, répond à sa manière aux grandes interrogations humaines. Pieds nus sur le tatami, vêtu de lin, Ilios tutoie d’emblée et propose de préparer un « délicieux » cappuccino au lait d’avoine. Pour lui, ce sera une tisane.

Dans la pièce voisine, les stagiaires relancent la communication d’Emergences, les fameuses journées-conférences axées sur la pleine conscience et le développement personnel que ce prof de psychologie et son épouse Caroline ont conçues en 2009. Cinq cents participants lors de la première édition, plus de 4000 rassemblées à Bozar dix ans plus tard. Un succès phénoménal basé sur un principe tout simple: « se changer soi-même pour changer le monde », un mantra cher à Gandhi et qu’affectionne Kotsou. Pour autant, sa vie fut tout sauf un long fleuve tranquille.

Son mantra: « Si la vie n’est qu’un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs. » – Michel de Montaigne

Le désormais Bruxellois est né en 1974 à Hambourg, d’une maman allemande que rappellent ses yeux couleurs acier et d’un père Grec qu’évoque son physique. Rapidement, le couple s’installe avec ses deux enfants en Grèce, où sa mère tombe sous le charme de l’OKC (Ogyen Kunzang Chöling), présenté à l’époque comme un ensemble de centres bouddhistes fondé quelques années plus tôt par un certain Robert Spatz, gourou aujourd’hui poursuivi par la justice (2). Ilios a 3 ans quand elle plaque tout pour rejoindre, avec ses deux enfants, la communauté OKC à Castellane, dans le sud de la France. Comme pour de nombreuses sectes, « dehors, c’est le mal »: non seulement les contacts avec l’extérieur sont coupés mais, à l’intérieur du centre, où vivent de nombreuses familles, les enfants sont élevés à distance de leurs parents par une adepte choisie par le gourou, en l’occurrence la mère d’Ilios. Si son fils et sa fille ont la chance de rester près d’elle, ils ne peuvent en revanche ni l’appeler maman, ni entretenir de liens privilégiés. Ici pas d’école, les cours sont suivis par correspondance, la communauté vit refermée sur elle-même et, bien sûr, c’est le « lama » qui décide de tout. C’est également lui qui donne la permission aux adeptes de se soigner, ce qu’il finit par faire lorsqu’on diagnostique un cancer du sein très avancé à la mère d’Ilios. Il l’envoie alors à Bruxelles, où son fils la rejoindra deux semaines plus tard pour être informé qu’elle est décédée entre-temps.

Apprendre à travers les accidents de la vie: le portrait de Ilios Kotsou, enseignant à l'ULB
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De retour à Castellane, le maître lui annonce que son père a eu « un accident ». Il les accompagne en Grèce, sa soeur et lui. Là, ils apprennent que leur père, qu’ils n’avaient jamais revu, s’est « suicidé de chagrin » après avoir été séparé ses enfants. Le gourou, lui, est là pour rafler l’héritage. « Le pire, confie Kotsou, c’est qu’à l’époque on trouvait cela normal. » L’ adolescent n’a plus de parents, plus de famille et n’est sorti que deux fois de son centre. A l’évocation de toutes ces années, son regard s’embue. « Je suis désolé de vous raconter des histoires aussi horribles, tellement horribles qu’elles paraissent irréelles… » Ce n’est pourtant que le début.

Sa plus grosse claque: « Ne pas être parvenu à aider un ami qui paraissait avoir tout réussi mais qui était détruit intérieurement. Je voulais l’emmener voyager en Inde, j’ai trop tardé, entre-temps il s’est suicidé. »

Aucune haine

A 17 ans, Ilios est tailleur de pierre dans la communauté de Castellane et rêve de pouvoir un jour partir en Inde. Un dessein qu’entretient subtilement le gourou, avant de décider de l’envoyer plutôt à Bruxelles, travailler chez Vajra, un grossiste en produits bio alors membre de l’Ogyen Kunzang Chöling. Il y passera cinq années, à dormir dans un réduit de six mètres carrés sans fenêtre, travaillant parfois jusqu’à minuit. Son seul plaisir: s’instruire, le soir, en lisant tout ce qui lui passe sous la main. Pas de salaire, pas de papiers, encore moins d’assurances. Un jour, il se casse la jambe ; pour rembourser les frais occasionnés, il est privé d’argent de poche pendant trois ans.

Malgré tout, Ilios Kotsou reste persuadé que, mis à part le soi-disant lama et sa petite clique, la grande majorité de ceux qu’il a côtoyés au sein de l’OKC étaient des gens bien, « des idéalistes, la plupart de bonne foi, qui n’avaient aucune idée de ce qu’on a pu découvrir par la suite, ils n’étaient pas au courant des viols, des sévices ou des abus sexuels ». Plusieurs études ont révélé que les personnes rejoignant un mouvement sectaire ont souvent un niveau d’éducation plutôt élevé, détaille-t-il. Ce qui n’empêche pas qu’il leur soit très difficile d’ouvrir les yeux sur la réalité d’une association ou d’un engagement alors qu’ils s’y sont tant investi. « Psychologiquement, c’est quasiment impossible, quand on a donné vingt ans de sa vie à une communauté. La remettre en question revient à remettre en question sa propre existence. Selon moi, c’est l’une des raisons qui expliquent que de nombreux adeptes ne voyaient pas ou refusent toujours aujourd’hui de reconnaître ce qui se passait. »

Les Folles Histoires du sage Nasredin, par Ilios Kotsou et Matthieu Ricard (dessins: Gabs), éd. L'Iconoclaste, 288 p.
Les Folles Histoires du sage Nasredin, par Ilios Kotsou et Matthieu Ricard (dessins: Gabs), éd. L’Iconoclaste, 288 p.

De cette période, Ilios Kotsou n’a conservé aucune haine – « pour quoi faire? » – mais il avoue garder des séquelles psychologiques d’avoir vu sa mère souffrir à ce point sans pouvoir la sauver. Il concède également être devenu allergique à tout ce qui s’apparente « à la gouritique » ; en sortant de la secte, il devient antireligieux, antigroupes, « tous les stéréotypes anti, je les avais. Ce qui m’a réconcilié avec la méditation et la pleine conscience, c’est la science, qui est l’inverse de la pensée sectaire. C’est elle qui m’a soigné en me permettant de revenir à des « essentiels » scientifiquement validés. »

Son plus gros risque: « Avoir refusé un job très bien rémunéré chez Exxon alors que j’étais criblé de dettes. J’ai réalisé que ce poste allait m’éloigner de mon chemin et que ma voie était ailleurs. »

La résilience

Sa soif d’apprendre le dévore, les livres ne lui suffisent plus, Ilios se sent à l’étroit dans la communauté et, petit à petit, il parvient à troquer des formations contre des services administratifs chez ceux qui veulent bien l’employer, en parallèle de son travail à l’entrepôt. Ilios quitte Vajra « juste avant que la justice ne s’en mêle ». Il rencontre alors un homme qui dispense des formations à des entreprises souhaitant changer leur type de management. Il lui met le pied à l’étrier et tout se passe très bien jusqu’à la faillite du bonhomme, dans laquelle le jeune entrepreneur perd jusqu’à son dernier franc. Pas grave: il continue à tracer son chemin et propose du coaching à des étudiants et des sportifs de haut niveau, ainsi que de la consultance en gestion humaine à des entreprises. Il se fait rouler une ou deux fois par des escrocs, s’associe ensuite sans le savoir avec un membre du mouvement sectaire Raël qui, alors que Kotsou vient de conclure un beau contrat avec Axa, et de faire son « coming-out spirituel » à la télé.

Mauvais karma? « Pas du tout, je crois juste que je suis quelqu’un qui apprend à travers les accidents de la vie. Par certains aspects, j’ en suis en partie responsable, je traînais tellement de blessures que cela me rendait très vulnérable face à des gens mal intentionnés. » Durant toutes ces années, il parvient quand même à décrocher un petit diplôme dans une école supérieure qui lui permet ensuite d’accéder à l’examen d’entrée à l’UCLouvain et de faire des études en sciences du travail qu’il termine avec une grande distinction. Plus tard, il défendra avec succès une thèse en psychologie à l’ULB où, désormais, il enseigne.

En 2016, après vingt ans d’instruction, le procès de l’OKC s’ouvre enfin et le maître de conférences est appelé à témoigner. Jusqu’alors, il s’était efforcé de ne plus penser à ce qu’il avait vécu: « Dès que j’ai quitté Vajra, l’OKC c’était du passé et je ne voulais pas vivre avec ça, j’avais simplement gardé des blessures avec lesquelles je devais apprendre à exister. » Lors de ce procès, Ilios Kotsou réalise la chance qu’il a eue de n’avoir pas été brisé comme d’autres l’ont été. « Ma résilience n’est pas le résultat d’un travail sur moi-même, elle ressort davantage de mon caractère. Depuis que je suis enfant, j’ai toujours distingué le monde, qui est injuste et imparfait, de la vie, qui reste le plus beau des cadeaux. Aujourd’hui, je vis avec 80% de pensées positives et 20% de pensées difficiles que je n’essaie plus d’évacuer comme je l’ai si longtemps fait ; indirectement cela me coupait des autres, je manquais d’empathie et je prônais une sorte de dictature de la bonne humeur. Maintenant, j’apprends à évoluer avec ces 20%. »

L’entretien touche à sa fin, c’est sa petite fille qui y mettra un terme: « L’heure c’est l’heure, papa. » En nous raccompagnant à la porte, Ilios nous offre une plaque de chocolat, bio, pur, belge et noir, bref que du bon. Un geste qui n’est pas sans évoquer une des fables de Nasredin qu’Ilios commente dans son livre: la liberté ne réside pas uniquement dans le non-attachement mais peut-être et avant tout dans la générosité.

Ses 5 dates clés

  • 1989: « La mort de ma mère d’un cancer du sein suivie de celle de mon père, qui se suicide ensuite. J’avais 16 ans. »
  • 1996: « Je quitte la communauté OKC, une seconde naissance pour moi qui avais passé 20 ans de ma vie dans une secte. »
  • 2004: « Ma rencontre avec Caroline, qui « faisait de la retape » dans la rue pour Médecin sans frontières. J’ai refusé de donner de l’argent car je travaillais déjà pour MSF mais je l’ai invité à prendre un thé. »
  • 2009: « La première journée Emergences à Bruxelles, un one-shot qui deviendra un rendez-vous annuel. »
  • 2014: « La naissance de notre fille, Nefeli, qui signifie petit nuage d’amour en grec. »

(1) Les Folles Histoires du sage Nasredin, par Ilios Kotsou et Matthieu Ricard (dessins: Gabs), éd. L’Iconoclaste, 288 p.

(2) En décembre dernier, la Cour d’appel de Liège condamnait Robert Spatz à une peine de cinq ans avec sursis ; un pourvoi en cassation a depuis été introduit.

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