Anvers, cimetière des ambitions de De Wever
La métropole est un laboratoire politique pour la N-VA dans la perspective des élections de 2014. La gestion chaotique de son patron a sérieusement écorné son image. Il risque de le payer cher.
Depuis le début de l’année, Anvers est devenue le principal point de fixation des médias. La conquête du pouvoir par Bart De Wever aux élections communales d’octobre dernier fait une nouvelle fois de la principale cité flamande un laboratoire politique. C’est ici qu’Agalev, devenu Groen, est né dans les années 1970. Ici que le Vlaams Blok, devenu Vlaams Belang, a explosé dans les années 1990. C’est forcément depuis cette place forte que le leader des nationalistes flamands devait entamer sa conquête de la Flandre. Ses détracteurs l’attendent au tournant. Il pourrait y perdre de son aura.
« Bart De Wever veut faire d’Anvers la vitrine du changement qu’il a promis lors de sa campagne, analyse le politologue Dave Sinardet (VUB). D’autant qu’il dirige une coalition de droite avec le CD&V et l’Open VLD. Un rêve pour lui, et l’équivalent de ce qu’il aimerait mettre en place au niveau flamand après 2014. C’est pour cela qu’il multiplie les décisions avant tout symboliques. Ainsi, la fameuse taxe pour les étrangers qu’il voulait instaurer était clairement destinée à montrer que la N-VA pense aux électeurs du Vlaams Belang, qui l’ont rejointe en nombre. Ces gens sont très critiques à l’égard de la politique, et risquent de retourner rapidement à l’extrême droite s’ils ont l’impression que tout reste comme avant. De Wever doit faire vite. Résultat : beaucoup de controverses sciemment crées par De Wever ou par l’opposition, et démultipliées par les médias. »
Ainsi de l’incroyable saga du stade d’Anvers. Le nouveau bourgmestre s’est mis en tête d’attirer un club de football de haut niveau. Secrètement, il a négocié avec le CEO Patrick Decuyper le rachat d’un des deux matricules qu’il possède au plus haut niveau, celui de Zulte-Waregem, sensation footballistique de l’année, ou celui du KV Ostende, qui évoluera l’année prochaine en division 1. Le tollé a été tel parmi les supporters que les deux affaires ont capoté. Regrettant ce tohu-bohu prématuré, De Wever a dû regretter, en Calimero qu’il affectionne : « Je marche maintenant sur le boulevard des rêves brisés. »
« Tous les hommes politiques, partout dans le monde, essayent d’associer leur image à celle d’un sport populaire, poursuit Dave Sinardet. C’est une très bonne façon de créer de l’identité, de donner de la fierté, et de toucher des gens qui ne s’intéressent pas à la politique. Une équipe de haut niveau à Anvers, ce serait évidemment un symbole fort pour la ville. L’illustration de la capacité de De Wever à mener un gros projet. Mais cela s’est passé, une nouvelle fois, de manière chaotique parce que l’information a filtré trop tôt. Et le bourgmestre a sans doute sous-estimé le fait qu’amener à Anvers une équipe ouest-flamande, fut-elle de haut niveau, heurterait les sensibilités. »
Principale cheffe de l’opposition anversoise, la SP.A Yasmine Kherbache – par ailleurs cheffe de cabinet du Premier ministre, Elio Di Rupo, au gouvernement fédéral -, ne décolère pas. « Ce que l’on a vu les mois passés, c’est une politique symbolique sans aucune solution sur le fond, dénonce-t-elle au Vif/ L’Express. En ce qui concerne la taxe sur les étrangers, j’avais dit qu’elle était illégale et que nous travaillions à une procédure plus efficace pour limiter les inscriptions dans les grandes villes. Mais il s’est entêté, il a voulu continuer et sa décision a été cassée par le gouverneur. Entretemps, on n’a pas constaté la moindre amélioration de la situation. »
C’est une même vision à court terme, improductive, que Yasmine Kherbache dénonce dans le dossier du club de football. « Bart De Wever négocie en coulisses sans même tenir l’échevin concerné au courant. J’appelle cela de l’ancienne culture politique. Il y a une longue tradition de football et de formation des jeunes à Anvers, mais il préfère faire son shopping pour importer un autre club dans la ville en se mettant tout le monde à dos. La méthode utilisée par Vincent Kompany à Bruxelles, en misant sur les jeunes talents et en respectant les supporters, voilà ce qu’il fallait faire. »
Yasmine Kherbache estime que le nouveau pouvoir nationaliste délaisse les vrais enjeux de fond. « Il ne fait, par exemple, rien pour gérer la question du manque de capacité au niveau de l’enseignement, dit-elle. Or, c’est un problème majeur pour nos villes. C’est un dossier que la N-VA bloque même au niveau du gouvernement flamand. Lorsqu’elle est arrivée au pouvoir, en janvier, je n’étais pas très optimiste. Maintenant, c’est pire : je considère que le moteur est à l’arrêt. »
« En réalité, je pense que la N-VA n’avait pas vraiment de vision pour la ville, analyse Dave Sinardet. J’avais d’ailleurs rebaptisé leur programme électoral, »la force du changement », en »la force de la continuité » tant les différences étaient mineures par rapport à la législature précédente. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que la N-VA était déjà au pouvoir à Anvers, même si c’était un parti minoritaire. Elle est d’abord une formation nationaliste. Son seul vrai enjeu était surtout de profiler De Wever à Anvers et de remporter une première grande victoire électorale avant 2014. » Une analyse confirmée la semaine dernière : Bart De Wever, et non son successeur annoncé Ben Weyts, restera à la tête du parti jusqu’au lendemain des élections de 2014. C’est donc lui qui mènera la campagne, même s’il a promis de rester bourgmestre d’Anvers.
Ce qui peut se révéler contre-productif, commente Dave Sinardet : « Le leader flamand se profile fortement comme un Anversois dans les médias nationaux, avec le logo de la ville sur sa veste à chaque occasion. Mais comment cela est-il perçu par le reste de la Flandre, sachant qu’Anvers n’y est pas une ville très populaire ? Quel sera l’effet pour 2014 ? »
Interrogé par Le Vif/L’Express, Bart De Wever a refusé de s’exprimer. Secoué, malmené, il fait le gros dos et dénonce une attention médiatique excessive sur ses faits et gestes l’empêchant de conclure des accords.
Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine
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