Anton Jäger (KU Leuven): «Le Belang a besoin d’une attitude tolérante de la part des patrons»
Pour Anton Jäger, historien des idées et chercheur à la KU Leuven, le Vlaams Belang ne pourra jamais gouverner sans le soutien, au moins tacite, des milieux économiques.
L’été dernier, vous déclariez à Knack, que «la politique du Voka à l’égard du Vlaams Belang est une copie de l’attitude des patrons allemands envers Hitler». Pourquoi des termes aussi forts?
L’idée était de lancer un «anachronisme contrôlé» pour susciter un débat. L’organisation patronale s’est défendue publiquement de toute velléité d’«alliance» avec le Vlaams Belang. Le contexte reste pourtant délicat: depuis dix ans et sa première participation au gouvernement fédéral, la N-VA ne parvient pas à mettre en œuvre un programme qui satisfasse les préférences du Voka. L’électorat du parti de Bart De Wever se rétrécit visiblement. «On ne peut pas manquer de respect à l’électeur», a déclaré, en 2019, sur la première antenne flamande, Radio 1, Hans Maertens, le patron du Voka, au sujet d’une possible invitation de Tom Van Grieken au palais royal. «Discutons», telle était la devise. C’est incontestablement un propos similaire à celui que les employeurs allemands lancèrent à Hitler avant son investiture comme chancelier. Le Voka s’oppose bien entendu farouchement à de telles comparaisons: l’organisation affirme qu’elle n’est «ni redevable ni liée à un parti politique» et qu’elle «part en premier lieu des besoins et des intérêts des entreprises flamandes». Pas de lien mentionné avec l’«intérêt flamand», donc, et encore moins de lien exclusif. Que cette déclaration du Voka suffise à balayer exhaustivement la comparaison avec les années 1930 reste douteux.
La politique du Voka à l’égard du Vlaams Belang est une copie de l’attitude des patrons allemands envers Hitler.
Pourquoi?
Une lecture pseudo marxisante affirme souvent que le nazisme a été ardemment soutenu par l’élite économique allemande. En réalité, à l’exception de quelques capitalistes excentriques, les liens étaient faibles au départ, et ce n’est que lorsque le parti a commencé à gagner des élections que l’attitude du capital organisé a changé: on a fait valoir qu’Hitler pouvait servir d’«homme de main» contre le mouvement ouvrier allemand, et qu’on s’arrangerait ensuite pour le diriger sur le droit chemin.
C’est une attitude que vous semblez reconnaître aujourd’hui…
Ce fut, avant toute chose, une erreur spectaculaire: le pion du NSDAP (NDLR: Parti national-socialiste des travailleurs allemands) s’est rapidement émancipé de ses maîtres. Il n’est pas nécessaire, par ailleurs, qu’une association patronale ait des liens explicites avec un parti pour lui faciliter les choses. En Italie aussi, les employeurs se sont récemment résignés au gouvernement de Giorgia Meloni, surtout après qu’il a commencé à couper dans les dépenses sociales… Tant que le Voka ne se prononce pas sur le cordon sanitaire, les options restent ouvertes.
Pourtant, tant le Voka que la FEB situent le programme du Vlaams Belang à l’extrême gauche. Dans l’autre sens, le Vlaams Belang traite les organisations patronales de globalistes ou de wokistes. Des deux côtés, on s’accuse d’être de gauche. Qui a raison?
Aucun, évidemment! Mais il s’agit, en effet, d’un décalage entre programme et base populaire, décalage dupliqué dans les deux cas. Pour le VB, la base a clairement des préférences qu’on pourrait qualifier de «socialement chauvinistes», incarnées dans l’idée d’un Etat social exclusivement flamand. Il est néanmoins clair que le parti ne pourrait pas gouverner avec un veto patronal. Pour le Voka, le problème est inverse: il a un programme, mais pas de base électorale fiable. Face à ce dilemme, l’organisation patronale flamande est indéniablement confrontée à un choix difficile. Une déclaration en faveur du cordon sanitaire pourrait renforcer l’aura «antiélitiste» du Belang. La N-VA préfère également l’ambivalence: «Nous devons unir nos forces pour sauvegarder les intérêts flamands [de Vlaamse belangen]», a récemment déclaré le président de la N-VA à l’hebdomadaire Humo.
Mais les programmes économiques du Voka et du Belang restent très différents. Sont-ils inconciliables?
Sur le plan économique, les convergences entre le Voka et le VB restent faibles. Mais la politique n’est pas une affaire de statistiques, et un accord de gouvernement est toujours une question de compromis. Par exemple, avant son ascension, Hitler avait fait d’extravagantes promesses d’expropriation des grands propriétaires terriens et d’augmentation des impôts ; finalement, peu de ces choses furent réalisées. Une entente semblable pourrait se nouer entre le Voka et le Belang: la partie sociale du programme de l’extrême droite serait mise de côté, tandis que la partie culturelle serait nettement maintenue. On assisterait à l’inverse pour le Voka, son programme économique s’appliquerait et sa dimension plus culturelle, sur les richesses de la diversité en entreprise et sur la migration économique, serait mise en veilleuse. Je rappelle qu’en 2019, le patron du Voka, Hans Maertens, n’avait pas non plus exclu cette option aux dernières élections de cette même année.
Les enquêtes montrent que les entrepreneurs flamands votent plutôt pour la N-VA, dont le programme économique est incontestablement libéral. Quel intérêt le Vlaams Belang a-t-il à faire campagne dans ces milieux?
Comme je le disais, un gouvernement flamand ne se forme pas facilement sans une autorisation implicite du patronat organisé. Cet élément a d’ailleurs été manifeste dans la coalition suédoise, où le Voka a souvent travaillé à apaiser les tensions entre MR et N-VA. Un VB qui pose sa candidature aux échelons régional et municipal aura au moins besoin d’une attitude tolérante de la part du capital flamand pour gouverner. C’est ce à quoi il veille…
Quelle différence faites-vous à cet égard entre le Voka et la FEB?
J’estime surtout que la FEB maintient une relation moins hostile avec la tradition corporatiste de l’après-guerre. Elle se focalise moins sur la compétitivité à l’exportation. Un fait qui détermine évidemment un rapport au néolibéralisme plus franc du Voka, et aussi de l’extrême droite flamande. D’ailleurs, Voka comme Belang restent fort sceptiques sur le syndicalisme et la «concertation sociale» à la belge, beaucoup plus encore que la FEB.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici