Antiradicalisme : Malines, la ville sans « foreign fighters »
Le bâton et la carotte. Telle est la politique menée par Bart Somers, bourgmestre de Malines depuis 2001, pour lutter contre le radicalisme. Avec succès : la ville n’a vu aucun de ses jeunes rejoindre les rangs de Daech.
Avec ses 82 000 habitants et ses 124 nationalités différentes, Malines fait figure d’exception. Sur l’axe Bruxelles-Anvers qui a vu presque 500 foreign fighters rejoindre la Syrie et l’Irak, la cité flamande n’a pourtant vu aucun de ses jeunes s’en aller combattre au service de l’Etat islamique. » 198 jeunes sont partis de Bruxelles, 93 d’Anvers, 28 de Vilvorde, pourtant à quinze minutes de Malines. Mais zéro ici « , insiste, un brin orgueilleux, Bart Somers, bourgmestre Open VLD depuis quinze ans.
A son arrivée au pouvoir, le libéral se retrouvait à la tête d’une ville qui avait l’un des taux de criminalité les plus élevés du pays. Malines était alors connue comme le » Chicago-sur-Dyle « . A l’époque, le Vlaams Belang était le plus grand parti et représentait plus de 30 % des votes. Aujourd’hui, Malines est classée par le Financial Times dans le top 10 des villes européennes du futur, au vu de son potentiel économique et technologique. » Si nous n’avions pas changé de politique, je suis sûr que Malines aurait été dans le trio de tête des villes envoyant le plus de combattants belges en Syrie « , admet le bourgmestre libéral. Et pour cause : un jeune Malinois sur cinq est musulman.
Une politique « créative »
Le secret du succès ? Une politique créative basée sur la sécurité et le multiculturalisme
Le secret de ce succès ? Une politique » créative » qui se base, à entendre Bart Somers, sur la sécurité et le multiculturalisme, le tout pour éviter et prévenir la radicalisation des jeunes, surtout ceux entre 14 et 20 ans, les sujets les plus à risque. » Si un de nos jeunes partait en Syrie, ce serait pour moi, comme pour tous les Malinois, une défaite. Parce que c’est un enfant de chez nous. Nous devons tout faire pour les empêcher de s’y rendre. Un jeune radicalisé est d’abord et avant tout une victime. »
Bien avant les autres, Malines avait une unité d’antiradicalisation. Aujourd’hui, cette cellule fonctionne encore et s’occupe de deux jeunes radicalisés sous stricte surveillance et seize autres considérés à risque. Pour éviter la » contagion « , cette cellule reste en contact direct avec les écoles, les mosquées, les associations de jeunes, les clubs de sport… » Au niveau local, on doit tenter de savoir par tous les moyens possibles quand les jeunes commencent à flirter avec des idées extrêmes. Dès le premier soupçon, il faut agir. » Lorsque l’organisation djihadiste Sharia4Belgium et son chef Fouad Belkacem ont débarqué et essayé de recruter de jeunes Malinois : » Ce sont eux, les premiers, qui les chassèrent. Pas la police ! « , tient à rappeler Bart Somers.
Sa stratégie contre l’Isis ? Le vivre ensemble ! Le bourgmestre y croit dur comme fer. » Il faut que chaque personne vivant à Malines, peu importe son origine, ait le sentiment de faire partie de cette ville, d’en être un citoyen à part entière. Cela crée un climat pacifié où les idées extrêmes ont plus de mal à s’implanter. »
Malines est aussi la commune belge au budget le plus important consacré aux forces de l’ordre, le tout avec un nombre considérable de caméras de surveillance installées en rue. Tolérance zéro ? » Sans aucun doute « , reconnaît Bart Somers. » Je refuse qu’il y ait des zones de non-droit dans ma ville. Parce que les premières victimes de cette criminalité, ce sont les enfants des familles les plus pauvres. Et ceux-ci ne se sentiront jamais intégrés dans la société s’ils ne vivent pas dans des quartiers en sécurité. » Pour le bourgmestre, pas question pourtant de miser sur une police high-tech ou sur une ville bardée de militaires. » C’est sur le plan de la prévention que les pouvoirs locaux peuvent apporter le plus, et c’est aussi à ce niveau que les interventions sont les plus efficaces, car c’est là que l’on peut trouver les racines du problème. »
En dix ans, partout où cela était possible, le libéral a voulu briser les ghettos pour rassembler les communautés. Bart Somers veut que sa ville soit un modèle d’interculturalité. » La diversité est un atout, mais le problème, c’est que certains ne la veulent pas. En Wallonie et à Bruxelles, je m’étonne qu’on continue encore à parler d’intégration alors que ce sont des jeunes nés chez nous qui se radicalisent et partent en Syrie. Issus de la deuxième ou de la troisième génération, ils ont l’impression qu’ils ne feront jamais partie de la société dans laquelle ils ont grandi. C’est un cadeau pour les recruteurs parce qu’en entrant dans les rangs des djihadistes, ces jeunes ont subitement le sentiment de passer du statut de zéro à celui de héros. »
Une grande cohésion au sein de la communauté musulmane
Pourtant, à Malines, tout n’est pas rose. Le chômage est deux fois plus élevé pour les personnes d’origine nord-africaine, et il touche particulièrement les jeunes. Qu’à cela ne tienne, le libéral est certain de sa politique. Il la vante partout où il le peut. Et il n’est pas le seul. Rik Coolsaet, professeur de l’université de Gand et spécialiste du terrorisme et des mouvements radicaux, affirme que Malines a réussi parce qu’elle travaille contre l’exclusion des jeunes depuis longtemps. » Les autorités ont commencé à s’inquiéter de ces questions avant la plupart des autres villes, et bien avant que les premiers Belges aient commencé à partir en Syrie en 2012 « , dit-il. L’expert souligne aussi la grande cohésion au sein de la communauté musulmane de Malines, ce qui a permis de limiter le radicalisme ou l’apparition de recruteurs. » Alors qu’elle est généralement fragmentée comme c’est le cas à Molenbeek ou à Vilvorde, par exemple. Tandis qu’à Malines, il y a une réelle volonté de créer une communauté locale qui dépasse les clivages. »
A ses yeux, plus que l’idéologie ou la religion, la politique locale est l’élément déterminant pour éviter le recrutement de volontaires pour le djihad. » Quand le phénomène est apparu, la ville s’est rendu compte que le succès de Daech s’ancrait dans une accumulation de frustrations très concrètes. Tous les potentiels candidats malinois pris en charge par la commune se plaignaient de discrimination structurelle. Ils avaient tous le sentiment de ne pas pouvoir être eux-mêmes à Malines. C’est là-dessus qu’ils ont travaillé. Avec succès. »
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