Annemie Schaus, rectrice de l’ULB: « N’ayez pas peur de venir à l’université! »
Annemie Schaus, rectrice de l’ULB, entame sa deuxième rentrée. Face au sous-financement structurel, aux inégalités, à la hausse des effectifs, elle entend défendre les valeurs d’une université « ouverte ».
Loin du costume-chemise blanche d’Yvon Englert, son prédécesseur, elle apparaît en tee-shirt et pantalon léger, plutôt casual. Le matin de l’interview, le 13 septembre, c’est une Annemie Schaus enjouée qui reçoit dans son bureau, au premier étage du rectorat. Un peu plus de deux heures auparavant,, elle venait de s’adresser aux nouveaux étudiants inscrits en première année à l’Université libre de Bruxelles. « L’ auditoire était plein à craquer. Ils étaient plus nombreux que les années précédentes. Il y avait beaucoup d’émotion, d’énergie. » L’université fait face à une augmentation sans précédent de ses effectifs. Une joie mais aussi un défi immense. Alors qu’ elle entame sa deuxième année académique, Annemie Schaus souhaite que tous les efforts à mettre en place et à financer soient désormais destinés à la jeunesse. « Ça doit être l’une des priorités dans le contexte post-Covid. »
Le financement par étudiant régresse depuis le début des années 2000 et le budget de l’enseignement supérieur n’a jamais accompagné l’évolution démographique.
Elue, le 8 septembre 2020, à la tête de l’ULB, établissement où elle enseigne le droit public, elle représente un « symbole », parce qu’elle est une femme. Peu après sa désignation, elle déclarait que « beaucoup de ses interlocuteurs plaçaient de l’espoir dans une approche différente des dossiers ». Une femme travaille-t-elle différemment, alors? « Ce n’est pas une question de sexe, mais de caractère. » Reste que, oui, elle fait figure d' »emblème »: « J’espère que les jeunes verront que le plafond peut parfois être brisé. »
Face au manque de moyens financiers consacrés à l’enseignement supérieur, particulièrement aux universités, vous dites qu’il faut revenir à l’essentiel. C’est quoi, l’essentiel?
Indépendamment d’un cruel sous-financement, il faut se recentrer sur les fondamentaux de nos missions: enseigner à nos étudiants, les accompagner et faire de la recherche. Ces essentiels, c’est notre noyau dur et on l’avait peut-être perdu de vue, mais la crise sanitaire nous l’a démontré. Les questions de formation, de recherche et d’innovation sont primordiales . Durant la crise, on a vu combien les experts et la recherche ont un rôle à jouer, celui de se battre contre les populismes et les complotismes. Notre moteur est de renforcer ce lien entre la science et le monde dans lequel nous vivons. Il s’inscrit dans l’intérêt général. Et, contrairement à ce qu’ affirment certains politiques, il n’y a pas de réponses simples à des questions complexes.
La question du financement semble insoluble?
Il reste trente millions d’euros sur les cinquante promis en début de législature. Mais ça ne sera pas du tout suffisant. Le financement par étudiant régresse depuis le début des années 2000 (NDLR: moins 25% dans l’enseignement universitaire depuis quinze ans) et le budget de l’enseignement supérieur n’a jamais accompagné l’évolution démographique. Nos charges s’ accroissent et elles ne sont pas compensées. Nous manquons de locaux, par exemple, mais nous n’ avons pas les capacités financières pour agrandir ou acheter des bâtiments. Nous cherchons tous azimuts des bâtiments à louer. On pense, par exemple, à des immeubles de bureaux vides.
Au sein du Conseil des recteurs (Cref), les universités planchent sur une réforme du mode de financement. Où en êtes-vous?
Ce modèle de financement par enveloppe fermée est totalement en panne . Il pousse à la course à l’étudiant et à la concurrence entre institutions. Pour moi, c’est incompréhensible et inacceptable! L’ULB refuse de se livrer à cette compétition effrénée. Ce qui ne nous empêche pas d’observer, cette année, une nouvelle hausse des inscriptions. L ‘objectif est de sortir de l’enveloppe fermée à condition que le financement par étudiant soit objectivé et revu à la hausse pour correspondre à la réalité.
Donc, il faudrait revoir la loi de financement?
Ce sera indispensable et… complexe. Il faut revoir ses mécanismes. A l’ULB, un tiers des étudiants relève de l’aide sociale. Il faudrait, par exemple, mieux tenir compte des conditions socio-économiques de la population étudiante accueillie par chaque institution.
Pour réguler la concurrence entre universités, est-ce une bonne idée de les fusionner?
Cela ne répond pas à la question du financement. Par ailleurs, il est important de conserver une offre de proximité, parce qu’elle conduit à rapprocher certaines populations de l’université. A Mons, par exemple, le bachelier en droit attire désormais cinq cents étudiants. Il y a peu, on en comptait une centaine. Cette hausse démontre qu’on touche des jeunes qui n’auraient pas été en droit s’ils n’avaient pas eu cette offre à côté de chez eux.
Etes-vous satisfaite de la refonte du décret Paysage menée par Valérie Glatigny?
C’est plutôt positif, il fallait corriger les défauts du texte précédent qui n’ a pas permis d’augmenter la réussite. Au contraire, on a constaté un allongement de la durée des études sans que le taux de réussite ait augmenté. Les étudiants eux-mêmes sont perdus, ne comprennent pas ce système assez complexe. Il est important de dire que le texte révisé conserve son esprit, qui repose sur une progression de l’étudiant par accumulation de crédits. Par ailleurs, il rend aux jurys le pouvoir de trancher, d’accorder une dérogation à l’étudiant qui a réussi au moins cinquante crédits.
Il y a un bémol, cependant: le risque que les appréciations varient d’un jury à un autre, d’une faculté à une autre, voire d’un établissement à un autre.
Ce sera au Conseil d’Etat d’estimer si cette liberté laissée aux jurys facultaires présente un critère discriminatoire. Cependant, les jurys sont les seuls à avoir une vision globale sur le parcours de l’étudiant, son évolution, des aspects personnels…
La crise se marque-t-elle par des échecs plus nombreux dans votre université?
Non, non. Alors, ont-ils triché? Je sais qu’on ne vit pas au pays des Bisounours, mais je suis sûre que cela reste mineur. Ceux qui ont passé des examens en présentiel ont également mieux réussi. Les étudiants ont eu plus de temps à consacrer à leurs études. Ils ont dû faire preuve d’autonomie, aussi. Le corps professoral, lui, s’ est décarcassé, a réinventé ses cours, notamment magistraux, la pédagogie s’est améliorée et l’évaluation continue a été promue. Nous n’avons pas encore pu identifier toutes les raisons qui expliquent ce taux de réussite. Et on ne doit pas oublier ceux qui ont décroché… Impossible d’en estimer le nombre mais nos services psy étaient débordés.
Cette génération est notre avenir. Va-t-on enfin oser, en tant que société, lui faire confiance et lui ouvrir les portes?
Un étudiant défavorisé, à la fin des années 1970, avait plus de chances de réussir qu’aujourd’hui. Que s’est-il passé?
La dépense par étudiant est en baisse continue depuis ces vingt dernières années, pour atteindre aujourd’hui son plus bas niveau. Résultat: le nombre d’enseignants est largement insuffisant pour assurer un accompagnement des étudiants. Dans le même temps, l’école secondaire ne forme plus aussi bien qu’avant et se montre très inégalitaire. Les étudiants n’arrivent pas sur un pied d’égalité et l’encadrement ne suffit pas à gommer ces inégalités.
Ce mélange explosif ne vous permet pas de jouer le rôle d’ascenseur social…
C’est notre devoir absolu et je mets tout en oeuvre pour le relancer. J’étais la première génération dans ma famille à m’inscrire à l’université, à y décrocher un diplôme. Nos étudiants doivent avoir les mêmes chances que celles dont j’ai pu bénéficier. Ainsi, cette année, l’ULB lance « Ma première sur mesure » au sein de trois facultés, un projet pilote qui pourrait s’étendre par la suite. Sur une base volontaire, les étudiants passent des tests facultatifs pour évaluer leurs compétences et leurs lacunes. Ensuite, on leur propose d’adapter leur programme, par exemple en allégeant leur première année. On leur offre évidemment un accompagnement individuel, avec l’aide d’une haute école, où ils se remettront à niveau. Certes, leur programme sera plus costaud en deuxième année mais ils seront mieux armés pour poursuivre. Cela permet aux étudiants qui n’ont pas tous les outils nécessaires pour réussir d’emprunter l’ascenseur social. Mon message, c’est de dire aux jeunes: « N’ayez pas peur de venir à l’université! »
La crise a mis le doigt sur cette fracture: ceux qui sont soutenus, favorisés et ceux qui ont perdu leur job, qui rament.
Je suis très préoccupée par cette question. Valérie Glatigny a libéré des moyens, notamment via l’aide urgente. Ce n’est pas assez, cependant. A l’ULB, nous avons assoupli les critères d’octroi de l’aide sociale, afin de soutenir un maximum d’étudiants. On a aussi créé le fonds Rosa, dans le but de combattre la précarité étudiante. Cependant, une grande partie de nos étudiants a été malmenée.
Les jeunes ont été les oubliés de l’épidémie?
Je dis qu’on leur fait payer un sacrifice, surtout les 18-24 ans. Ils n’avaient plus rien, plus de cours, plus de sport, plus de rapports sociaux. Ils ont donné de leurs plus belles années pour protéger les plus fragiles. Ils l’ont fait de manière responsable et on les a injustement critiqués. Je souhaite que tous les efforts à mettre en place et à financer soient désormais destinés à la jeunesse, qu’il faut réenchanter. Cette génération est notre avenir. La question qui se pose est: va-t-on enfin oser, en tant que société, lui faire confiance et lui ouvrir les portes?
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