André Flahaut (PS) : « Sans partis, c’est l’anarchie »
Quel rôle les partis doivent-ils encore jouer ? André Flahaut est entré au PS en 1973 comme on entre en religion. Député et ex-président de la Chambre, il garde la foi : hors partis, point de salut. Ou la porte grande ouverte aux aventures.
Si les partis n’existaient pas, faudrait-il les inventer ?
Sans eux, ce serait l’anarchie la plus complète. Qu’on les aime ou qu’on ne les aime pas, ils constituent un élément important de la démocratie, ils sont le lieu privilégié de négociation d’un compromis, les garants du respect d’un équilibre dans la représentation politique et linguistique. Si ce pays continue à fonctionner, et parfois comme par miracle, c’est aussi aux partis qu’il le doit. Sans leur sens du pragmatisme, sans cette intelligence politique, croyez-vous qu’on aurait pu passer d’un Etat unitaire à un Etat fédéral sans effusion de sang ?
L’antipartisme primaire se porte pourtant tellement bien…
Oui, parce qu’il se nourrit de l’amalgame entre la politisation et la particratisation. La vision caricaturale que l’on entretient des partis témoigne d’une méconnaissance du fonctionnement de notre système politique et du rôle qu’ils jouent pour faire avancer des projets. Il faut ne jamais avoir mis les pieds dans un parti pour raisonner de la sorte.
La particratie omnipotente serait-elle le fruit d’une hallucination collective ?
Non, elle représente effectivement une dérive lorsque les partis faussent la comparaison des titres et mérites en privilégiant l’appartenance à la famille politique dans l’attribution d’une fonction dans l’administration. Mais les possibilités de se livrer à ce genre de pratiques nuisibles à la réputation des partis se sont réduites. L’introduction des mandats à la fonction publique a supprimé l’automaticité de l’occupation de certains postes. Vous savez, les partis d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’il y a dix, vingt ou trente ans, beaucoup de correctifs ont été apportés à leurs dysfonctionnements : réglementations, contrôle financier, transparence des rémunérations.
Si ce pays continue à fonctionner et parfois comme par miracle, c’est aussi aux partis qu’il le doit.
Des partis arrivent-ils à échapper à la particratie ?
Non, y compris ceux qui le prétendent. En présence de candidats arrivés à égalité à l’issue d’une procédure de sélection, un choix politique sera toujours fait, mais sur la base d’arbitrages opérés en fonction d’un pluralisme dans la gestion de l’outil public.
Qui dit parti dit clientélisme ?
Si un homme politique se pointe quelque part, on le soupçonne automatiquement d’avoir des visées clientélistes. S’il n’est pas sur le terrain, on se demande pourquoi on le paie. « Flahaut dispo », c’est une réalité. Les permanences sociales, que je tiens moi-même, c’est de l’accompagnement de personnes souvent perdues dans la recherche d’un emploi ou d’un logement parce que confrontées à une administration ou à une législation complexes. Ce n’est rien de plus.
Si ce n’est pas du clientélisme, c’est un service à la clientèle ?
C’est de la proximité citoyenne. Mais aujourd’hui, tout engagement politique est d’office associé à des soupçons d’avantages personnels. Et ce mépris devient un vrai danger pour la démocratie.
Les partis seraient-ils une forme de confiscation de la démocratie ?
Je n’accepte pas cette accusation. Comment être politisé sans structure ? Le citoyen qui décide de s’engager ou qui se dit engagé le fait sur un problème particulier ou une cause ponctuelle, de façon limitée dans le temps, et sa motivation est souvent dictée par un refus. Ce qui caractérise au contraire un parti, c’est son installation dans la durée, son inscription dans une vision globale de gestion de la cité et de la société, son apport à des solutions négociées et équilibrées au profit de l’ensemble de la population. A la différence de pays comme la France ou les Etats-Unis, où l’on fait le ménage à chaque changement de majorité, nous ne partons jamais d’une feuille blanche. Et cet effet stabilisateur des partis assure une continuité dans l’action politique en évitant une rupture brutale tous les quatre ou cinq ans.
Pouvez-vous imaginer une vie politique sans partis ?
Non. Pour avoir été président de la Chambre, je ne peux concevoir un Parlement de 150 élus qui fonctionnerait sans groupes politiques et sans chefs porteurs des positions de leur formation respective. A moins de verser dans une assemblée de 150 électrons libres qui ne feront que passer, le temps d’une législature. On a connu ce genre de spécimen avec Laurent Louis (NDLR : député fédéral Parti populaire puis indépendant de 2010 à 2014, connu pour ses outrances à répétition). Essayez un peu de mettre d’accord 150 personnes entre elles. A l’échelle de l’Europe, les Etats peinent déjà à trouver une certaine forme d’unanimité à 27. Un parti, c’est une forme d’organisation pragmatique de l’exercice de la démocratie parlementaire, qui repose sur un travail d’équipe, d’abord en son sein puis entre formations politiques.
Vivement un gouvernement libéré de l’emprise de partis, entend-on souvent…
Et vous mettez quoi à la place ? Un gouvernement de techniciens, de managers non responsables devant l’électeur, choisis en fonction d’un fait du prince ? Ou alors une équipe de secrétaires généraux comme sous l’Occupation allemande ? (NDLR : un comité de hauts fonctionnaires chargés de gérer le pays en l’absence du gouvernement exilé à Londres durant la dernière guerre). Ou bien vous aurez l’avènement d’un chef qui s’empressera de liquider les partis.
Donc, « there is no alternative » ?
Je sais, on avance souvent l’idée d’assemblée citoyenne. Composée par tirage au sort ? Il fut un temps où le service militaire était aussi basé sur cette loterie, on sait ce que cela donnait : on payait des pauvres types pour qu’ils fassent le service à la place des fils de bourgeois. Une assemblée citoyenne ne peut tenir la distance dans la durée comme peut le faire un parti. Un pays, ça se gère comme une entreprise avec un conseil d’administration au sein duquel se dégagent des majorités et un Parlement qui tient lieu d’assemblée générale.
Ne dites plus parti, dites mouvement ? Le SP.A voit son avenir en « Vooruit »…
C’est une façon de changer l’emballage du produit : on opte pour le côté » tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil « . On peut parfaitement être un parti rassembleur et ouvert.
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